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[2017] 3 R.C.F. 520

A-487-15

2017 CAF 1

Emilie Taman (appelante)

c.

Le procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Taman c. Canada (Procureur général)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Pelletier et Scott, J.C.A.—Ottawa, 6 septembre 2016 et 6 janvier 2017.

Fonction publique — Activités politiques — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelante de la décision de la Commission de la fonction publique ayant rejeté la demande de l’appelante conformément à l’art. 114 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) en vue d’obtenir la permission de briguer l’investiture d’un parti politique et, si elle était investie, de se présenter comme candidate de ce parti politique à l’élection fédérale d’octobre 2015 — L’appelante travaillait auparavant comme procureure fédérale au service de la Direction des poursuites réglementaires et économiques et de la gestion, laquelle relève du Service des poursuites pénales du Canada (le SPPC) — Le directeur des poursuites pénales (le DPP) n’a pas appuyé l’appelante, car il n’était pas d’accord qu’il n’y aurait pas apparence de partialité si l’appelante n’était pas investie ou élue — La Commission a rejeté la demande de l’appelante parce qu’elle n’était pas convaincue, comme l’exigent les art. 114(4) et (5) de la LEFP, que l’appelante pourrait réintégrer son poste sans qu’il n’y ait d’atteinte ni d’apparence d’atteinte à sa capacité d’exercer ses fonctions de façon impartiale — La Cour fédérale a rejeté la demande au motif que la décision de la Commission était raisonnable puisqu’elle était le fruit d’une mise en balance proportionnée, d’une part, du droit de l’appelante de participer au processus politique que lui garantissent les art. 2b) et 3 de la Charte canadienne des droits et libertés et, d’autre part, de l’intérêt du public à une fonction publique dont les membres exercent, et semblent exercer, leurs fonctions de façon politiquement impartiale — Il s’agissait de savoir si la décision de la Commission qui a refusé à l’appelante la permission de briguer une charge élective était raisonnable — L’analyse de la Commission a consisté à mettre en équation, d’une part, l’autonomie, le pouvoir discrétionnaire et la visibilité et, d’autre part, l’atteinte à la capacité de l’appelante d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale — La Commission n’a pas justifié ses conclusions; elle a fondé son raisonnement sur des liens de causalité qui lui paraissaient évidents — La Commission devait décider si permettre à l’appelante de briguer une charge élective porterait atteinte ou semblerait porter atteinte à sa capacité d’exercer ses fonctions de façon impartiale lorsqu’elle réintégrerait son poste après les élections — Bien que la Commission ait évoqué l’autonomie, le pouvoir discrétionnaire et la visibilité comme facteurs dans son appréciation, elle n’a pas expliqué comment ceux-ci avaient mené à sa conclusion finale — Quant à la question concernant l’apparence d’atteinte, la question que la Commission devait examiner concernait, non pas l’indépendance de la poursuite, mais sa partisanerie — La Commission n’a pas fait de distinction entre une atteinte réelle à la capacité de l’appelante d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale et une apparence d’atteinte — Ce sont ces erreurs de raisonnement qui ont rendu la décision de la Commission déraisonnable — Par conséquent, la décision était lacunaire sur les plans de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité — Bien que la décision ait été annulée, étant donné que l’élection fédérale de 2015 était désormais chose du passé, l’affaire n’a pas été renvoyée à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelante de la décision de la Commission de la fonction publique (la Commission) ayant rejeté la demande de l’appelante conformément à l’article 114 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) en vue d’obtenir la permission de briguer l’investiture d’un parti politique et, si elle était investie, de se présenter comme candidate de ce parti politique à l’élection fédérale d’octobre 2015.

L’appelante travaillait auparavant comme procureure fédérale au service de la Direction des poursuites réglementaires et économiques et de la gestion, laquelle relève du Service des poursuites pénales du Canada (le SPPC). Son équipe était chargée des poursuites relatives à des infractions à la réglementation fédérale. Après avoir présenté une demande à la Commission, elle a demandé un congé sans solde qui débuterait le jour de son investiture et se terminerait à la fin de la période électorale. Dans l’éventualité où elle serait défaite, elle offrait de prendre un congé de « transition » sans solde et d’occuper par la suite au sein du SPPC un poste ne nécessitant pas sa participation aux poursuites. Le superviseur immédiat de l’appelante a appuyé la demande de l’appelante alors que le directeur des poursuites pénales (le DPP) était d’avis contraire, n’étant pas d’accord qu’il n’y aurait pas apparence de partialité si l’appelante n’était pas investie ou élue. La Commission a rejeté la demande de l’appelante parce qu’elle n’était pas convaincue, comme l’exigent les paragraphes 114(4) et (5) de la LEFP, que l’appelante pourrait réintégrer son poste sans qu’il n’y ait d’atteinte ni d’apparence d’atteinte à sa capacité d’exercer ses fonctions de façon impartiale. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelante au motif que la décision de la Commission était raisonnable puisqu’elle était le fruit d’une mise en balance proportionnée, d’une part, du droit de l’appelante de participer au processus politique que lui garantissent l’alinéa 2b) et l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés et, d’autre part, de l’intérêt du public à une fonction publique dont les membres exercent — et semblent exercer — leurs fonctions de façon politiquement impartiale.

Il s’agissait de savoir si la décision de la Commission qui a refusé à l’appelante la permission de briguer une charge élective était raisonnable.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Il appert des dispositions pertinentes de la LEFP que, pour accorder ou non à un fonctionnaire la permission de briguer une charge élective, on pourrait raisonnablement s’attendre de la Commission qu’elle ait une idée claire de ce qui porterait atteinte ou semblerait porter atteinte à la capacité d’un fonctionnaire d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale. La tâche de la Commission est d’autant plus difficile qu’elle doit statuer sur une situation future, en ce sens qu’on lui demande de décider si briguer une charge élective portera atteinte à la capacité d’un fonctionnaire d’exercer ses fonctions à l’avenir. Une analyse similaire s’impose relativement à la perception du public de la capacité du fonctionnaire de se montrer politiquement impartial. Une atteinte causée par de la partisanerie et la perception d’une telle atteinte constituent deux analyses distinctes. La LEFP fournit une liste de facteurs dont la Commission peut tenir compte pour décider d’accorder ou non à un fonctionnaire la permission de briguer une charge élective, et la Commission doit accorder une valeur prédictive de ces facteurs dans le cadre de l’une ou l’autre des deux analyses auxquelles la Commission doit procéder. La question de savoir comment la Commission a traité le rapport entre le fait de briguer une charge élective et l’impartialité politique a été abordée. L’analyse de la Commission a consisté à mettre en équation, d’une part, l’autonomie, le pouvoir discrétionnaire et la visibilité et, d’autre part, l’atteinte à la capacité de l’appelante d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale. La Commission n’a pas justifié ses conclusions et semble avoir fondé son raisonnement sur des liens de causalité qui lui paraissaient évidents. La Commission avait pour tâche de trancher deux questions : elle devait décider si permettre à l’appelante de briguer une charge élective 1) porterait atteinte ou 2) semblerait porter atteinte à sa capacité d’exercer ses fonctions de façon impartiale lorsqu’elle réintégrerait son poste après les élections. Bien que la Commission ait évoqué l’autonomie, le pouvoir discrétionnaire et la visibilité comme facteurs dans son appréciation, elle n’a pas expliqué comment ceux-ci avaient mené à sa conclusion finale.

Quant à la question portant sur l’apparence d’atteinte, la Commission paraît avoir pris à cœur les préoccupations du DPP au sujet de l’indépendance de la poursuite. Bien que ce dernier ait un intérêt légitime dans l’apparence d’indépendance de son Bureau, la Commission était néanmoins tenue d’examiner soigneusement ses commentaires. Les préoccupations relatives à l’indépendance des procureurs sont liées à la possibilité que le gouvernement au pouvoir profite de son contrôle sur les poursuites pénales pour punir ses ennemis ou favoriser ses visées partisanes. Cependant, il n’était pas évident que la candidature de l’appelante aurait soulevé la question de l’indépendance de la poursuite dans ce sens. La question que la Commission devait examiner concernait, non pas l’indépendance de la poursuite, mais sa partisanerie. En résumé, la Commission n’a pas fait de distinction entre une atteinte réelle à la capacité de l’appelante d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale et une apparence d’atteinte. Si ces omissions ont révélé une lacune dans l’élaboration des motifs de la Commission, elles ont également laissé paraître des erreurs de raisonnement qui ont rendu la décision déraisonnable. Autrement dit, la décision était lacunaire sur les plans de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. Bien que la décision ait été annulée, étant donné que l’élection fédérale de 2015 était désormais chose du passé, l’affaire n’a pas été renvoyée à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision puisque celle-ci n’aurait aucun effet pratique sur le droit de l’appelante de briguer une charge élective.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b), 3.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9.

Loi sur le lobbying, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 44.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, art. 112, 114.

Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 R.C.S. 983.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395; Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455.

DÉCISIONS CITÉES :

École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75; Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41 (C.A.); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2015 CF 155, [2016] 2 R.C.F. 297) qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelante de la décision de la Commission de la fonction publique ayant rejeté la demande de l’appelante conformément à l’article 114 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) en vue d’obtenir la permission de briguer l’investiture d’un parti politique et, si elle était investie, de se présenter comme candidate de ce parti politique à l’élection fédérale d’octobre 2015. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Christopher C. Rootham et Andrew Reinholdt pour l’appelante.

Adrian Bieniasiewicz pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Nelligan O’Brien Payne LLP, Ottawa, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Voici la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Pelletier, J.C.A. :

I.          INTRODUCTION

[1]        L’appelante, Emilie Taman, travaillait auparavant comme procureure fédérale au service de la Direction des poursuites réglementaires et économiques et de la gestion, laquelle relève du Service des poursuites pénales du Canada (le SPPC). Son équipe était chargée des poursuites relatives à des infractions à la réglementation fédérale. Elle s’occupait des poursuites intentées en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27; de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14; de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 et de la Loi sur le lobbying, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 44.

[2]        Le 21 novembre 2014, Me Taman a présenté une demande à la Commission de la fonction publique (la Commission), conformément à l’article 114 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), en vue d’obtenir la permission de briguer l’investiture d’un parti politique et, si elle était investie, de se présenter comme candidate de ce parti politique à l’élection fédérale du 19 octobre 2015. Elle a demandé un congé sans solde qui débuterait le jour de son investiture et se terminerait à la fin de la période électorale. Dans l’éventualité où elle serait défaite, elle offrait de prendre un congé de « transition » sans solde et d’occuper par la suite au sein du SPPC un poste ne nécessitant pas sa participation aux poursuites.

[3]        Le superviseur immédiat de Me Taman était d’avis que la capacité de cette dernière d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale serait atteinte ou semblerait atteinte après son investiture et durant la période électorale. Toutefois, il était convaincu qu’il n’y aurait aucune atteinte ni aucune apparence d’atteinte après le retour au travail de Me Taman si elle n’était pas investie ou élue. Il a donc appuyé sa demande.

[4]        Le directeur des poursuites pénales (le DPP) n’était pas d’accord qu’il n’y aurait pas apparence de partialité si Me Taman n’était pas investie ou élue. De l’avis du DPP, le fait de briguer l’investiture d’un parti politique dénote une forte allégeance envers le parti et son programme. On pourrait croire que cette allégeance mine la capacité de Me Taman d’exercer ses fonctions relatives aux poursuites de manière indépendante, en particulier dans les dossiers à caractère politique, comme ceux portant sur des infractions à la Loi sur le lobbying, à la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, et à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1. Le DPP était également d’avis que Me Taman ne pourrait être mutée à un poste ne nécessitant pas sa participation aux poursuites à son retour puisqu’il existe peu de postes de ce genre au sein du SPPC.

[5]        Le 16 décembre 2014, la Commission a rejeté la demande de Me Taman parce qu’elle n’était pas convaincue, comme l’exigent les paragraphes 114(4) et (5) de la LEFP, que Me Taman pourrait réintégrer son poste sans qu’il n’y ait d’atteinte ni d’apparence d’atteinte à sa capacité d’exercer ses fonctions de façon impartiale. Me Taman a demandé à la Cour fédérale de procéder au contrôle judiciaire de la décision de la Commission. La juge Kane, de la Cour fédérale, reconnaissant que la décision de la Commission restreignait les droits que la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) garantit à Me Taman, a toutefois conclu que la décision était le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits protégés par la Charte et de la capacité de Me Taman d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale à son retour au travail. Me Taman interjette appel de ce jugement auprès de la Cour.

[6]        Pour les motifs exposés ci-après, je ferais droit à l’appel. Étant donné que l’élection fédérale de 2015 est maintenant chose du passé, je ne renverrais pas l’affaire à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision puisque celle-ci n’aurait aucun effet pratique sur le droit de Me Taman de briguer une charge élective.

II.         LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]        Je commencerai par examiner la décision de la Commission refusant à Me Taman la permission de briguer une charge élective.

[8]        Afin d’éviter la répétition des formules encombrantes « désireux d’être choisi […] comme candidat à une élection fédérale, provinciale ou territoriale » [au paragraphe 114(1) de la LEFP] et « [avoir] été choisi comme candidat à une élection fédérale, provinciale ou territoriale » [au paragraphe 114(2) de la LEFP], je propose de désigner le processus consistant à demander la permission de briguer l’investiture d’un parti politique et, si l’investiture est obtenue, à demander la permission de se porter candidat à une élection par l’expression « briguer une charge élective ».

[9]        En outre, bien que le contraire grammatical d’« impartialité politique » soit « partialité politique », cette expression n’est pas très évocatrice. Je crois que le mal auquel la LEFP vise à remédier est la partisanerie politique dans la fonction publique ou le risque d’apparence de partisanerie. Je propose donc d’employer les expressions « partisanerie » ou « partisanerie politique » pour désigner le contraire de l’impartialité politique. Comme il a été souligné dans l’arrêt R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 R.C.S. 983 (Cawthorne), au paragraphe 27, dans le contexte de l’indépendance de la poursuite, « [l]e mot “partisan” n’est pas, au sens large, synonyme de “politique”. » Toutefois, dans le contexte de la présente analyse, je propose d’employer les deux mots comme des synonymes par souci de commodité et de concision.

[10]      La Commission a commencé par résumer le cadre législatif régissant la demande de Me Taman en vue d’obtenir la permission de briguer une charge élective aux élections fédérales de 2015. Après avoir énuméré les sources d’information dont elle disposait, la Commission a dit craindre que la capacité de Me Taman d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale puisse être atteinte ou sembler être atteinte [traduction] « en raison de la nature de ses fonctions ainsi que de la publicité, de la visibilité et de la reconnaissance accrues que l’on associerait au fait qu’elle désire être choisie comme candidate et se porter candidate à une élection fédérale » (dossier d’appel (DA), à la page 73).

[11]      La Commission a ensuite résumé les fonctions de Me Taman, en soulignant que Me Taman était très visible lorsqu’elle comparaissait en cour à titre de procureure fédérale, souvent devant des membres du public, dont des amis et des membres de la famille du défendeur [maintenant l’appelante]. De plus, elle pouvait être tenue de s’adresser aux médias pour fournir des renseignements au sujet d’un dossier.

[12]      La Commission a ensuite fait état des préoccupations exprimées par le DPP, à savoir qu’être candidat d’un parti politique révèle, selon le DPP, une allégeance importante à ce parti, ce qui minerait l’indépendance des fonctions de son bureau en matière de poursuites. La Commission a conclu qu’il était possible qu’il en découle, par ricochet, une perception selon laquelle Me Taman ne pouvait exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale.

[13]      Ensuite, la Commission a examiné la question de savoir si le risque d’une atteinte causée par la partisanerie pouvait être atténué, dans l’éventualité où Me Taman serait défaite aux urnes, par un congé sans solde ou par une réaffectation à des fonctions n’exigeant pas sa participation aux poursuites après l’élection. Cette possibilité semblait écartée d’emblée par l’affirmation du DPP selon laquelle il ne pouvait prendre de telles dispositions à cause de la taille modeste de son organisation.

[14]      La Commission a finalement conclu que le fait de se porter candidate pour un parti politique [traduction] « pourrait porter atteinte ou sembler porter atteinte » à la capacité de Me Taman d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale. En conséquence, la Commission n’était pas convaincue que les conditions énoncées aux paragraphes 114(4) et (5) de la LEFP avaient été remplies, et la permission ne pouvait donc pas être accordée.

[15]      L’affaire a ensuite été portée devant la Cour fédérale [2015 CF 155, [2016] 2 R.C.F. 297] dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Pour les besoins du présent appel, il suffit de dire que la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de Me Taman au motif que la décision de la Commission était raisonnable puisqu’elle était le fruit d’une mise en balance proportionnée, d’une part, du droit de Me Taman de participer au processus politique que lui garantissent l’alinéa 2b) et l’article 3 de la Charte et, d’autre part, de l’intérêt du public à une fonction publique dont les membres exercent — et semblent exercer — leurs fonctions de façon politiquement impartiale. La Cour fédérale a adopté le cadre d’analyse des décisions administratives mettant en jeu les droits du demandeur garantis par la Charte que la Cour suprême avait énoncé dans les arrêts Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395 (Doré) et, plus récemment, École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613.

III.        NORME DE CONTRÔLE

[16]      Dans l’appel du contrôle judiciaire effectué par la Cour fédérale, notre Cour doit décider si la Cour fédérale a adopté la bonne norme de contrôle et, dans l’affirmative, si elle l’a appliquée correctement (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, aux paragraphes 43 et 44). Dans la pratique, cela signifie que la Cour se met à la place de la Cour fédérale (Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au paragraphe 247; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46).

[17]      En l’espèce, la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. La permission de briguer une charge élective qui était sollicitée obligeait la Commission à interpréter et à appliquer sa loi constitutive. Par conséquent, la présomption d’assujettissement à la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique au contrôle judiciaire de la décision de la Commission, car elle ressortit au droit administratif (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 34; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, aux paragraphes 22 et 23).

[18]      Puisque je n’ai pas l’intention de traiter des questions relatives à la Charte qui ont été soulevées dans les plaidoiries devant nous, je n’examinerai pas la décision de la Commission pour voir si elle est raisonnable dans le sens où elle « est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte » (Doré, au paragraphe 57). Je choisis de ne pas traiter des questions relatives à la Charte parce que, mis à part un renvoi unique à la Charte dans sa réponse à la thèse du DPP (DA, à la page 788), Me Taman ne semble pas avoir soulevé ces questions devant la Commission. La Cour est réticente à entreprendre des examens fondés sur la Charte lorsque les parties n’ont pas exercé leurs recours fondés sur la Charte devant le décideur initial (voir Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75, au paragraphe 37). Cette réticence est fondée sur la nécessité de donner à l’office fédéral la possibilité de présenter des éléments de preuve au soutien d’un argument concernant les « limites raisonnables », qui se plaide mieux devant le juge des faits. Elle se fonde également sur notre reconnaissance du fait que l’analyse du décideur initial fournira des indications utiles pour bien mettre en balance les différents facteurs en jeu.

IV.       ANALYSE

[19]      Par souci de commodité, les dispositions pertinentes de la LEFP sont reproduites ci-dessous :

Objet

112 La présente partie a pour objet de reconnaître aux fonctionnaires le droit de se livrer à des activités politiques tout en respectant le principe d’impartialité politique au sein de la fonction publique.

[…]

Fonctionnaires désireux d’être choisi comme candidat

114 (1) Le fonctionnaire désireux d’être choisi, avant ou pendant la période électorale, comme candidat à une élection fédérale, provinciale ou territoriale doit demander et obtenir la permission de la Commission.

Période pré-électorale

(2) Le fonctionnaire qui a été choisi comme candidat à une élection fédérale, provinciale ou territoriale doit, pour la période précédant la période électorale, demander et obtenir la permission de la Commission.

Période électorale

(3) Le fonctionnaire désireux de se porter candidat à une élection fédérale, provinciale ou territoriale doit, pour la période électorale, demander à la Commission et obtenir d’elle un congé sans solde.

Permission

(4) La Commission n’accorde la permission aux termes des paragraphes (1) ou (2) que si elle est convaincue que la capacité du fonctionnaire d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale ne sera pas atteinte ou ne semblera pas être atteinte.

Condition

(5) La Commission n’accorde le congé aux termes du paragraphe (3) que si elle est convaincue que le fait pour le fonctionnaire d’être candidat pendant la période électorale ne portera pas atteinte ou ne semblera pas porter atteinte à sa capacité d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale.

Facteurs

(6) Pour prendre sa décision, la Commission peut tenir compte notamment de la nature des fonctions du fonctionnaire, du niveau et de la visibilité de son poste et de la nature de l’élection.

[20]      Il appert de ces dispositions que le législateur se souciait, non pas de l’impartialité politique comme telle, mais de l’atteinte ou de l’apparence d’atteinte à la capacité d’un fonctionnaire d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale. Il s’ensuit selon moi que, pour accorder ou non à un fonctionnaire la permission de briguer une charge élective, on pourrait raisonnablement s’attendre de la Commission qu’elle ait une idée claire de ce qui porterait atteinte ou semblerait porter atteinte à la capacité d’un fonctionnaire d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale.

[21]      La tâche de la Commission est d’autant plus difficile qu’elle doit statuer sur une situation future. On ne lui demande pas de décider si briguer une charge élective a porté atteinte à la capacité d’un fonctionnaire d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale dans un cas donné, mais plutôt si briguer une charge élective portera atteinte à cette capacité à l’avenir. Une analyse similaire s’impose relativement à la perception du public de la capacité du fonctionnaire de se montrer politiquement impartial. Ainsi, la Commission doit avoir une certaine idée des faits ou des caractéristiques vérifiables avant la campagne électorale dont l’existence permettrait ou pourrait permettre de prévoir la conduite du fonctionnaire, ou la perception à l’égard de sa conduite, après la campagne.

[22]      Une atteinte causée par de la partisanerie et la perception d’une telle atteinte constituent deux analyses distinctes. Un fonctionnaire pourrait persuader la Commission qu’il agira, en fait, de façon politiquement impartiale après l’élection sans réussir à la convaincre qu’il ne semblera pas agir de façon politiquement partisane. Bien que des considérations puissent se recouper, l’on peut s’attendre à ce que des facteurs soient propres à un volet ou à l’autre de l’analyse de la Commission.

[23]      La LEFP fournit bien une liste de facteurs dont la Commission peut tenir compte pour décider d’accorder ou non à un fonctionnaire la permission de briguer une charge élective : la nature de l’élection, la nature des fonctions de l’employé, et le niveau et la visibilité de son poste (LEFP, paragraphe 114(6)). La question qui se pose est celle de la valeur prédictive de ces facteurs dans le cadre de l’une ou l’autre des deux analyses auxquelles la Commission doit procéder.

[24]      Par exemple, comment la connaissance des fonctions de l’employé aide-t-elle la Commission à décider s’il y aura atteinte à la capacité de l’employé d’exercer ces fonctions de façon politiquement impartiale dans l’éventualité où il subirait une défaite électorale?

[25]      Aussi bien avant qu’après s’être présentés à des élections, les fonctionnaires ont une obligation de loyauté envers leur employeur, une obligation qui exige d’eux, à quelques exceptions près, qu’ils s’abstiennent de critiquer publiquement les politiques du gouvernement. Dans l’arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455 (Fraser), le juge en chef Dickson a énuméré les caractéristiques qui sont nécessaires pour que les fonctionnaires puissent accomplir leurs fonctions : les connaissances, l’équité et l’intégrité. Le juge en chef a poursuivi en décrivant une quatrième caractéristique nécessaire :

Comme l’arbitre l’a indiqué, il existe une autre caractéristique qui est la loyauté. En règle générale, les fonctionnaires fédéraux doivent être loyaux envers leur employeur, le gouvernement du Canada. Ils doivent être loyaux envers le gouvernement du Canada et non envers le parti politique au pouvoir. Un fonctionnaire n’est pas tenu de voter pour le parti au pouvoir. Il n’est pas non plus tenu d’endosser publiquement ses politiques. […] je suis d’avis qu’un fonctionnaire ne doit pas, comme l’a fait l’appelant en l’espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement. Selon moi, en se conduisant de cette manière, l’appelant a manifesté envers le gouvernement un manque de loyauté incompatible avec ses fonctions en tant qu’employé du gouvernement.

Fraser, à la page 470

[26]      À moins que l’on soit prêt à présumer (sans preuve) que, plus un fonctionnaire a d’autonomie et de pouvoir discrétionnaire, plus il est susceptible de manquer à son obligation de loyauté et d’adopter une conduite empreinte de partisanerie (ou qui semble telle) après avoir brigué une charge publique, il faut se demander comment l’autonomie et le pouvoir discrétionnaire dont est investi un fonctionnaire donné permettent de prévoir la manière dont ce fonctionnaire se conduira (ou semblera se conduire) après avoir été défait à une élection. Le fait que la LEFP permette qu’il soit tenu compte de la nature des fonctions d’un fonctionnaire ne signifie pas nécessairement que certaines fonctions, par opposition à d’autres, augmentent les probabilités d’activité partisane, ou l’apparence d’activité partisane, au retour au travail de ce fonctionnaire.

[27]      La nature d’une campagne électorale est telle qu’elle portera un fonctionnaire-candidat à l’attention du grand public. Il en découle un risque accru que quelqu’un puisse prétendre que cette personne agit d’une manière partisane après son retour au travail. Vraisemblablement, la simple possibilité d’une plainte, sans égard au bien-fondé de celle-ci, ne saurait justifier que l’on refuse à un fonctionnaire la permission de briguer une charge publique. Si l’on accorde trop de poids à cette possibilité, aucun fonctionnaire qui traite avec le public de quelque façon que ce soit n’obtiendra jamais de permission. La Commission doit pouvoir pondérer, d’une part, la probabilité que des plaintes soient formulées et le risque de perception négative du fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions après l’élection et, d’autre part, le droit de participer au processus électoral que l’article 112 de la LEFP offre aux fonctionnaires. De plus, la Commission peut également évaluer les risques de perception négative du public et décider s’ils peuvent être atténués au moyen de mesures de sensibilisation publique que pourrait prendre la Commission elle-même ou des gestionnaires du ministère concerné.

[28]      Ce sont là certaines des questions que soulèvent l’interprétation et l’application des dispositions de la LEFP relatives aux activités politiques. Précisons que les restrictions imposées aux fonctionnaires aux termes de la loi antérieure ont été invalidées pour cause de portée excessive (Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, à la page 101). Il me paraît invraisemblable que le législateur ait voulu priver tous les fonctionnaires à l’exception des plus subalternes du droit de briguer une charge élective.

[29]      Quant à la décision de la Commission, comment celle-ci a-t-elle traité le rapport entre le fait de briguer une charge élective et l’impartialité politique?

[30]      La Commission a dit craindre que la capacité de Me Taman d’exercer ses fonctions à titre de procureure générale de façon politiquement impartiale soit atteinte ou semble être atteinte [traduction] « en raison de la nature de ses fonctions ainsi que de la publicité, de la visibilité et de la reconnaissance accrues qui découleraient du fait de briguer l’investiture et de se porter candidate à une élection fédérale » (DA, à la page 73). La Commission affirme ensuite que Me Taman aurait une visibilité accrue par suite des activités de campagne servant à la faire connaître dans la circonscription dans laquelle elle briguait l’investiture du parti.

[31]      À ce stade, la Commission semble mettre en opposition la capacité de Me Taman d’exercer ses fonctions de procureure fédérale de façon impartiale et la publicité, la visibilité et la reconnaissance qui découleraient du fait de briguer une charge élective. Elle laisse entendre ainsi que si la publicité, la visibilité et la reconnaissance augmentent, la capacité (ou l’apparence de capacité) d’exercer ses fonctions sans atteinte causée par de la partisanerie diminue d’autant. La véracité de cette proposition est peut-être démontrable, mais il ne s’agit pas d’une évidence.

[32]      La Commission a ensuite résumé les fonctions de Me Taman à titre de procureure fédérale au service de la Direction des poursuites réglementaires et économiques et de la gestion. Elle a fait remarquer que Me Taman jouissait d’un degré élevé d’autonomie et de pouvoir décisionnel. Elle a également fait remarquer que Me Taman prenait part à différentes activités liées à la poursuite d’infractions à des lois fédérales, comme prodiguer des conseils à des organismes d’enquête comme la GRC, discuter avec les avocats de la défense en vue d’arriver à des ententes sur les plaidoyers et les peines et participer aux conférences en vue de régler des questions dans certains dossiers. La Commission a fait remarquer que Me Taman était très visible lorsqu’elle comparaissait en cour.

[33]      La Commission a ensuite fait état des préoccupations du DPP selon qui briguer une charge élective indique une allégeance importante à un parti politique et à son programme. De l’avis du DPP, l’indépendance des fonctions du Bureau en matière de poursuites en serait minée. La Commission a conclu que d’aucuns pourraient croire que Me Taman n’était pas capable d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale.

[34]      Voilà l’essentiel de l’analyse de la Commission au sujet de la question de savoir si la capacité d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale de Me Taman, de retour au travail après avoir brigué en vain une charge élective, serait atteinte ou semblerait avoir été atteinte.

[35]      J’ai l’impression que l’analyse de la Commission a consisté à mettre en équation, d’une part, l’autonomie, le pouvoir discrétionnaire et la visibilité et, d’autre part, l’atteinte à la capacité de Me Taman d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale. La Commission semble également avoir admis sans réserve la prétention du DPP selon laquelle la candidature d’une procureure et l’allégeance importante à un parti politique et à son programme que dénote cette candidature minent l’indépendance du Bureau.

[36]      Je ne dis pas qu’il est impossible que ces conclusions puissent finir par être jugées raisonnables. Je dis seulement que la Commission ne les a pas justifiées. Elle semble avoir fondé son raisonnement sur des liens de causalité qui lui paraissaient évidents.

[37]      Au risque de me répéter, la Commission avait pour tâche de trancher deux questions. Elle devait décider si permettre à Me Taman de briguer une charge élective 1) porterait atteinte ou 2) semblerait porter atteinte à sa capacité d’exercer ses fonctions de façon impartiale lorsqu’elle réintégrerait son poste après les élections.

[38]      La Commission a évoqué l’autonomie, le pouvoir discrétionnaire et la visibilité comme facteurs dans son appréciation sans expliquer comment ceux-ci avaient mené à sa conclusion finale. L’autonomie, le pouvoir discrétionnaire et la visibilité de Me Taman seraient demeurés inchangés avant et après l’élection. S’ils ne portaient pas atteinte à sa capacité (par opposition à la perception de sa capacité) d’exercer ses fonctions avant l’élection, pourquoi y auraient-ils porté atteinte après l’élection? Les possibilités d’agir de manière partisane auraient été les mêmes, tant avant qu’après l’élection. Si les opinions politiques de Me Taman n’influaient pas sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire avant l’élection, pourquoi le feraient-ils après l’élection?

[39]      Si la Commission a des réponses à ces questions, elle ne les a pas exposées de manière à permettre à la Cour d’évaluer le caractère raisonnable de ses conclusions.

[40]      Le volet de l’analyse portant sur l’apparence d’atteinte se présente d’une manière légèrement différente, mais soulève les mêmes questions. Comme la Commission l’a souligné, en briguant une charge élective, Me Taman prendrait part à des activités de campagne afin de se faire connaître et de devenir reconnaissable dans sa circonscription, voire au-delà. Il s’ensuivrait que, lorsqu’elle réintégrerait ses fonctions, pendant un certain temps, des membres du public la reconnaîtraient pour s’être portée candidate d’un parti politique. Plus son poste serait visible, plus grande serait la reconnaissance de son affiliation politique.

[41]      Cela dit, comment son affiliation politique, dorénavant connue publiquement, influerait-elle sur la perception quant à sa capacité d’exécuter ses fonctions de façon politiquement impartiale? Il importe d’opérer une distinction entre une affiliation politique connue et une activité politique en milieu de travail. Il faut présumer que Me Taman s’abstiendrait de toute activité politique au travail, de sorte que la seule cause d’apparence de partialité dans l’exercice de ses fonctions constituerait son affiliation politique connue. La question que devait se poser la Commission était celle de savoir si le fait que l’affiliation politique d’une fonctionnaire devienne notoire constitue en soi un motif suffisant pour refuser à celle-ci la permission de briguer une charge élective.

[42]      La politique est une activité partisane; les militants d’autres partis politiques pourraient bien critiquer le rendement de Me Taman dans l’exercice de ses fonctions pour des raisons purement partisanes, sans aucun rapport avec quelque partialité réelle ou apparente que ce soit. Il se peut que de telles critiques soient assimilées à la perception d’une atteinte à la capacité de Me Taman d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale. C’est à la Commission de trancher cette question, mais il est possible de soutenir que le droit de Me Taman de participer pleinement au processus électoral ne devrait pas être limité en raison du risque que son impartialité soit mise en doute de mauvaise foi.

[43]      Évidemment, les allégations de partisanerie politique ne seraient pas toutes faites de mauvaise foi. Comment les évaluerait-on si Me Taman avait obtenu la permission de briguer une charge publique, mais avait été défaite? Si on lui reprochait d’avoir fait preuve de partisanerie dans un dossier précis, par exemple dans une poursuite intentée sous le régime de la Loi sur le lobbying, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 44, cette allégation serait peut-être évaluée au regard du critère relatif à la partialité énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, ou celui relatif aux conflits d’intérêts décrit dans l’arrêt Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41 (C.A.), aux pages 56 et 57. Or, la Commission n’est pas chargée de statuer sur des cas concrets de crainte raisonnable de partialité ou de conflit d’intérêts. Elle doit décider si le fait de se porter candidat pour un parti politique, en soi, semblera porter atteinte à la capacité d’un fonctionnaire d’exercer ses fonctions sans partisanerie.

[44]      La Commission paraît avoir pris à cœur les préoccupations du DPP au sujet de l’indépendance de la poursuite. Bien que ce dernier ait un intérêt légitime dans l’apparence d’indépendance de son Bureau, la Commission était néanmoins tenue d’examiner soigneusement ses commentaires. Les préoccupations relatives à l’indépendance des procureurs sont liées à la possibilité que le gouvernement au pouvoir profite de son contrôle sur les poursuites pénales pour punir ses ennemis ou favoriser ses visées partisanes. Ces préoccupations sont expliquées au paragraphe 23 de l’arrêt Cawthorne :

[…] La juge Charron a repris cette idée dans Miazga c. Kvello (Succession), 2009 CSC 51, [2009] 3 R.C.S. 339, décrivant l’indépendance du procureur général comme un principe « consacr[é] par la Constitution » qui « veut que le procureur général agisse indépendamment de toute pression politique du gouvernement » (par. 46). Or, la logique de ces affirmations s’étend clairement aux procureurs du ministère public et aux autres fonctionnaires exerçant une fonction de poursuivant.

[45]      Malgré la haute estime que j’ai pour l’opinion du DPP, un fonctionnaire respecté, il n’est pas évident que la candidature de Me Taman aurait soulevé la question de l’indépendance de la poursuite dans le sens évoqué précédemment. La question que la Commission devait examiner concernait, non pas l’indépendance de la poursuite, mais sa partisanerie. Quelle était la probabilité que Me Taman, après avoir brigué en vain une charge élective, adopte une conduite qui serait empreinte de partisanerie politique ou qui prêterait le flanc à des allégations de partisanerie politique?

[46]      L’opinion du DPP semble avoir été influencée par le fait que son Bureau avait été appelé à se défendre (ce qu’il avait réussi à faire) à l’occasion d’une requête visant à retirer d’un dossier un procureur qui s’était porté candidat à une élection 20 ans plus tôt. Sans doute le DPP avait-il été embarrassé par les allégations de partialité et était-il soucieux d’éviter de répéter l’expérience, mais la question que la Commission devait trancher était celle de savoir si les scrupules du DPP étaient suffisants pour justifier de priver Me Taman de son droit, reconnu par la LEFP, de participer au processus politique.

V.        CONCLUSION

[47]      En résumé, la Commission n’a pas justifié son refus d’accorder la permission à Me Taman de briguer une charge élective. Elle a évoqué les facteurs énumérés à la LEFP sans démontrer comment ces facteurs étayaient sa conclusion. La Commission n’a pas fait de distinction entre une atteinte réelle à la capacité de Me Taman d’exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale et une apparence d’atteinte. Si ces omissions révèlent une lacune dans l’élaboration des motifs de la Commission, elles laissent également paraître des erreurs de raisonnement qui rendent la décision déraisonnable. Autrement dit, la décision est lacunaire sur les plans de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

[48]      En conséquence, je ferais droit à l’appel et j’annulerais la décision de la Commission avec dépens en faveur de Me Taman devant la Cour et la Cour fédérale. Nous avons été informés à l’audience de l’appel que la présente affaire n’est pas théorique puisque Me Taman a déposé un grief concernant sa situation d’emploi, qui n’est pas réglé. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas en quoi il serait utile de demander à la Commission de statuer à nouveau sur la demande de permission de Me Taman, car il s’agirait d’un exercice tout à fait accessoire. En conséquence, je ne renverrais pas l’affaire à la Commission pour que celle-ci rende une nouvelle décision.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Scott, J.C.A. : Je suis d’accord.

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