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     T-1757-02

    2003 CF 1155

Margaret Ault (demanderesse)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié: Aultc. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge Snider--Ottawa, 17 septembre et 6 octobre 2003.

Fonction publique -- Pensions -- La demanderesse, fonctionnaire, a démissionné de son emploi au sein de la fonction publique fédérale pour tirer avantage d'un Accord réciproque de transfert (ART) et a demandé le transfert de son fonds de pension de la Caisse de retraite de la fonction publique dans le fonds de retraite d'un cabinet de consultants -- La Couronne a refusé ultérieurement de transférer le fonds de pension pour le motif qu'il n'y avait pas de relation d'emploi véritable, tel que le requéraient l'ART et la Loi sur la pension dans la fonction publique -- La demanderesse ne peut révoquer sa demande qu'avec le consentement du ministre et sous réserve des conditions jugées appropriées par ce dernier -- Toutefois, l'obligation imposée à la demanderesse par le ministre de signer un accord de désistement et d'indemnité ne constitue pas un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire.

La demanderesse a démissionné de son emploi au sein de la fonction publique fédérale pour tirer avantage d'un Accord réciproque de transfert (ART) de pension conclu entre la Couronne et Loba Limited, un cabinet de consultants. Le ministre a convenu, en vertu de cet ART, de verser au fonds de retraite de Loba une somme, fixée par l'ART, eu égard à tout contributeur à la Caisse de retraite de la fonction publique ayant mis fin à son emploi dans la fonction publique et étant devenu un employé véritable de Loba. La demanderesse a demandé que son fonds de pension soit transféré en vertu de l'ART. Loba devait toucher 7,5 p. 100 de l'argent transféré à titre d'honoraires. Le fonds de pension n'a jamais été transféré, la Couronne ayant adopté comme position qu'il n'y a jamais eu de relation d'emploi véritable, tel que le requéraient l'ART et les dispositions de la Loi sur la pension dans la fonction publique (LPFP), entre la demanderesse et Loba. Loba et son président ont été inculpés de quatre infractions liées à la fraude, en application du Code criminel. Loba a intenté une action pour rupture de contrat contre la Couronne. Compte tenu de la situation, la demanderesse a demandé au ministre qu'on révoque sa demande de transfert. La Couronne l'a informé qu'elle n'accepterait une révocation que si elle signait un accord de désistement et d'indemnité. Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision. La question en litige consiste à savoir si le ministre a oui ou non le pouvoir discrétionnaire d'exiger que la demanderesse signe un accord de désistement et d'indemnité, comme condition préalable à l'autorisation de révoquer sa demande de transfert de paiement et à l'obtention de ses premières prestations de pension. On peut diviser cette question en trois éléments: une fois qu'elle a présenté une demande de transfert de fonds de pension, la demanderesse peut-elle ensuite la révoquer; le ministre peut-il assortir une révocation de conditions; si on répond par l'affirmative aux deux premières questions, l'obligation imposée à la demanderesse par le ministre de signer un accord de désistement et d'indemnité constituait-il un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire?

Jugement: la demande est accueillie.

La capacité de la demanderesse de révoquer sa demande et le pouvoir du ministre d'assortir une révocation de conditions constituent des questions de pur droit. Dans de tels cas, les tribunaux devraient faire preuve d'une déférence moindre. Toutefois, la question de savoir de quelle manière le ministre a exercé son pouvoir, s'il y est autorisé par la loi, est une décision qui ne droit être annulée que si elle est manifestement déraisonnable.

La demanderesse a demandé qu'on procède à un transfert de paiement en faveur de Loba en vertu des alinéas 40(3) et (4) de la LPFP. Son consentement constituait une condition préalable au transfert du fonds de pension. Une fois le consentement de la demanderesse donné, le ministre avait le pouvoir discrétionnaire, si certaines autres conditions étaient réunies, de transférer les cotisations de retraite de la demanderesse. Aucune disposition de la LPFP ou de son règlement d'application ne prévoit ce qu'il advient lorsqu'un contributeur décide de révoquer ce consentement. Chaque accord est négocié individuellement entre le ministre et un tiers. Bien que chaque ART respecte les objectifs prévus à l'article 40 et doive être approuvé par le gouverneur en conseil, chaque accord a un caractère unique. Par conséquent, les dispositions de la LPFP ne régissent pas à elles seules la relation existant entre le ministre, Loba et un employé qui désire faire transférer à Loba son fonds de pension.

Étant donné la nature de ces ententes, il est raisonnable de conclure que le législateur entendait que le ministre conserve une large mesure de pouvoir discrétionnaire quant à la façon de procéder au transfert d'argent. En accordant au ministre toute latitude pour négocier l'accord, le législateur devait assurément avoir également l'intention qu'il soit en mesure de régler toute question imprévue, comme la question en l'espèce, qui pouvait survenir. Par conséquent, il est raisonnable de conclure qu'en conformité avec le pouvoir conféré au ministre par l'article 40 et en vertu de ce pouvoir, la demanderesse ne peut révoquer sa demande qu'avec le consentement du ministre et sous réserve des conditions jugées appropriées par ce dernier. Toutefois, les décisions du ministre ne doivent pas être manifestement déraisonnables.

L'obligation imposée à la demanderesse par le ministre de signer un accord de désistement et d'indemnité ne constituait pas un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Premièrement, il y a eu un retard de plus d'un an pendant lequel la demanderesse n'a pas été informée des graves problèmes soulevés par l'ART. Si elle l'avait su plus tôt, la demanderesse aurait pu, avec le consentement de Loba, révoquer son consentement pendant que le ministre acceptait toujours de telles révocations. Deuxièmement, bien que la demanderesse ait choisi librement de démissionner, elle n'est assurément en rien responsable du retard dans le transfert, non plus que de l'action intentée par Loba contre la Couronne. Troisièmement, il y a un grave déséquilibre dans le pouvoir de négociation des parties. La demanderesse, qui est maintenant âgée de 60 ans et qui a le droit par ailleurs de recevoir une pension, ne peut toucher l'argent sans accepter les conditions que le ministre lui impose. Les circonstances inhabituelles entourant la présente affaire m'amènent à conclure qu'il était manifestement déraisonnable d'exiger, à titre de condition préalable, que la demanderesse signe un accord de désistement et d'indemnité avant qu'on accepte la révocation de son consentement au transfert. Quoique le ministre doive protéger les intérêts des Canadiens et des pensionnés actuels et futurs, il doit recourir à cette fin à des mesures non arbitraires fondées sur davantage que des spéculations.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36, art. 8 (mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 6; 1999, ch. 34, art. 61), 10(6), 13 (mod. par L.C. 1996, ch. 18, art. 30; 1999, ch. 34, art. 65), 25(5) (mod., idem, art. 75), (6) (mod., idem), 40(3) (mod., idem, art. 87), (4) (mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 19), (5)

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, tarif B..

jurisprudence

décisions appliquées:

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757; (2002), 317 A.R. 1; 219 D.L.R. (4th) 233; [2003] 3 W.W.R. 197; 8 Alta. L.R. (4th) 1; 169 C.C.C. (3d) 1; 6 C.R. (6th) 23; 101 C.R.R. (2d) 35; [2003] 1 C.T.C. 135; 2002 DTC 7547; 295 N.R. 201.

décisions citées:

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 159; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231; (1994), 110 D.L.R. (4th) 1; [1994] 3 W.W.R. 609; 41 B.C.A.C. 81; 88 B.C.L.R. (2d) 145; 20 Admin. L.R. (2d) 202; 20 M.P.L.R. (2d) 1; 163 N.R. 81.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision rendue par le président du Conseil du Trésor du Canada que la Couronne n'accepterait une révocation de la demande de transfert faite par le demanderesse de son fonds de pension de la Caisse de retraite à un cabinet de consultants que si la demanderesse signait un accord de désistement et d'indemnité. Demande accueillie.

ont comparu:

Dougald E. Brown pour la demanderesse.

Anne M. Turley pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Nelligan O'Brien Payne LLP, Ottawa, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]La juge Snider: Mme Margaret Ault, la demanderesse, a démissionné de son emploi au sein de la fonction publique, avec prise d'effet le 12 octobre 2000. Mme Ault avait 57 ans lorsqu'elle a quitté son emploi dans la fonction publique, et elle comptait alors 18 années de service ouvrant droit à pension en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36 (la LPFP).

[2]Mme Ault ainsi que 119 autres fonctionnaires l'ayant fait entre mars et octobre 2000 ont quitté la fonction publique pour tirer avantage d'un Accord réciproque de transfert de pension (ART) venant à expiration le 15 octobre 2000. L'ART en cause avait été conclu en date du 8 août 1996 entre la Couronne, représentée par le président du Conseil du Trésor du Canada (le ministre), et Loba Limited (Loba), un cabinet de consultants. Le ministre a convenu, en vertu de cet ART, de verser au fonds de retraite de Loba une somme, fixée par l'ART, eu égard à tout contributeur à la Caisse de retraite de la fonction publique ayant mis fin à son emploi dans la fonction publique et étant devenu un employé véritable de Loba. Mme Ault a obtenu d'importants avantages pécuniaires, en vertu des règles de l'ART, en quittant son poste au sein du gouvernement.

[3]Le 13 octobre 2000, Mme Ault a demandé par écrit que le ministre transfère, en vertu de l'ART, son fonds de pension de la Caisse de retraite de la fonction publique dans le fonds de retraite de Loba. Selon l'entente conclue entre Mme Ault et Loba, l'entreprise devait toucher 7,5 % de l'argent transféré à titre d'hono-raires. Toutefois, le fonds de pension de Mme Ault, ainsi que celui de 119 autres fonctionnaires fédéraux dans une situation semblable, n'ont jamais été transférés. La Couronne a en effet adopté comme position qu'il n'y a jamais eu de relation d'emploi véritable, tel que le requéraient l'ART et la LPFP, entre ces fonctionnaires et Loba.

[4]Le 20 décembre 2001, Sylvain Parent (le président de Loba) ainsi que Loba, entre autres, ont été inculpés de quatre infractions liées à la fraude, en application du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Le même jour, Loba a intenté devant notre Cour une action pour rupture de contrat contre le procureur général du Canada, invoquant le défaut du ministère de transférer l'argent de la Caisse de retraite (dossier de Cour no T-2246-01). Par cette action, Loba vise à forcer la Couronne à donner suite aux demandes de transfert, ainsi qu'à obtenir des dommages-intérêts indéterminés, payables sur la Caisse de retraite. Tant que ce litige ne sera pas réglé, la Couronne ne transférera pas d'argent de la Caisse de retraite de la fonction publique au fonds de retraite de Loba. On ne s'attend pas à un règlement hâtif du différend.

[5]Le 10 septembre 2002, Mme Ault a demandé qu'on révoque sa demande antérieure de transfert de son fonds de pension de la Caisse de retraite au fonds de retraite de Loba. Heather Macpherson l'a informée par lettre datée du 19 septembre 2002 qu'en raison de la poursuite intentée par Loba, la Couronne n'accepterait une révocation que si Mme Ault signait un accord de désistement et d'indemnité. Mme Ault n'est pas disposée à signer un tel document. On se trouve par conséquent dans une impasse. Mme Ault n'a pas accès au montant de sa pension par le biais de son emploi chez Loba, le ministre ayant refusé de verser de l'argent à cette entreprise. Elle ne peut non plus commencer à toucher des prestations de pension en vertu de la LPFP à moins de signer l'accord de désistement.

[6]Pour tenter de mettre fin à l'impasse, Mme Ault conteste par la présente demande de contrôle judiciaire la décision du 19 septembre 2002 de Mme Macpherson.

Questions en litige

[7]La présente demande soulève essentiellement une question. Il s'agit d'établir, plus spécifiquement, si le ministre a ou non le pouvoir discrétionnaire d'exiger que Mme Ault signe un accord de désistement et d'indemnité, comme condition préalable à l'autorisation de révoquer sa demande de transfert de paiement et à l'obtention de ses premières prestations de pension.

[8]On peut diviser cette question en trois éléments, comme suit:

1. Une fois qu'elle a présenté une demande de transfert de fonds de pension, la demanderesse peut-elle ensuite la révoquer?

2. Le ministre peut-il assortir une révocation de conditions?

3. Si on répond par l'affirmative aux deux premières questions, l'obligation imposée à la demanderesse par le ministre de signer un accord de désistement et d'indemnité constituait-il un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire?

[9]Je traiterai ensemble des deux premières questions, qui sont totalement imbriquées.

Dispositions législatives pertinentes

[10]Les paragraphes 40(3) [mod. par L.C. 1999, ch. 34, art. 87] et 40(4) [mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 19] de la LPFP confèrent au ministre le pouvoir discrétionnaire de transférer à un employeur approuvé de l'argent prélevé sur le compte de pension de retraite ou la Caisse de retraite de la fonction publique:

40. [. . .]

(3) Lorsque, avant le 15 octobre 2000, un contributeur cesse d'être employé dans la fonction publique pour passer à l'emploi d'un employeur approuvé avec qui le ministre a conclu un accord conformément au paragraphe (2), le ministre peut, sous réserve du paragraphe (9) et si l'accord le prévoit, payer à cet employeur, sur le compte de pension de retraite ou la Caisse de retraite de la fonction publique, les montants suivants:

    a) un montant égal à la somme globale versée au compte de pension de retraite ou à la caisse à l'égard de l'employé, sauf la partie qui en est ainsi versée par Sa Majesté du chef du Canada;

    b) le montant versé au compte de pension de retraite ou à la caisse à l'égard de l'employé, par Sa Majesté du chef du Canada, que le ministre détermine;

    c) le montant, représentant les intérêts, que le ministre détermine.

(4) Lorsqu'un contributeur a cessé ou cesse d'être employé dans la fonction publique pour passer à l'emploi d'un employeur approuvé, par suite du transfert de l'administration d'un service de Sa Majesté du chef du Canada à un employeur approuvé, et que le ministre a conclu un accord avec l'employeur approuvé conformément au paragraphe (2), le ministre peut, sous réserve du paragraphe (9) et si l'accord le prévoit, payer à cet employeur, sur le compte de pension de retraite:

    a) soit des montants égaux à l'ensemble:

        (i) de la valeur actuarielle, calculée à la date d'entrée en vigueur de l'accord et conformément à cet accord, de toutes les prestations échues en vertu de la présente partie relativement à la période de service du contributeur ouvrant droit à pension,

        (ii) du montant fixé par le ministre au titre des intérêts;

    b) soit des prestations payables au contributeur ou à l'égard de celui-ci en vertu de la présente partie ou de la partie III, à mesure de leur échéance,

moins tous montants payés antérieurement à l'égard du contributeur en vertu du paragraphe (12).

[11]Le paragraphe 40(5) de la LPFP prévoit pour sa part que le ministre ne peut, sans le consentement écrit du contributeur, payer un montant à un employeur sur le compte de pension de retraite ou la Caisse de retraite de la fonction publique:

40. [. . .]

(5) Nul paiement ne peut être fait selon le paragraphe (3) ou (4) sans le consentement écrit du contributeur.

La demande du 13 octobre 2000 de Mme Ault, au moyen d'une formule type désignée annexe B, constituait son consentement au transfert.

Analyse

Question préjudicielle: la norme de contrôle judiciaire

[12]Mme Ault soutient que l'interprétation de la LPFP constitue une question de droit, qui appelle comme norme de contrôle judiciaire celle de la décision correcte. Le défendeur soutient, par contre, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable, et que la Cour ne peut réviser la décision que pour des motifs restreints, soit la mauvaise foi, l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire dans un but irrégulier et la prise en compte de facteurs non pertinents (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3).

[13]À mon avis, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est fonction de la question sous examen. Or, constituent des questions de pur droit celles de la capacité de la demanderesse de révoquer sa demande et du pouvoir du ministre d'assortir une révocation de conditions. Dans de tels cas, les tribunaux devraient faire preuve d'une déférence moindre. La question de savoir cependant de quelle manière le ministre a exercé son pouvoir, s'il y est autorisé par la loi, donne lieu à un type différent de décision.

[14]Bien que la LPFP ne renferme aucune clause privative, les dispositions particulières de l'article 40 confèrent au ministre un large pouvoir discrétionnaire. Il découle clairement de la LPFP, par exemple, que la décision de transférer ou non le fonds de pension incombe en bout de ligne au ministre. Les paragraphes 40(3) et 40(4) de la LPFP prévoient en effet que le ministre «peut» procéder au transfert. Certaines conditions doivent être réunies pour que le ministre puisse exercer son pouvoir discrétionnaire, notamment les suivantes:

·     le nouvel employeur doit être un employeur approuvé;

·     un ART doit avoir été conclu entre le nouvel employeur et le ministre;

·     il doit y avoir une relation d'emploi véritable;

·     le contributeur doit consentir au transfert.

Il semble, d'après le libellé des paragraphes 40(3) et 40(4), que le ministre peut toujours refuser de transférer un fonds de pension même si toutes ces conditions sont réunies. Tous ces facteurs penchent en faveur d'une norme de contrôle plus rigoureuse.

[15]Bien que l'objet général de paiement de pension bénéficie aux fonctionnaires, on ne peut faire abstraction du fait que le ministre est le maître d'oeuvre de la LPFP et de son application. Les décisions discrétionnaires concernant un employé doivent être mises en balance avec les responsabilités incombant au ministre quant à la gestion prudente des fonds constitués en vertu de la LPFP. Il est bien clair, finalement, que le ministre et ses représentants doivent avoir une connaissance approfondie du domaine complexe des investissements et des répercussions des décisions prises sur le maintien de la rentabilité des fonds. La Cour n'est assurément pas à cet égard en meilleure position que le ministre.

[16]Compte tenu de tous ces facteurs et dans l'hypothèse d'une réponse affirmative aux deux premières sous-questions, j'estime que la décision de Mme Macpherson ne devrait être annulée que si elle est manifestement déraisonnable. Tel qu'on l'a déclaré dans Pushpanathan [Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982], la cour de révision devrait faire preuve de retenue et n'annuler la décision discrétionnaire du ministre que si elle est manifestement déraisonnable, c'est-à-dire qu'elle a été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, que la preuve ne permet pas de l'étayer ou que le ministre n'a pas tenu compte d'éléments pertinents. La cour ne devrait pas procéder à une nouvelle appréciation des facteurs, ni intervenir, au simple motif qu'elle en serait venue à une conclusion différente.

1re question en litige: Une fois qu'elle a présenté une demande de transfert de fonds de pension, la demanderesse peut-elle ensuite la révoquer?

2e question en litige: Le ministre peut-il assortir une révocation de conditions?

Les prétentions de la demanderesse

[17]Selon Mme Ault, rien dans la LPFP n'interdit qu'un contributeur révoque son consentement avant qu'un montant soit transféré du compte de pension de retraite. La LPFP prévoit expressément que, lorsqu'un contributeur doit faire un choix ou exercer une option de manière irrévocable, ceux-ci ont bien un caractère irrévocable. L'absence de toute mention expresse, à l'article 40 de la LPFP, du caractère irrévocable de la demande de transfert d'un contributeur indique de manière péremptoire que le législateur fédéral n'avait pas l'intention que pareille demande ait un tel caractère (se reporter, par exemple, aux paragraphes 25(5) [mod. par L.C. 1999, ch. 34, art. 75] et 25(6) [mod., idem] et à l'article 8 [mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 6; 1999, ch. 34, art. 61] de la LPFP).

[18]Mme Ault soutient que le ministre a l'obligation absolue de verser aux contributeurs leur pension acquise et qu'il ne peut imposer comme condition, avant d'exécuter cette obligation ou de payer une pension, qu'un contributeur signe un accord de désistement ou offre d'indemniser une dette éventuelle de la Couronne envers un tiers. La position du ministre, qui prétend pouvoir retenir les pensions de retraités à moins qu'ils ne fassent des concessions à la Couronne, contrevient à l'objet de la LPFP et est nettement incompatible avec le rôle de fiduciaire incombant au ministre.

[19]Lorsque le législateur avait l'intention que le ministre puisse assortir de conditions la révocation d'un choix, il a expressément conféré au ministre le pouvoir de prescrire des conditions par règlement (paragraphes 8(4) et 10(6) de la LPFP). L'absence de dispositions semblables à l'article 40 de la LPFP démontre que le législateur n'entendait pas que le ministre ait le pouvoir, par règlement ou de manière ponctuelle, d'imposer des conditions.

[20]Selon Mme Ault, le ministre n'a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser à un contributeur dans la situation où se trouve la demanderesse de révoquer une demande de transfert de paiement. Si on décidait en sens contraire, il en découlerait qu'un contributeur non consentant pourrait être forcé d'accepter un transfert de paiement. Or, cela est clairement incompatible avec l'article 40(5) de la LPFP.

Les prétentions du défendeur

[21]Selon le défendeur, une relation bilatérale s'est constituée entre le ministre et la demanderesse du fait que cette dernière a consenti par écrit, au moyen de la formule à l'annexe B, à ce que le ministre transfère son fonds de pension. Du fait de ce consentement, les deux parties étaient d'accord pour qu'il y ait transfert. Il en résultait également que le ministre devenait autorisé à exercer son pouvoir discrétionnaire, prévu aux paragraphes 40(3) et 40(4) de la LPFP, et à verser un montant pour le compte de la demanderesse dans le fonds de retraite de Loba. Dans la mesure où une relation bilatérale découle du consentement, on ne peut y mettre fin par simple acte unilatéral de l'une des parties. Par suite, il ne peut y avoir retrait du consentement écrit de la demanderesse au transfert d'argent que de manière bilatérale, soit avec l'agrément du ministre.

[22]Le défendeur attire mon attention sur la règle de l'exclusion implicite et [traduction] «le défaut de suivre un modèle établi», décrits dans Ruth Sullivan, éd., Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994) [à la page 170], en vue de soutenir que [traduction] «lorsque le législateur désire priver des décideurs d'un pouvoir discrétionnaire [. . .], il l'énonce de manière expresse et impérative». Faute de directive expresse quant au traitement de la demande de retrait de consentement d'un contributeur, le pouvoir du ministre, en l'occurrence d'accepter ou de refuser la révocation, doit relever de son pouvoir discrétionnaire résiduel.

Analyse

[23]Lorsque Mme Ault a mis fin à son emploi comme fonctionnaire fédérale, elle a demandé par lettre datée du 13 octobre 2000 qu'on procède à un transfert de paiement en faveur de Loba en vertu des alinéas 40(3) et 40(4) de la LPFP. Son consentement constituait une condition préalable au transfert du fonds de pension (paragraphe 40(5) de la LPFP). Une fois le consentement de Mme Ault donné, le ministre avait le pouvoir discrétionnaire, si certaines autres conditions étaient réunies, de transférer les cotisations de retraite de la demanderesse.

[24]En d'autres termes, le ministre n'a nul pouvoir en vertu de la loi de transférer de l'argent si le contributeur n'y consent pas. Toutefois, aucune disposition de la LPFP ou de son règlement d'application ne prévoit ce qu'il advient lorsqu'un contributeur décide de révoquer ce consentement. L'absence de disposition spécifique veut-elle dire qu'il ne peut y avoir révocation? Cela veut-il dire que le ministre doit accepter, sans poser de questions ou de conditions, le retrait du consentement d'un contributeur?

[25]Ces questions soulevées par les parties sont du domaine de l'interprétation des lois. Dans la décision R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, les juges Major et Iacobucci ont écrit ce qui suit, au paragraphe 77:

Il est facile de décrire la méthode d'interprétation des lois: il faut déterminer l'intention du législateur et, à cette fin, lire les termes de la loi dans leur contexte, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit et l'objet de la loi.

[26]Je ne suis donc pas encline à recourir à une règle étroite d'interprétation législative, tel que l'ont suggéré les deux parties, à moins que son application n'entraîne un résultat qui s'harmonise avec l'esprit de la loi. L'absence de dispositions spécifiques ne doit pas nécessairement entraîner l'incapacité, selon moi, pour Mme Ault de révoquer son consentement, et pour le ministre d'assortir de conditions la révocation du consentement.

[27]En fait, l'approche que chacune des parties me demande d'adopter, c'est d'examiner à la loupe les autres dispositions de la loi en cause, et de déduire l'intention du législateur de l'existence ou de l'absence d'un certain libellé. L'inutilité du recours à une approche aussi mécanique est manifeste lorsqu'on considère les résultats diamétralement opposés auxquels en arrive, grâce à elle, chacune des parties. Bien qu'une telle analyse puisse s'avérer utile en l'espèce, par conséquent, elle ne permettra pas de répondre pleinement aux questions dont je suis saisie.

b) Dans quel contexte les dispositions s'inscrivent-elles?

[28]Contrairement à la plupart des autres dispositions de la LPFP, l'article 40 traite d'une situation qui met en cause un tiers. La relation visée par les dispositions découle non seulement de la loi, mais aussi de l'ART conclu entre le ministre et, en l'occurrence, Loba. L'article 40 ne prescrit pas la teneur d'un ART, qui constitue une entente commerciale passée par des cocontractants. Chaque accord est négocié individuellement entre le ministre et un tiers. Bien que chaque ART respecte les objectifs prévus à l'article 40 et doive être approuvé par le gouverneur en conseil, il est raisonnable de conclure que chaque accord a un caractère unique. Par suite, les dispositions de la LPFP ne régissent pas à elles seules la relation existant entre le ministre, Loba et un employé qui désire faire transférer à Loba son fonds de pension. Il est essentiel de ne pas l'oublier, selon moi, lorsqu'on procède à l'analyse de la loi.

c) Eu égard au contexte, quelle était l'intention du législateur?

[29]Étant donné la nature de ces ententes, il est raisonnable de conclure que le législateur entendait que le ministre conserve une large mesure de pouvoir discrétionnaire quant à la façon de procéder au transfert d'argent. Le législateur ayant choisi de ne pas prévoir législativement la teneur d'un accord, il lui aurait été impossible d'anticiper toute situation à laquelle puissent donner lieu les divers accords individuellement négociés. Le législateur, en conséquence, a choisi de donner peu de précisions législativement quant au mode d'application de ces accords. En l'absence d'instructions explicites, le législateur devait avoir l'intention de laisser au ministre un pouvoir discrétionnaire suffisant pour que ces accords puissent être mis en oeuvre.

[30]La question qui se pose alors, c'est celle de savoir si le pouvoir discrétionnaire du ministre lui permet ou non de s'occuper de choses non mentionnées explicitement dans les dispositions concernées. En accordant au ministre toute latitude pour négocier l'accord, le législateur devait assurément avoir également l'intention qu'il soit en mesure de régler toute question imprévue pouvant survenir. À mon avis, la situation qui s'est posée en l'espèce est exactement du type de celles envisagées par le législateur; la situation était imprévisible et complexe et nécessitait l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire.

[31]Le législateur souhaitait-il empêcher le ministre de permettre une révocation? Il faut vraisemblablement répondre par la négative, sans se soucier de ce que d'autres dispositions de la LPFP pourraient explicitement prescrire. Cependant, est-il raisonnable en même temps d'interpréter le pouvoir discrétionnaire du ministre de telle manière que celui-ci doive, sans autres conditions, accepter le retrait unilatéral du consentement d'un contributeur? Encore une fois, il faut vraisemblablement répondre par la négative. Il n'est possible ni pour le législateur ni pour la Cour d'imaginer toutes les situations auxquelles pourraient donner lieu ces accords contractuels complexes. Le problème qu'il y aurait en interprétant comme Mme Ault me le demande les dispositions concernées de la loi, c'est que le résultat «taille unique» obtenu pourrait avoir des conséquences non souhaitées pour un autre ART ou un autre contributeur. Le ministre, qui connaît chaque ART ainsi que l'économie de la LPFP, est le mieux placé pour cerner et évaluer dans chaque situation pouvant survivre les risques pouvant découler de la révocation d'un consentement. Le législateur n'a pu avoir l'intention qu'on lie les mains du ministre par une interprétation étroite de son pouvoir discrétionnaire. Une façon d'atteindre l'équilibre requis, c'est de conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire résiduel lui permettant de s'occuper des diverses situations pouvant survenir.

[32]J'estime que l'objectif du législateur en adoptant l'article 40 était d'assurer la transférabilité des pensions, tout en conférant au ministre le pouvoir discrétionnaire de régir et de superviser l'ensemble de la relation existant entre les entreprises, la Couronne et les contributeurs. Il doit nécessairement découler de ce pouvoir discrétionnaire la faculté pour le ministre, tout en protégeant en même temps l'intérêt public, de permettre aux contributeurs qui désirent changer d'avis, après avoir demandé le transfert de leur fonds de pension, de recevoir l'argent bien mérité de leur pension.

[33]Il est ainsi raisonnable de conclure qu'en conformité avec le pouvoir conféré au ministre par l'article 40 et en vertu de ce pouvoir, Mme Ault ne peut révoquer sa demande qu'avec le consentement du ministre et sous réserve des conditions jugées appropriées par ce dernier.

[34]Cela ne veut pas dire que le pouvoir discrétionnaire du ministre est absolu. Comme on l'a déjà mentionné, les décisions du ministre ne doivent pas être manifestement déraisonnables.

d) Cela s'harmonise-t-il avec la loi dans son ensemble?

[35]Interpréter l'article 40 de cette manière s'harmonise avec la loi dans son ensemble. On n'empêche pas aux contributeurs de toucher l'argent de leur pension. Contrairement à la prétention de Mme Ault selon laquelle la position du ministre va totalement à l'encontre de son rôle fiduciaire, j'estime que la faculté du ministre d'imposer des conditions lorsque la situation le justifie s'harmonise parfaitement avec les obligations auxquelles l'assujettit la LPFP. L'obligation fiduciaire incombant au ministre en vertu de la LPFP dans son ensemble ne se restreint pas à la seule pension de Mme Ault, mais a plutôt pour objet l'administration efficace d'un régime de pension complexe. Le ministre doit répondre de la gestion prudente de l'argent sous sa responsabilité à plusieurs milliers de fonctionnaires fédéraux et, de fait, à l'ensemble des Canadiens.

[36]En démissionnant volontairement de son poste dans la fonction publique fédérale et en demandant à se prévaloir des dispositions de l'ART, Mme Ault s'est dissociée des nombreux autres fonctionnaires qui n'ont pas fait un tel choix et continuent d'être régis par d'autres dispositions de la LPFP. Ces fonctionnaires s'attendent à avoir un accès automatique et inconditionnel à leur pension, attente qui est justifiée. Ayant fait les choix qui sont les siens, Mme Ault doit s'attendre à être traitée de manière différente. Ce traitement différent est également compatible avec l'esprit de la LPFP.

Conclusion

[37]En recourant à une interprétation large et libérale de la loi en cause, je conclurais qu'en certaines circonstances et sous réserve du droit inverse du ministre de protéger la caisse de retraite en assortissant la révocation de conditions (sujet examiné en regard de la 2e question), Mme Ault peut révoquer sa demande.

3e question en litige: L'obligation imposée à la demanderesse par le ministre de signer un accord de désistement et d'indemnité constituait-il un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire?

Les prétentions de la demanderesse

[38]La demanderesse soutient que, même si le ministre a le pouvoir discrétionnaire d'autoriser un contributeur à révoquer une demande non encore satisfaite de transfert de paiement, les conditions qu'il cherche à lui imposer sont inappropriées et non pertinentes (Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121). L'exercice d'un pouvoir discrétionnaire dans un but irrégulier ou fondé sur des motifs non pertinents est invalide (Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231).

[39]Il serait totalement incompatible avec l'objet de la LPFP de permettre au ministre de se servir de ses pouvoirs à titre d'administrateur du compte de pension de retraite et du Régime de pensions pour soutirer des pensionnés des avantages accessoires. Mme Ault est l'innocente victime d'un différend entre la Couronne et Loba. Exiger que, pour pouvoir obtenir sa pension, elle doive garantir la Couronne contre les dommages-intérêts que celle-ci pourrait être éventuellement tenue de verser à Loba a un caractère punitif et est incompatible avec l'objet de la LPFP.

Les prétentions du défendeur

[40]Le défendeur soutient que le ministre a exigé un accord de désistement et d'indemnité en vue de protéger la caisse de retraite de la fonction publique et la Couronne fédérale à l'encontre d'actions auxquelles pourraient éventuellement donner lieu la révocation par Mme Ault de sa demande de transfert. Advenant que Loba ait gain de cause dans son action pour rupture de contrat, en particulier, Mme Ault pourrait poursuivre la Couronne en dommages-intérêts. Il pourrait en résulter un double recouvrement, Mme Ault touchant depuis 2002 une pension de la fonction publique. En outre, il se pourrait que Loba poursuive la Couronne pour les honoraires, fixés à 7,5 % des cotisations de retraite transférées, qu'elle aurait obtenus si Mme Ault n'avait pas révoqué sa demande de transfert.

[41]Le défendeur estime que Mme Ault se dépeint à tort comme une victime du litige opposant la Couronne et Loba. Mme Ault a volontairement choisi de quitter la fonction publique fédérale, et elle a demandé le transfert de son fonds de pension sans demander d'avis juridique et sans étudier les répercussions de sa décision. Elle savait en outre qu'il lui fallait véritablement travailler pour Loba, et que la Couronne avait des doutes sur la validité de sa relation d'emploi.

Analyse

[42]Comme on l'a déjà mentionné, il faut faire preuve de beaucoup de retenue face à une décision discrétionnaire comme celle sous examen. Cela ne veut pas dire, toutefois, que pareille décision échappe toujours au contrôle judiciaire. Or, en particulier, l'obligation faite de signer un accord de désistement et d'indemnité s'avère très rigoureuse. Elle a pour effet d'empêcher Mme Ault de réclamer des dommages-intérêts pour les actes de la Couronne, tout en la laissant susceptible d'être poursuivie par celle-ci. Étant donné le caractère draconien de ces obligations et leurs répercussions éventuelles (même si elles ne sont pas probables) pour Mme Ault, je m'attendrais à ce qu'on ait examiné avec soin toutes les conséquences de la condition, et qu'on se soit attendu clairement à ce que celle-ci soit requise pour protéger l'intérêt public des Canadiens ainsi que le rôle de fiduciaire du ministre à l'endroit des prestataires de la Caisse de retraite. Or, on n'est en présence ni de l'une ni de l'autre situation en l'espèce.

[43]Les facteurs qui suivent sont particulièrement pertinents en vue d'établir si la décision était ou non manifestement déraisonnable.

· Il y a eu un retard de plus d'un an du fait du ministre (soit entre le 13 octobre 2000, la date où la demande de transfert a été présentée, et le 20 décembre 2001, la date où des accusations ont été portées au pénal et où la déclaration de Loba a été produite) pendant lequel Mme Ault n'a pas été informée des graves problèmes soulevés par l'ART de Loba. Si Mme Ault avait su plus tôt que des accusations étaient déposées contre Loba, elle aurait pu avec le consentement de celle-ci révoquer son consentement. Selon la preuve dont je suis saisie, le ministre aurait accepté une révocation aussi tardivement qu'en septembre 2000, du moment que Loba y consentait.

· Bien que Mme Ault ait choisi librement de démissionner--et n'est pas ainsi une victime parfaitement innocente--elle n'est assurément en rien responsable du retard dans le transfert, non plus que de l'action intentée par Loba contre la Couronne.

· Il y a grave déséquilibre dans le pouvoir de négociation des parties. Mme Ault, qui est maintenant âgée de 60 ans et qui a le droit par ailleurs de recevoir une pension, ne peut toucher l'argent sans accepter les conditions que le ministre lui impose.

[44]Le défendeur soutient qu'il est parfaitement raisonnable d'exiger que Mme Ault indemnise la Couronne, et la tienne ainsi à couvert, advenant que Loba ait gain de cause dans ses actions actuelles ou éventuelles à son encontre. J'estime que pareilles assertions du défendeur ne sont étayées par aucun élément de preuve autre que la déclaration de Loba et sa propre défense. À ce jour, on ne peut que spéculer quant à savoir si Loba aura gain de cause et si elle poursuivra la Couronne pour recouvrer ses honoraires de 7,5 %. La question est encore plus embrouillée du fait de l'existence d'accusations au pénal déposées contre Loba. Mme Ault devrait-elle être tenue de signer un accord d'indemnité si l'on se fonde sur le raisonnement du défendeur? Je ne le crois pas.

[45]En ce qui concerne l'accord de désistement exigé, la situation est trop complexe au stade actuel pour qu'on puisse établir dans quelle mesure Mme Ault disposerait de recours contre la Couronne. Si Mme Ault peut faire valoir un recours relativement à la façon dont la Couronne a traité l'affaire, ce pourrait bien être une action légitime entraînant l'octroi--indépendamment de ses prestations de pension--de dommages-intérêts. Si l'action, très hypothétique, s'avère bien fondée, le résultat selon moi en serait un d'«équité» et non de «cumul d'avantages». Je m'attendrais en outre à ce qu'une défense vigoureuse soit opposée à une telle action, s'il en est, et que l'issue de celle-ci soit incertaine. Devrait-on interdire à Mme Ault tout recours éventuel au niveau d'incertitude où l'on en est actuellement? Je crois que non.

[46]Le défendeur relève le fait que Mme Ault a signé un accord de désistement semblable lorsqu'elle a demandé le transfert de son fonds de pension le 13 octobre 2000. Il soutient qu'il était donc raisonnable de demander à la demanderesse de signer un accord de désistement avant qu'elle ne révoque son consentement au transfert et n'exerce ses options en vertu de l'article 13 [mod. par L.C. 1996, ch. 18, art. 30; 1999, ch. 34, art. 65] de la LPFP. Je ferai remarquer, toutefois, que Mme Ault n'a obtenu aucun avis juridique au moment où elle a signé le document type et a pu mal en saisir l'importance. Je n'estime donc pas cet argument utile au défendeur.

[47]Les circonstances inhabituelles entourant la présente affaire m'amènent à conclure qu'il était manifestement déraisonnable d'exiger, à titre de condition préalable, que Mme Ault signe un accord de désistement et d'indemnité avant qu'on accepte la révocation de son consentement au transfert. Quoique le ministre doive protéger les intérêts des Canadiens et des pensionnés actuels et futurs, il doit recourir à cette fin à des mesures non arbitraires fondées sur davantage que des spéculations.

Conclusion

[48]J'accueillerais pour ces motifs la présente demande de contrôle judiciaire. L'affaire sera renvoyée au ministre pour nouvel examen, le consentement à la révocation ne devant pas être assorti des conditions dont j'ai été saisie dans la présente instance.

[49]Quoique j'espère que le ministre acceptera la révocation sans retard ni conditions, je ne suis pas disposée à aller jusqu'à le lui ordonner. Je suis en effet d'avis, au contraire, qu'il faut permettre au ministre de décider, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, s'il y a lieu d'autoriser le retrait de la demande initiale d'un contributeur et, le cas échéant, selon quel mode. Bien qu'en fonction des faits d'espèce, je ne juge pas nécessaire l'imposition de conditions, il pourrait y avoir des situations auxquelles je ne songe pas où des conditions différentes seraient justifiées. Je m'attendrais, dans un tel cas, à ce que le ministre examine avec soin si les conditions projetées sont ou non raisonnables, et donne à cet égard à Mme Ault des explications claires et valables.

Dépens

[50]Mme Ault demande qu'on lui attribue les dépens avocat-client. L'octroi de tels dépens est exceptionnel. Rien ne justifie selon moi, dans le cadre de la présente demande, qu'on adjuge des dépens autrement qu'en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106].

    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE:

1.     La décision du ministre énoncée dans la lettre du 19 septembre 2002 adressée par Heather Macpherson à la demanderesse est annulée, et l'affaire est renvoyée au ministre pour nouvel examen.

2.     Lorsqu'il décide, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, s'il y a lieu d'autoriser la révocation par la demanderesse de sa demande de transfert, le ministre ne doit pas imposer comme condition à l'octroi de tout consentement que la demanderesse signe un accord de désistement et d'indemnité en la forme produite à la présente audience.

3.     Les dépens, calculés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B, sont attribués à la demanderesse.

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