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     T-1714-02

    2003 CF 970

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (demandeur)

c.

Steven John Schneeberger (défendeur)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)c. Schneeberger (C.F.)

Cour fédérale, juge Dawson--Vancouver, 18 mars; Guelph (Ontario), 25 août 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Citoyens -- Le défendeur a commis des infractions criminelles pendant l'étude de sa demande de citoyenneté -- Il a essayé d'éviter d'être poursuivi en fournissant un échantillon de sang frauduleux à la police -- En vertu de l'art. 22(1)(b) de la Loi sur la citoyenneté, une personne ne peut recevoir la citoyenneté si elle est inculpée d'un acte criminel -- Sens de l'expression «dissimulation intentionnelle de faits essentiels» à l'art. 10 -- Bien que la véritable question soit de savoir si le défendeur a menti au juge de la citoyenneté, le fait d'avoir fourni un échantillon de sang frauduleux constitue une fausse déclaration; il a sciemment dissimulé un fait essentiel, c'est-à-dire que le sang d'une autre personne était contenu dans le tube inséré dans son bras -- Le défendeur s'est donc dérobé à toute enquête plus approfondie de la police qui aurait vraisemblablement mené à des accusations criminelles qui l'auraient rendu non admissible à la citoyenneté -- Un jugement sommaire déclarant que la citoyenneté a été obtenue au moyen d'une fausse déclaration et par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels est accordé.

Pratique -- Jugement sommaire -- Le demandeur réclame un jugement sommaire en vertu de la règle 213(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), déclarant que le défendeur a obtenu sa citoyenneté par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels -- Un jugement sommaire peut être demandé dans une procédure en révocation de citoyenneté -- L'ordonnance recherchée dans le cadre d'une procédure d'obtention d'un jugement sommaire doit être compatible avec la nature du renvoi fondé sur l'art. 18(1) de la Loi sur la citoyenneté -- Examen des critères utilisés pour accorder un jugement sommaire -- Absence d'une véritable question litigieuse concernant l'existence de faits établissant qu'il y a eu fausse déclaration et dissimulation intentionnelle de faits essentiels et des conclusions légales qui découlent de ces faits.

Il s'agit d'une requête pour obtenir un jugement sommaire déclarant que le défendeur a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Le défendeur a obtenu son statut de résident permanent en novembre 1989 et il a demandé la citoyenneté canadienne. En octobre 1992, il a commis deux infractions criminelles: administration d'une drogue stupéfiante ou soporifique et agression sexuelle. Il a nié toute participation aux actes criminels et il a essayé de se «disculper» des allégations et d'éviter les poursuites en fournissant un échantillon de sang frauduleux à la police. Le 5 février 1993, un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté du défendeur. Cinq ans plus tard, le défendeur a été accusé d'un certain nombre d'actes criminels, notamment d'agression sexuelle et d'avoir administré une drogue stupéfiante ou soporifique et il a par la suite été reconnu coupable de ces actes criminels. En vertu de l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, nul ne peut recevoir la citoyenneté ni prêter le serment de citoyenneté tant que cette personne est inculpée d'un acte criminel prévu par une loi fédérale. Selon le ministre, le défendeur a faussement déclaré qu'il ne faisait pas l'objet d'une enquête criminelle et il a obtenu sa citoyenneté en mentant au juge de la citoyenneté et en dissimulant intentionnellement des faits essentiels à la fois au juge de la citoyenneté et à la GRC. Le ministre a en outre soutenu que, d'après la preuve non contredite dont la Cour était saisie, les faits n'ont pas soulevé de véritable question litigieuse au sens du paragraphe 216(1) des Règles de la Cour fédérale (1998).

Jugement: la requête est accueillie.

Il s'agit de l'un des premiers cas dans lequel on demande un jugement sommaire dans une procédure de révocation de citoyenneté. Dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, la Cour d'appel fédérale n'a pas statué qu'il était impossible de demander un jugement sommaire dans le contexte d'une procédure de révocation ou dans le cadre d'un renvoi fondé sur la Loi sur la citoyenneté. Bien que la décision dans l'arrêt Obodzinsky n'empêche pas le dépôt d'une requête en jugement sommaire dans le cadre d'un renvoi, l'ordonnance recherchée dans le cadre d'une procédure d'obtention d'un jugement sommaire doit être compatible avec la nature du renvoi fondé sur le paragraphe 18(1) de la Loi. Cette condition est respectée en l'espèce. La requête en jugement sommaire a également été déposée en temps et lieu, avant que le renvoi lui-même soit mis au rôle, comme l'exige le paragraphe 213(1) des Règles.

Les principes qui s'appliquent à une requête en jugement sommaire sont ceux qui ont été énoncés par la Cour dans Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. La partie qui dépose la requête a le fardeau d'établir les faits nécessaires pour obtenir le jugement sommaire. Lorsqu'elle s'est acquittée de ce fardeau, la partie adverse a le fardeau de démontrer qu'il y a une question sérieuse à instruire. Le jugement sommaire devrait être accordé lorsque la Cour est saisie d'éléments de preuve qui établissent les faits essentiels pertinents, de sorte que l'instruction de la cause permettrait d'ajouter des détails, mais non de nouveaux éléments de preuve importants.

L'expression «dissimulation intentionnelle de faits essentiels», utilisée à l'article 10 de la Loi, signifie que la Cour doit conclure que la personne intéressée a dissimulé des faits essentiels à la décision, qu'elle ait su ou non que ces faits étaient essentiels, avec l'intention d'induire en erreur le décideur. Le caractère essentiel doit être déterminé en fonction de l'importance des renseignements qui n'ont pas été révélés par rapport à la décision visée. En droit, une déclaration contraire à la vérité ou une réponse trompeuse qui a pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes peut constituer une fausse déclaration au sens de la Loi. La norme de preuve qui est applicable dans un renvoi fondé sur la Loi est la norme de preuve en matière civile, c'est-à-dire la probabilitée la plus forte. Toutefois, la preuve doit être examinée avec le plus grand soin en raison de la gravité des allégations et des conséquences graves qu'implique la révocation de la citoyenneté. Il faut établir davantage qu'une transgression technique de la Loi. Une fausse déclaration faite innocemment ne doit pas entraîner la révocation de la citoyenneté.

Il y a eu une contradiction dans la preuve quant à savoir si on avait demandé au défendeur s'il faisait l'objet d'une enquête criminelle de quelque type que ce soit. La décision à ce sujet doit être rendue après que les parties auront été contre-interrogées sous serment devant le juge des faits. Il y a une véritable question litigieuse quant à savoir si le défendeur a menti au juge de la citoyenneté en vue d'obtenir sa citoyenneté au moyen d'une fausse déclaration.

La question de savoir si le défendeur avait été accusé d'un acte criminel le 5 février 1993 quand il a prêté le serment de citoyenneté et qu'il a obtenu la citoyenneté constitue un fait essentiel, par application de l'alinéa 22(1)b) de la Loi. Le défendeur a admis avoir fourni un échantillon de sang frauduleux pour éviter d'être poursuivi et pour se «disculper» et également d'avoir commis l'infraction qui consiste à essayer d'entraver le cours de la justice en fournissant une fausse preuve. En donnant sciemment un échantillon de sang frauduleux afin d'éviter des poursuites criminelles, le défendeur a fait obstacle à cette époque à la tenue de toute autre enquête par les agents de police. Il a également fait en sorte d'exclure toute accusation d'agression sexuelle en décembre 1992, c'est-à-dire une accusation d'acte criminel. L'entente entre les avocats de la Couronne et l'avocat du défendeur visant à ne pas accuser ce dernier tant que les résultats du test d'ADN ne seraient pas reçus a été prise uniquement parce que le défendeur a accepté de donner un échantillon de sang frauduleux, et qu'il n'a donné celui-ci que parce qu'il savait que cela ne l'incriminerait pas. Mais s'il n'avait pas donné cet échantillon de sang frauduleux, le défendeur aurait été accusé avant le 5 février 1993. La formalité pour déposer des accusations, qui n'est pas aussi mystérieuse que ce que laisse entendre l'avocat du défendeur, est en grande partie une question de droit. La GRC avait le pouvoir de déposer une dénonciation et engager ainsi une procédure criminelle. Selon la probabilité la plus forte, le défendeur a remis un échantillon de sang frauduleux à la GRC. Cela constituait une fausse déclaration. Il a dissimulé intentionnellement le fait essentiel que cet échantillon de sang était celui de quelqu'un d'autre contenu dans un tube de caoutchouc inséré sous sa peau dans son bras. En faisant cette fausse déclaration et en dissimulant intentionnellement un fait essentiel, le défendeur s'est dérobé à toute autre enquête policière qui aurait vraisemblablement mené à des accusations criminelles et l'aurait rendu non admissible à la citoyenneté. Il n'y avait pas de véritable question litigieuse concernant l'existence de ces faits ou des conclusions légales découlant de ces faits.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 139(2), 246b), 271 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 10), 504, 507 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 78; L.C. 1994, ch. 44, art. 43; 2002, ch. 13, art. 21).

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10, 18,     22(1)b).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106,     règles 169a), 213(1), 216(1),(3).

jurisprudence

décisions appliquées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2003] 2 C.F. 657; (2002), 224 D.L.R. (4th) 158; 26 Imm. L.R. (3d) 1; 305 N.R. 238 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Kawash, 2003 CFPI 709; [2003] A.C.F. no 918 (1re inst.) (QL); ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd. (2001), 11 C.P.R. (4th) 174 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2001] 2 R.C.S. ix; Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853; (1996), 111 F.T.R. 189 (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Odynsky (2001), 196 F.T.R. 1; 14 Imm. L.R. (3d) 3 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Baumgartner (2001), 211 F.T.R. 197; 17 Imm. L.R. (3d) 85 (C.F. 1re inst.).

distinction faite d'avec:

Canada (Ministre du Multiculturalisme et de la Citoyenneté) c. Minhas (1993), 66 F.T.R. 155; 21 Imm. L.R. (2d) 31 (C.F. 1re inst.).

décision examinée:

Regina v. Southwick, Ex parte Gilbert Steel Ltd., [1967] 2 O.R. 428; [1968] 1 C.C.C. 356; (1967), 2 C.R.N.S. 46 (C.A.).

décisions citées:

F. Von Langsdorff Licensing Ltd. c. S.F. Concrete Technology, Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 88; 165 F.T.R. 74 (C.F. 1re inst.); Pawar c. Canada, [1999] 1 C.F. 158; (1998), 56 C.R.R. (2d) 318 (1re inst.); conf. par (1999), 67 C.R.R. (2d) 284; 247 N.R. 271 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2000] 1 R.C.S. xvii; Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850; (1973), 36 D.L.R. (3d) 522; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Coomar (1998), 159 F.T.R. 37; 47 Imm. L.R. (2d) 293 (C.F. 1re inst.).

doctrine

    Salhany, Roger E. Canadian Criminal Procedure, 6th ed., looseleaf. Aurora, Ont.: Canada Law Book, 1994.

REQUÊTE en jugement sommaire déclarant que le défendeur a obtenu sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Requête accueillie.

ont comparu:

William B. Hardstaff et Glennys Bembridge pour le demandeur.

Chris Elgin pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Elgin, Cannon & Associates, Vancouver, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Dawson: Par avis daté du 14 janvier 2002, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) a avisé le défendeur, M. Schneeberger, de son intention de faire rapport au gouverneur en conseil, en vertu des paragraphes 10(1) et 18(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi). Cet avis allègue que le défendeur a supprimé des faits entre le moment où il a demandé la citoyenneté et le moment où elle lui a été accordée, faits qui, s'ils avaient été connus, auraient justifié que la citoyenneté lui soit refusée. Si le gouverneur en conseil est convaincu de la véracité de cette affirmation, le défendeur cessera d'être citoyen canadien. En conséquence, comme cela était son droit, le défendeur a demandé que la question soit transmise à cette Cour. Le ministre a alors intenté la présente action en déposant une déclaration et le défendeur a déposé sa défense. Le ministre demande maintenant par voie de requête un jugement sommaire déclarant que le défendeur a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

LE CONTEXTE

[2]Les faits suivants sont admis dans les actes de procédure de la présente action, ou dans l'affidavit du défendeur déposé en opposition à la requête en jugement sommaire.

[3]Le défendeur a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 22 novembre 1989 et le 22 mai 1992, il a demandé la citoyenneté canadienne.

[4]Le 31 octobre 1992, le défendeur a commis deux infractions criminelles: administration d'une drogue stupéfiante ou soporifique avec l'intention de commettre une agression sexuelle, punissable par mise en accusation, contrairement à l'alinéa 246b) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]; et agression sexuelle, contrairement à l'article 271 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 10] du Code criminel.

[5]Le 6 novembre 1992, le défendeur a été informé que la victime de l'agression sexuelle avait déposé une plainte à la police. Le défendeur a été interrogé par la GRC le 9 novembre 1992. Il a nié toute participation aux actes criminels et il a essayé, selon ses propres termes, de se «disculper» des allégations et d'éviter les poursuites en fournissant un échantillon de sang frauduleux à la police. Il y est parvenu en s'insérant chirurgicalement un tube rempli du sang d'une autre personne dans le bras. L'échantillon de sang frauduleux a été prélevé du tube le 16 novembre 1992. Le 25 janvier 1993, la police a reçu le résultat négatif d'un test d'ADN basé sur la comparaison de l'échantillon de sang frauduleux avec un échantillon de sperme prélevé sur la victime de l'agression sexuelle.

[6]Le 5 février 1993, un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté du défendeur. Le défendeur a prêté le serment de citoyenneté et est devenu citoyen canadien le même jour.

[7]En janvier 1998, le défendeur a été accusé d'un certain nombre d'actes criminels, notamment de l'agression sexuelle du 31 octobre 1992, d'avoir administré la drogue stupéfiante ou soporifique le 31 octobre 1992 et d'avoir sciemment essayé d'entraver le cours de la justice entre le 15 novembre 1992 et le 7 août 1993, en fournissant une preuve frauduleuse, c'est-à-dire les échantillons de sang, à un agent de la paix qui faisait enquête sur la plainte d'agression sexuelle, contrairement au paragraphe 139(2) du Code criminel. Le défendeur a été reconnu coupable de ces actes criminels le 25 novembre 1999.

LES ALLÉGATIONS DU MINISTRE DANS LA PRÉSENTE ACTION

[8]Les articles pertinents de la Loi sont les articles 10 et 18 et l'alinéa 22(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 67]. Ils sont reproduits à l'annexe A des présents motifs.

[9]À toutes les époques pertinentes, l'alinéa 22(1)b) de la Loi prévoyait que nul ne pouvait recevoir la citoyenneté ni prêter le serment de citoyenneté tant que cette personne est inculpée d'un acte criminel prévu par une loi fédérale. Le délit d'agression sexuelle, et l'administration d'une drogue stupéfiante ou soporifique pour aider à la perpétration d'un acte criminel constituent tous deux des actes criminels.

[10]Le ministre affirme qu'au cours de l'entrevue avec le juge de la citoyenneté, avant que la demande de citoyenneté du défendeur soit approuvée, le juge de la citoyenneté lui a demandé s'il avait déjà fait ou s'il faisait l'objet d'une enquête criminelle. Le ministre affirme de plus que le défendeur a faussement déclaré qu'il ne faisait pas l'objet d'une enquête criminelle. Par conséquent, le ministre prétend que le défendeur a obtenu sa citoyenneté en mentant au juge de la citoyenneté et en dissimulant intentionnellement des faits essentiels à la fois au juge de la citoyenneté et à la GRC. Le ministre soutient que, d'après la preuve non contredite dont la Cour est saisie, les faits ne soulèvent pas de véritable question litigieuse au sens du paragraphe 216(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] (les Règles). Subsidiairement, le ministre fait valoir que s'il existe une véritable question de droit ou une question sérieuse permettant de présenter une défense, la Cour devrait dégager de l'ensemble de la preuve non contredite les faits nécessaires pour statuer sur les questions de fait et de droit et accorder un jugement sommaire en vertu du paragraphe 216(3) des Règles.

LA POSSIBILITÉ DE DEMANDER UN JUGEMENT SOMMAIRE DANS LES POURSUITES EN RÉVOCATION DE LA CITOYENNETÉ

[11]Avant l'audition de la présente requête, l'attention des parties a été attirée sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2003] 2 C.F. 657. On a demandé aux avocats de se préparer à débattre de la question de savoir si l'on peut demander un jugement sommaire dans une procédure de renvoi fondée sur l'article 18 de la Loi.

[12]En réponse, le défendeur a fait valoir que, dans Obodzinsky, la Cour d'appel fédérale a conclu que seul le juge nommé pour entendre le renvoi pouvait décider des questions soulevées par le renvoi, et que par sa nature même, un renvoi est une procédure d'enquête qui ne devrait pas être décidée de façon sommaire.

[13]J'ai été convaincue par les arguments avancés au nom du ministre selon lesquels, dans l'arrêt Obodzinsky, la Cour d'appel fédérale n'a pas statué qu'il était impossible de demander un jugement sommaire dans le contexte d'une procédure de révocation. À mon avis, l'arrêt Obodzinsky, s'articule sur le fait que la requête en jugement sommaire n'avait pas été entendue par le juge du renvoi (malgré le fait que le renvoi était sur le point de commencer et qu'un juge avait été nommé pour l'entendre), et sur le fait que, même si dans un renvoi le juge doit parvenir à une conclusion en s'appuyant sur des questions de fait, le jugement prononcé sommairement ne tranchait pas la question de fait qui était l'objet du renvoi. Ainsi, la Cour d'appel n'a pas conclu qu'un jugement sommaire ne pourrait jamais être demandé dans le cadre d'un renvoi fondé sur la Loi. En fait, au paragraphe 17 de ses motifs, la Cour a présumé pour les fins de la discussion que le recours à un jugement sommaire n'est pas prohibé.

[14]Cette conclusion est conforme au fait que l'alinéa 169a) des Règles rend la totalité des dispositions de la partie 4 des Règles applicable aux renvois visés à l'article 18 de la Loi. La partie 4 des Règles inclut les règles applicables au jugement sommaire. Il n'aurait pas été difficile pour le législateur d'appliquer la partie 4 des Règles, sauf les règles du jugement sommaire, à ces renvois, si telle était son intention.

[15]Cette conclusion selon laquelle le jugement sommaire peut être demandé dans un renvoi fondé sur la Loi est également appuyée par la décision récente du juge Hugessen dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Kawash, 2003 CFPI 709; [2003] A.C.F. no 918 (1re inst.) (QL) dans laquelle un jugement sommaire a été accordé relativement à un tel renvoi.

[16]Bien que j'aie conclu que l'arrêt Obodzinsky n'empêche pas le dépôt d'une requête en jugement sommaire dans le cadre d'un renvoi, j'y vois un avertissement. À tout le moins, l'ordonnance recherchée dans le cadre d'un jugement sommaire doit être compatible avec la nature du renvoi fondé sur le paragraphe 18(1). En l'espèce, j'estime que cette condition est respectée. Le redressement recherché dans la requête en jugement sommaire est une déclaration portant sur l'objet du renvoi. La requête en jugement sommaire a également été déposée en temps et lieu, avant que le renvoi lui-même soit mis au rôle, comme l'exige le paragraphe 213(1) des Règles.

LES CRITÈRES POUR L'OBTENTION D'UN JUGEMENT SOMMAIRE

[17]Dans l'arrêt ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd. (2001), 11 C.P.R. (4th) 174, dont l'autorisation de pourvoi a été rejetée par [2001] 2 R.C.S. ix, la Cour d'appel fédérale statuait que les principes qui s'appliquent à une requête en jugement sommaire sont ceux qui ont été énoncés dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853 (1re inst.). Ces principes, dans la mesure où ils sont pertinents à la présente requête, sont les suivants:

1. Le jugement sommaire a pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire.

2. Il n'existe pas de critère absolu. Il ne s'agit pas de savoir si une partie n'a aucune chance d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès.

3. Chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien.

4. Saisie d'une requête en jugement sommaire, cette Cour peut trancher des questions de fait et de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire.

5. Le tribunal ne peut rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions.

6. Lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire parce que les témoins devraient être contre-interrogés devant le juge de la première instance. L'existence d'une apparente contradiction de preuve n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire. Le tribunal doit «se pencher de près» sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher.

[18]La partie qui dépose la requête a le fardeau d'établir les faits nécessaires pour obtenir le jugement sommaire. Toutefois, lorsqu'elle s'est acquittée de ce fardeau, c'est la partie adverse qui a le fardeau de démontrer qu'il y a une question sérieuse à instruire. Les deux parties doivent présenter leurs meilleurs arguments pour permettre au juge des requêtes de déterminer s'il existe une question litigieuse qui mérite d'être instruite. Voir: F. Von Langsdorff Licensing Ltd. c. S.F. Concrete Technology, Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 88 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12.

[19]Le jugement sommaire devrait être accordé lorsque la Cour est saisie d'éléments de preuve qui établissent les faits essentiels pertinents, de sorte que l'instruction de la cause permettrait d'ajouter des détails, mais non de nouveaux éléments de preuve importants. Voir: Pawar c. Canada, [1999] 1 C.F. 158 (1re inst.); confirmé par (1999), 67 C.R.R. (2d) 284 (C.A.F.); autorisation de pourvoi refusée par [2000] 1 R.C.S. xvii.

CE QUE LA LOI EXIGE POUR FONDER UNE DÉCLARATION SUR L'ALINÉA 18(1)b) DE LA LOI

[20]Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Odynsky (2001), 196 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay a examiné le sens de l'expression «dissimulation intentionnelle de faits essentiels» qui est utilisée à l'article 10 de la Loi. Il a conclu, au paragraphe 159, que cette expression exige:

[. . .] que la Cour conclue sur le fondement de la preuve ou par déduction raisonnable à partir de la preuve, que la personne intéressée a dissimulé des faits essentiels à la décision, qu'elle ait su ou non que ces faits étaient essentiels, avec l'intention d'induire en erreur le décideur.

[21]Le caractère essentiel doit être déterminé en fonction de l'importance des renseignements qui n'ont pas été révélés par rapport à la décision visée.

[22]Le juge MacKay a de plus conclu, en s'appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, que la représentation inexacte d'un fait essentiel englobe une déclaration contraire à la vérité, la dissimulation d'un renseignement véridique, ou une réponse trompeuse qui a pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes.

[23]Le juge McKeown a également appliqué l'arrêt Brooks, précité, dans le contexte d'une révocation de la citoyenneté dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Baumgartner (2001), 211 F.T.R. 197 (C.F. 1re inst.). Le juge McKeown écrit ce qui suit aux paragraphes 138 à 140 de sa décision:

Dans l'arrêt M.M.I. c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, M. le juge Laskin, au nom de la Cour, a statué que les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses qui excluent en fait la tenue d'une enquête peuvent constituer de fausses déclarations essentielles, même si aucun motif indépendant d'expulsion n'était découvert par suite de cette enquête. Dans l'affaire Brooks, précitée, le demandeur avait censément donné des réponses fausses dans la demande qu'il avait présentée en vue d'être admis au Canada. Aux pages 865 et 873, le juge Laskin a dit ce qui suit:

    [. . .] Une réponse peut être à la fois fausse et trompeuse mais la loi ne demande pas que ces deux éléments soient réunis. Il peut s'agir de l'un ou de l'autre et l'interdiction peut s'appliquer quand même à la réponse. Aussi, puisque l'exécution des politiques d'immigration et d'expulsion au moyen d'enquêtes spéciales n'entraîne pas de peines criminelles, je ne puis me convaincre que la tromperie intentionnelle ou volontaire devrait être considérée comme une condition préalable. [. . .]

    Afin d'éliminer tout doute à ce sujet résultant des motifs de la Commission, je rejetterais toute prétention ou conclusion selon laquelle, pour qu'il y ait caractère important sous le régime du sous-al. (viii) de l'al. e) du paragr. (1) de l'art. 19, la déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur donnés dans une réponse ou des réponses doivent être de nature à avoir caché un motif indépendant d'expulsion. La déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur peuvent ne pas avoir semblable effet et, cependant, avoir été des facteurs qui ont déterminé l'admission. La preuve faite en l'espèce suivant laquelle certaines réponses inexactes n'auraient eu aucun effet sur l'admission d'une personne, est évidemment pertinente quant à la question du caractère important. Mais est aussi pertinente la question de savoir si les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses ont eu pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d'expulsion n'eût été découvert par suite de ces enquêtes.

Le ministre a attiré l'attention de la Cour sur diverses décisions dans lesquelles on avait suivi le principe énoncé dans l'arrêt Brooks, précité, y compris les décisions Hilario c. M.M.I., [1978] 1 C.F. 697 (1re inst.); Khamsei c. M.E.I., [1981] 1 C.F. 222 (C.A.F.); Juayong c. M.E.I. (1988), 99 N.R 78 (C.A.F.); Okwe c. M.E.I.  (1991), 136 N.R. 261 (C.A.F.); et Mohammed c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 605 (Q.L.). En n'admettant pas qu'il avait été garde dans un camp de concentration pendant la guerre, le défendeur a effectivement empêché les responsables de l'immigration (l'agent d'immigration et l'agent de contrôle des visas) de lui demander des renseignements au sujet de son service. Il aurait donc été impossible pour les autorités de questionner le défendeur au sujet des actes qu'il avait commis à titre de garde de camp de concentration, certains de ces actes ayant pour effet de le rendre non admissible en tant que [traduction] «criminel» ou en tant que [traduction] «criminel important» selon les critères établis par le Conseil de sécurité lors de la réunion du 15 mai 1952. Je note que le défendeur soutient qu'il n'avait aucune obligation de se montrer honnête au moment de l'entrevue qu'il a eue aux fins de l'immigration, selon la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Secrétaire d'État c. Luitjens (1991), 46 F.T.R. 267. Je souscris à cette prétention, mais je conclus que cela n'est pas pertinent en l'espèce puisque M. Baumgartner a lui-même témoigné qu'on lui avait de fait posé des questions au sujet de sa participation militaire au cours des entrevues qui ont eu lieu au mois de mars 1953.

Le défendeur déclare ce qui suit, à la page 24, paragraphe 50 des arguments écrits:

    [traduction] Il ne peut pas être inféré que la simple entrée de M. Baumgartner au Canada résultait d'une fraude à moins que la Cour ne soit convaincue que M. Baumgartner se serait nécessairement vu refuser l'entrée si sa situation véritable avait été connue, ce qui de son côté exige une preuve montrant que les critères de refoulement applicables, quels qu'ils aient été, exigeaient le refoulement du défendeur.

Toutefois, comme il en a déjà été fait mention, il n'est pas nécessaire d'établir que M. Baumgartner se serait vu refuser l'entrée à cause d'une fausse déclaration, mais uniquement qu'il n'a pas divulgué des éléments essentiels d'information de sorte qu'il était peut-être impossible pour les agents d'immigration et pour l'agent de sécurité de mener une enquête qui aurait peut-être révélé que M. Baumgartner n'était pas admissible selon la politique établie par le Conseil de sécurité au mois de mai 1952 et les [traduction] «Motifs de refoulement» connexes. Comme le démontrent les arrêts qui ont été cités, et contrairement aux arguments du défendeur, le ministre n'était pas tenu de démontrer, dans ses actes de procédure, que des fausses déclarations précises avaient permis à M. Baumgartner d'obtenir le droit d'établissement. En ne divulguant pas qu'il avait servi comme garde de camp de concentration, M. Baumgartner s'est soustrait à une enquête au sujet des actes précis qu'il avait pu commettre et de la nature de son service en cette qualité. Pareille enquête aurait peut-être permis de découvrir des renseignements qui auraient eu pour effet de rendre M. Baumgartner non admissible. Par conséquent, en omettant de divulguer le rôle qu'il avait eu à titre de garde de camp de concentration lorsque les responsables canadiens lui avaient posé des questions au sujet de son service militaire pendant les entrevues au mois de mars 1953, M. Baumgartner avait fait une fausse déclaration essentielle qui lui a permis d'obtenir le droit d'établissement au Canada et d'acquérir par la suite la citoyenneté canadienne. [Non souligné dans l'original.]

[24]Ainsi donc, en droit, une déclaration contraire à la vérité ou une réponse trompeuse qui a pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes peut constituer une fausse déclaration au sens de la Loi.

[25]La norme de preuve qui est applicable dans un renvoi fondé sur la Loi est la norme de preuve en matière civile, c'est-à-dire la probabilité la plus forte. Toutefois, la preuve doit être examinée avec le plus grand soin en raison de la gravité des allégations et des conséquences graves qu'implique la révocation de la citoyenneté. Voir: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Coomar (1998), 159 F.T.R. 37 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 10.

[26]Il faut établir davantage qu'une transgression technique de la Loi. Une fausse déclaration faite innocemment ne doit pas entraîner la révocation de la citoyenneté. Voir: Canada (Ministre du Multiculturalisme et de la Citoyenneté) c. Minhas (1993), 66 F.T.R. 155 (C.F. 1re inst.).

APPLICATION DE CES PRINCIPES À l'ESPÈCE

(i) La fausse déclaration alléguée à la juge de la citoyenneté

[27]La juge de la citoyenneté qui a accueilli la demande de citoyenneté du défendeur a signé sous serment un affidavit pour les fins de la présente instance dans lequel elle renonce à tout privilège qu'elle pourrait invoquer en sa qualité d'ancienne juge de la citoyenneté. Elle jure se rappeler clairement de l'entrevue avec le défendeur. Conformément à son habitude, elle dit avoir demandé au défendeur s'il avait déjà fait ou s'il faisait l'objet d'une enquête criminelle. Elle déclare que ses mots exacts ont été les suivants: [traduction] «Avez-vous déjà fait dans le passé l'objet d'une enquête criminelle de quelque type que ce soit, ou en faites-vous l'objet actuellement?». Elle déclare que le défendeur lui a répondu par la négative. La juge de la citoyenneté déclare de plus que si le défendeur avait répondu affirmativement à la question, elle ne l'aurait pas autorisé à signer l'attestation ni à prêter le serment de citoyenneté. Elle aurait fait enquête sur le type d'infraction ayant fait l'objet de l'enquête, étant donné que le fait d'être accusé d'un acte criminel aurait empêché le défendeur de prêter le serment et de devenir citoyen.

[28]Comme on l'a indiqué ci-dessus, le défendeur a également signé sous serment un affidavit dans la présente instance. Dans cet affidavit, il conteste avec force la version des faits donnée par la juge de la citoyenneté. Il déclare qu'elle lui a effectivement demandé s'il avait [traduction] «eu des problèmes» avec la GRC, et qu'il lui a demandé de préciser ce qu'elle voulait dire par cette expression. Elle a indiqué que la question signifiait [traduction] «Avez-vous déjà été accusé d'un acte criminel?». Il lui a dit qu'il n'avait été accusé d'aucune infraction, ce qui, à l'époque, était vrai. Le défendeur nie qu'on lui a demandé s'il faisait à ce moment-là l'objet d'une enquête criminelle de quelque type que ce soit.

[29]Ni la juge de la citoyenneté ni le défendeur n'ont été contre-interrogés au sujet de leur affidavit.

[30]Au nom du ministre, on affirme que malgré cette contradiction de la preuve, il n'y a pas de véritable question litigieuse sur ce point parce que le défendeur n'est pas crédible. Le ministre fait valoir qu'il a par le passé fait sous serment un faux témoignage. Par conséquent, on ne peut dire qu'il existe une question sérieuse au sujet de la crédibilité.

[31]En tout respect, je ne peux souscrire à cette prétention. Je me suis «penchée de près» sur les affidavits contradictoires et je suis d'avis que si cette question doit être tranchée, la décision doit être rendue après que les parties auront été contre-interrogées sous serment devant le juge des faits. À mon avis, il y a une véritable question litigieuse quant à savoir si le défendeur a menti à la juge de la citoyenneté en vue d'obtenir sa citoyenneté au moyen d'une fausse déclaration.

(ii) La fausse déclaration alléguée ou la dissimulation intentionnelle à la GRC

[32]Par application de l'alinéa 22(1)b) de la Loi, la question de savoir si le défendeur avait été accusé d'un acte criminel le 5 février 1993 quand il a prêté le serment de citoyenneté et qu'il a obtenu la citoyenneté, constitue un fait essentiel.

[33]Trois mois avant cette date, soit le 6 novembre 1992, le défendeur a été informé des allégations qui avaient été portées contre lui par la victime de l'agression sexuelle qu'il avait commise. La déposition du défendeur indiquant ce qu'il a fait après avoir été informé de la plainte et de l'enquête est importante. Dans son affidavit déposé à l'encontre de la présente requête, le défendeur déclare sous serment ce qui suit:

[traduction] 5. J'ai d'abord été informé des allégations portées contre moi le 6 novembre 1992. J'ai été interrogé par la GRC le 9 novembre 1992, en présence de mon avocat, Brad Hunter. À l'époque, j'ai nié ma participation aux infractions. Je ne voulais pas être reconnu coupable des infractions et je n'étais pas disposé à assumer ma responsabilité pour ces infractions à l'époque. J'accepte maintenant la responsabilité de mes gestes.

6. J'ai également essayé de me disculper des allégations en fournissant un échantillon de sang frauduleux à la police. Cela constitue une infraction que d'essayer d'entraver le cours de la justice en donnant de faux éléments de preuve, contrairement au paragraphe 139(2) du Code criminel.

7. À l'époque, mon but était d'éviter d'être poursuivi pour les infractions qui ont été commises le 31 octobre 1992. Je ne voulais pas donner d'échantillon de mon propre sang à l'époque parce que je savais que cela m'incriminerait.

[34]Le défendeur admet donc avoir fourni un échantillon de sang frauduleux pour éviter d'être poursuivi et pour se [traduction] «disculper». Il admet également avoir commis l'infraction qui consiste à essayer d'entraver le cours de la justice en fournissant une fausse preuve.

[35]Le sergent Haanstra de la GRC a également déposé un affidavit à l'appui de la requête du ministre en jugement sommaire. Dans cet affidavit, il déclare sous serment qu'il était l'enquêteur principal dans les accusations criminelles qui ont mené à la condamnation au criminel du défendeur. Le sergent Haanstra a déclaré sous serment ce qui suit:

[traduction] 5. Le 6 novembre 1992, le gendarme Pattyson de la GRC et moi-même avons tout d'abord communiqué avec le défendeur. Nous l'avons rencontré et l'avons brièvement interrogé concernant les allégations déposées par C.F. Le défendeur a demandé à parler à son avocat et l'entrevue a pris fin. Le défendeur savait ou aurait dû savoir qu'à compter du 6 novembre 1992 il faisait l'objet d'une enquête criminelle.

6. L'après-midi du 6 novembre 1992, j'ai été informé et je crois que l'avocat qui représentait alors le défendeur, Brad Hunter, a communiqué avec le gendarme Pattyson et a pris les mesures pour que le défendeur soit interrogé le 9 novembre 1992. J'ai assisté à l'interrogatoire avec le défendeur et M. Hunter. Le défendeur a donné une déclaration écrite niant sa participation. Après, je lui ai demandé s'il était disposé à fournir des échantillons de sang et de cheveu. M. Hunter a répondu qu'ils répondraient à cette demande plus tard.

7. Le 11 novembre 1992, j'ai été informé et je crois que M. Hunter a communiqué avec le gendarme Pattyson. M. Hunter a dit que si le défendeur acceptait de fournir un échantillon de sang, lui-même et son client souhaiteraient obtenir une partie de l'échantillon de sperme prélevé sur C.F. afin d'effectuer leur propre test d'ADN en retenant les services d'experts indépendants.

8. Le 16 novembre 1992, j'ai été informé et je crois que M. Hunter a téléphoné au gendarme Bevans, un autre membre du Détachement Kipling de la GRC. M. Hunter a déclaré que le défendeur était prêt, moyennant certaines conditions, à fournir un échantillon de sang ce jour-là.

9. Après mon entrevue avec le défendeur le 9 novembre 1992, j'ai conclu qu'il existait des motifs raisonnables et probables suffisants pour l'accuser d'agression sexuelle en vertu de l'article 271 du Code criminel. Le 21 décembre 1992, j'ai communiqué avec Steve Connelly, avocat de la Couronne au bureau régional de Regina, pour vérifier s'il avait objection à ce que je porte ces accusations. Il m'a répondu qu'il avait déjà dit à l'avocat du défendeur qu'aucune accusation ne serait portée tant que les résultats du test d'ADN, effectué par un laboratoire indépendant, ne seraient pas reçus.

    [. . .]

11. J'ai été informé et je crois que, le 17 novembre 1992, une partie de l'échantillon de sang frauduleux du défendeur, de même qu'une partie de l'échantillon de sperme prélevé sur C.F., ont été expédiées au laboratoire médico-légal de la GRC à Regina pour une analyse d'ADN. J'ai de plus été informé et je crois que, le 16 décembre 1992, le laboratoire médico-légal de Regina a fait parvenir une partie de ces deux échantillons à un laboratoire indépendant à Greensboro (Caroline du Nord), comme l'avocat qui représentait à l'époque le défendeur l'avait demandé.

12. Le 18 janvier 1993, l'avocat qui représentait alors le défendeur a reçu le rapport médico-légal du test d'ADN en date du 15 janvier 1993, du laboratoire indépendant. Le 25 janvier 1993, nous avons reçu une copie du même rapport au Détachement Kipling. Ce rapport indiquait que l'échantillon de sang frauduleux prélevé sur le défendeur le 16 novembre 1992 ne correspondait pas à l'ADN de l'échantillon de sperme prélevé sur C.F. À la Pièce C du présent affidavit, on trouve une copie du rapport médico-légal en question.

13. Le 15 juin 1993, le Détachement Kipling de la GRC a également reçu confirmation du laboratoire médico-légal de la GRC à Ottawa qu'il n'y avait pas de correspondance avec l'ADN de l'échantillon de sang frauduleux que le défendeur avait donné le 16 novembre 1992.

[36]Le sergent Haanstra n'a pas été contre-interrogé sur cette déposition, et celle-ci n'est contredite par aucune autre preuve.

[37]Le fait que je dégage de cette preuve c'est qu'en donnant sciemment un échantillon de sang frauduleux afin d'éviter des poursuites criminelles, le défendeur a fait obstacle à cette époque à la tenue de toute autre enquête par les agents de police. Il a également fait en sorte d'exclure toute accusation d'agression sexuelle en décembre 1992, c'est-à-dire une accusation d'acte criminel. La déposition du sergent Haanstra n'est pas contredite sur le fait qu'il en est arrivé à la conclusion qu'il existait des motifs raisonnables et probables suffisants pour porter des accusations contre le défendeur. Le sergent Haanstra a été dissuadé d'agir de la sorte le 21 décembre 1992, parce que le défendeur avait fourni un échantillon de sang et que les avocats de la Couronne avaient convenu avec l'avocat du défendeur de ne porter aucune accusation tant que les résultats du test d'ADN ne seraient pas reçus. Le défendeur n'a accepté de fournir un échantillon de sang pour les fins du test que parce qu'il savait que cela ne l'incriminerait pas. Mais s'il n'avait pas donné cet échantillon de sang frauduleux, le défendeur aurait été accusé avant le 5 février 1993.

[38]Au nom du défendeur, on fait valoir qu'il existe une véritable question litigieuse quant à savoir s'il aurait été accusé avant le 5 février 1993, parce qu'il prétend qu'il n'était pas du ressort du sergent Haanstra de décider si, ou quand, des accusations pouvaient être portées. La responsabilité de cette décision est censée incomber à l'avocat de la Couronne au bureau régional.

[39]À mon avis, la preuve ne fournit pas de fondement à cet argument. Aucun élément de preuve n'indique que le sergent Haanstra avait besoin du consentement des avocats de la Couronne pour accuser le défendeur. La preuve indique seulement que le sergent Haanstra a téléphoné aux avocats de la Couronne pour vérifier s'ils s'opposaient à ce qu'une accusation soit déposée. La seule preuve d'objection de la part des avocats de la Couronne était fondée sur l'entente qu'ils avaient prise avec l'avocat du défendeur de ne pas accuser ce dernier tant que les résultats du test d'ADN ne seraient pas connus. Cette entente a été prise uniquement parce que le défendeur a accepté de donner un échantillon de sang frauduleux, et qu'il n'a donné celui-ci que parce qu'il savait que cela ne l'incriminerait pas.

[40]Le défendeur fait également valoir qu'un agent de la paix n'a pas le pouvoir, en droit, d'accuser une personne. Il prétend qu'il y a une [traduction] «grosse lacune» dans la preuve concernant le pouvoir du sergent Haanstra à cet égard et que la preuve n'indique pas clairement la formalité à suivre pour porter des accusations. En outre, on prétend que le Code criminel ne définit pas ce qu'est une «accusation». L'article 507 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 78; L.C. 1994, ch. 44, art. 43; 2002, ch. 13, art. 21] du Code criminel a également été invoqué.

[41]Je ne suis pas convaincue que la formalité pour déposer des accusations soit aussi mystérieuse que ce que laisse entendre le défendeur. En outre, c'est en grande partie une question de droit.

[42]Dans l'ouvrage de Salhany intitulé Canadian Criminal Procedure (6e édition) (feuilles mobiles), au paragraphe 3.680, l'auteur écrit ceci:

[traduction] Au Canada, pour qu'une personne accusée d'un acte criminel puisse être poursuivie, il faut généralement qu'une dénonciation soit faite devant un juge de paix. Quiconque croit, pour des motifs raisonnables, qu'une personne a commis un acte criminel peut faire une dénonciation par écrit et sous serment devant un juge de paix. L'expression «faire une dénonciation» ne signifie essentiellement rien de plus que porter une accusation par écrit devant un juge de paix (c'est-à-dire faire une dénonciation devant lui) aux fins d'obtenir sa signature. [Renvois et citations omis.]

[43]L'article 504 du Code criminel est rédigé dans les termes suivants:

504. Quiconque croit, pour des motifs raisonnables, qu'une personne a commis un acte criminel peut faire une dénonciation par écrit et sous serment devant un juge de paix, et celui-ci doit recevoir la dénonciation, s'il est allégué, selon le cas:

    a) que la personne a commis, en quelque lieu que ce soit, un acte criminel qui peut être jugé dans la province où réside le juge de paix et que la personne:

    (i) ou bien se trouve ou est présumée se trouver,

    (ii) ou bien réside ou est présumé résider,

    dans le ressort du juge de paix;

    b) que la personne, en quelque lieu qu'elle puisse être, a commis un acte criminel dans le ressort du juge de paix;

    c) que la personne a illégalement reçu, en quelque lieu que ce soit, des biens qui ont été illégalement obtenus dans le ressort du juge de paix; ou

    d) que la personne a en sa possession, dans le ressort du juge de paix, des biens volés.

[44]La Cour d'appel de l'Ontario a statué ce qui suit, pour ce qui concerne l'article qui précédait l'article 504 du Code criminel:

[traduction] Je suis d'avis qu'à l'article 439 [le prédécesseur de l'article 504] le mot «recevoir» signifie que le juge ne peut rejeter une plainte qui est faite par écrit et qui respecte les conditions énoncées dans cet article. La plainte ou les détails de l'infraction alléguée sont consignés par écrit et quand ils sont établis sous serment devant le juge de paix, ils constituent une dénonciation. Au moment où la plainte écrite est faite sous serment, la dénonciation est «reçue» et devient la première étape ou le commencement de la poursuite criminelle.

Voir: Regina v. Southwick, Ex parte Gilbert Steel Ltd., [1967] 2 O.R. 428 (C.A.), à la page 430.

[45]À mon avis, cela établit hors de tout doute le pouvoir du sergent Haanstra de faire une dénonciation, et ainsi d'engager une procédure criminelle concernant un acte criminel.

[46]Concernant l'article 507 du Code criminel sur lequel on s'appuie, cet article traite d'une étape subséquente dans la poursuite qui consiste à délivrer une sommation ou un mandat d'arrestation. Il ne limite pas le droit d'une personne de faire une dénonciation par écrit.

[47]Finalement, le défendeur s'appuie sur la décision de cette Cour dans Minhas, précitée, pour soutenir que le ministre doit prouver que le défendeur a fait de fausses déclarations au sujet des faits pertinents avec l'intention de tromper et d'obtenir sa citoyenneté sur la base de ces fausses déclarations. À mon avis, il faut établir une distinction avec la décision Minhas. Il n'y a rien dans les motifs de la Cour qui permette d'affirmer que M. Minhas avait l'intention de tromper les autorités. Il n'a tout simplement pas indiqué volontairement qu'il avait été accusé d'une infraction. On peut établir une distinction avec la présente espèce, parce que le défendeur a activement trompé les autorités en donnant un échantillon de sang frauduleux contrecarrer l'enquête et les formalités d'accusation.

[48]Pour ces raisons, je suis convaincue, d'après la probabilité la plus forte, que le défendeur a remis un échantillon de sang frauduleux à la GRC. Cela constitue une fausse déclaration et une dissimulation intentionnelle d'un fait essentiel à la GRC. La fausse déclaration était le fait que l'échantillon de sang était celui du défendeur. Le défendeur a sciemment dissimulé le fait essentiel que cet échantillon de sang était celui de quelqu'un d'autre contenu dans un tube de caoutchouc inséré sous sa peau dans son bras. En faisant cette fausse déclaration ou en dissimulant intentionnellement un fait essentiel, ou les deux, le défendeur s'est dérobé à toute autre enquête policière qui aurait vraisemblablement mené à des accusations criminelles. En retour, cela l'aurait rendu non admissible à la citoyenneté. Il a pu dire à la juge de la citoyenneté qu'il n'avait pas été accusé d'une infraction parce qu'il avait fait cette fausse déclaration ou qu'il avait dissimulé intentionnellement un fait essentiel, ou les deux.

[49]Il n'y a pas de véritable question litigieuse concernant l'existence de ces faits ou des conclusions légales qui découlent de ces faits. La requête en jugement sommaire sera donc accueillie sur cette base.

[50]Les avocats du ministre n'ont pas énergiquement demandé l'adjudication des dépens. Comme il s'agit de l'un des premiers cas dans lequel on demande un jugement sommaire dans une procédure en révocation de citoyenneté, et dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j'estime que chaque partie doit assumer ses propres frais. Il n'y aura donc pas d'ordonnance concernant les dépens.

    ORDONNANCE

[51]LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT:

La requête en jugement sommaire est accueillie. Il est déclaré que le défendeur a obtenu sa citoyenneté canadienne en faisant une fausse déclaration ou en dissimulant intentionnellement un fait essentiel à la GRC.

    ANNEXE A

Les articles 10, 18 et l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté sont rédigés dans les termes suivants:

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée:

    a) soit perd sa citoyenneté;

    b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

    [. . .]

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée:

    a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

    b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

    [. . .]

22. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre de l'article 5 ou du paragraphe 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté:

    [. . .]

    b) tant qu'il est inculpé pour une infraction prévue aux paragraphes 29(2) ou (3) ou pour un acte criminel prévu par une loi fédérale, autre qu'une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions, et ce, jusqu'à la date d'épuisement des voies de recours.

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