IMM-4621-02
2004 CF 349
Sharone Thanaratnam (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)
Répertorié: Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge O'Reilly J.--Toronto, 3 septembre 2003; Ottawa, 9 mars 2004.
Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de résidents permanents -- Appartenance à une organisation criminelle -- La Commission a conclu que le demandeur, un citoyen du Sri Lanka, était membre d'un gang tamoul -- La Commission a-t-elle commis une erreur en examinant une preuve autre que le casier judiciaire? -- La police croit que le demandeur a participé à de nombreux incidents reliés à des gangs -- La question dont était saisie la Commission est la suivante: y avait-il des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre d'une organisation criminelle? -- Un simple soupçon est insuffisant -- La Commission peut-elle examiner des accusations criminelles en instance? -- Le simple fait d'être accusé peut être pertinent quant à la question de l'appartenance au gang -- Les gangs tamouls sont-ils des «organisations» au sens de l'art. 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés? -- Le mot «organisation» n'est pas défini dans la Loi -- Les critères de la police relativement à l'appartenance à des gangs n'ont pas été respectés -- Il n'y a pas de fondement dans la preuve pour conclure que le demandeur «appartenait» à une organisation criminelle.
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui a conclu que le demandeur, un citoyen du Sri Lanka et résident permanent du Canada, devait être renvoyé du Canada. La formation a accepté les arguments du ministre sur les deux motifs de renvoi: 1) il a été reconnu coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement égal ou supérieur à cinq ans et 2) il est membre d'une organisation criminelle, un gang tamoul de Toronto. Le demandeur reconnaît ses condamnations, mais il nie la deuxième allégation.
Jugement: la demande doit être accueillie.
La première question est de savoir si la Commission a commis une erreur en s'appuyant sur une preuve autre que le casier judiciaire du demandeur. La Commission a tenu compte de rapports de police et du témoignage de policiers pour en arriver à la conclusion que le demandeur était membre d'une organisation criminelle. La Commission n'est pas liée par les règles de preuve et elle peut s'appuyer sur tous les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi. Pourtant, le demandeur soutient que la Commission ne devrait accorder que peu ou pas d'importance au ouï-dire. La Commission a examiné toutes les preuves des différents contacts que le demandeur a eus avec la police depuis 1985. Les autorités policières croyaient qu'il avait participé à plusieurs incidents reliés à des gangs. Dans l'ensemble, la Commission a conclu que le demandeur était en fait membre d'un gang tamoul appelé le VVT.
En vertu de l'article 33 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le rôle de la Commission était de déterminer s'il y avait «des motifs raisonnables de croire» que le demandeur était membre d'une organisation criminelle, un seuil de preuve assez bas qui est habituellement utilisé en droit criminel en relation avec la délivrance de mandats. Mais, les «motifs raisonnables de croire» sont plus qu'un simple soupçon et ils impliquent un degré de probabilité fondé sur une preuve crédible. Cependant, il a été clairement établi que, dans le contexte de l'immigration, il s'agit d'une norme inférieure à celle de la prépondérance des probabilités. Dans le contexte criminel, il est bien établi que la norme peut être établie au moyen d'une preuve par ouï-dire et d'autres formes de preuve qui ne sont habituellement pas admissibles dans un procès. Toutefois, le demandeur prétend que la jurisprudence prédominante donne clairement instruction à la Commission de ne pas s'appuyer sur des accusations en instance, mais uniquement sur des condamnations véritables: décision du juge Rouleau dans Bakchiev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). Par ailleurs, dans l'arrêt Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (dans laquelle il a été statué que la Commission avait le droit de s'appuyer sur un acte d'accusation et un mandat d'arrêt délivrés aux États-Unis pour décider s'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'une personne avait commis un crime à l'extérieur du Canada), le juge MacGuigan a exprimé l'avis contraire. Les causes sur lesquelles s'appuient le demandeur et le défendeur ont été rapprochées: dans des situations où la Loi n'exige pas précisément la preuve d'une condamnation, la Commission peut examiner d'autres éléments de preuve crédibles et dignes de foi prouvant la participation à des activités criminelles, plus particulièrement lorsque la norme relative aux «motifs raisonnables de croire» s'applique.
Cependant, il y a un équilibre à respecter et la norme des motifs raisonnables assure une protection contre l'arbitraire et les mesures étatiques injustifiées. Bien qu'il ait été loisible à la Commission d'examiner les diverses formes de preuve dont elle était saisie et de leur accorder une importance correspondant à leur fiabilité, sa conclusion finale selon laquelle le demandeur était membre d'une organisation criminelle n'est pas appuyée par la preuve.
La deuxième question à trancher est de savoir si les gangs tamouls avec lesquels le demandeur aurait été associé sont des «organisations» au sens de l'alinéa 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Même si la Commission était saisie d'une preuve indiquant que ces groupes se livraient à des activités criminelles, la question à trancher était de savoir si ces groupes pouvaient être décrits comme des «organisations». Même si le Code criminel définit l'expression «organisation criminelle» en détail, la Loi ne définit pas le terme «organisation». Selon le Code, une organisation criminelle n'inclut pas «un groupe d'individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d'une seule infraction». Mais le Code n'exige pas de formalités particulières ou de formalités ayant trait à la prise des décisions et son utilisation des mots «quel qu'en soit le mode d'organisation» laisse entendre qu'elle doit être organisée d'une manière quelconque, mais sans la nécessité de se doter d'un attribut minimum ou obligatoire. Les groupes tamouls en cause avaient certaines caractéristiques d'une organisation et la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant qu'ils tombaient sous le coup de l'alinéa 37(1)a) de la Loi.
Quant à savoir si le demandeur appartenait à une organisation criminelle, on a soutenu que la conclusion de la Commission se fondait sur de la spéculation et des stéréotypes. Le demandeur prétend que la Commission a simplement présumé que son association avec d'autres personnes ayant les mêmes origines que lui, jumelée à la perpétration spontanée d'actes criminels, suffisait à faire la preuve qu'il faisait partie d'un gang. En s'appuyant sur cette preuve, la Commission a conclu que le demandeur était [traduction] «dans le feu de l'action». Mais la preuve démontrait-elle qu'il appartenait réellement à un gang? Même les témoins de la police ont reconnu que le fait d'être lié à des activités de gang ne constitue pas une preuve suffisante à partir de laquelle on peut tirer une inférence selon laquelle une personne est membre d'un gang. La Commission a énoncé une liste de critères identifiés par la police comme devant être pris en compte pour tirer cette inférence. Bien que la Commission ait noté à juste titre qu'elle n'était pas liée par les critères de la police, elle s'est appuyée considérablement sur les témoignages et la preuve documentaire donnés par les agents de police. Mais il ne semble pas que les critères élaborés par la police aient été respectés en l'espèce. La plupart des critères n'ont pas été respectés. En particulier, à première vue, il n'y avait rien dans le casier judiciaire du demandeur qui révélait qu'il y avait eu des conclusions judiciaires préalables, notamment des témoignages donnés sous serment, indiquant que le demandeur était membre d'un gang. Un détective qui a témoigné devant la Commission était convaincu que le demandeur était «complètement intégré dans une sous-culture» et qu'il avait participé à des activités criminelles, mais il n'est pas allé jusqu'à dire que la preuve, dont une bonne partie était du ouï-dire, permettait d'appuyer l'inférence selon laquelle le demandeur était membre d'un gang. Il n'y avait donc pas de fondement dans la preuve pour justifier la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur «appartenait» réellement à une organisation se livrant à des activités criminelles.
L'affaire devrait être renvoyée à la Commission pour être réexaminée par une formation différente sur la question de savoir si le demandeur est membre d'une organisation criminelle.
lois et règlements
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 467.1(1) «organisation criminelle» (édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 11; 2001, ch. 32, art. 27).
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)c) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), c.1) (édicté, idem; 1995, ch. 15, art. 2), c.2) (édicté, par L.C. 1992, ch. 49. art. 11; 1996, ch. 19, art. 83), 27(1)a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16), a.1) (édicté, idem; 1995, ch. 15, art. 5), d) (mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 78), 53(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 12). |
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 33, 37(1)a), 173. |
jurisprudence
décisions appliquées:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192; 219 N.R. 376 (C.A.F.).
distinction faite d'avec:
Bakchiev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 196 F.T.R. 306; 12 Imm. L.R. (3d) 75 (C.F. 1re inst.).
décisions citées:
R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140; (1989), 52 C.C.C. (3d) 193; 73 C.R. (3d) 129; 45 C.R.R. 49; 102 N.R. 161; 37 O.A.C. 1; Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 3 C.F. 349; (1996), 136 D.L.R. (4th) 433; 37 C.R.R. (2d) 112; 114 F.T.R. 247; 34 Imm. L.R. (2d) 259 (1re inst.); Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 642; (1998), 141 F.T.R. 81 (1re inst.); R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R. (4th) 508; [1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33 C.C.C. (3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R. 276.
DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision d'une formation de la Commission de l'Immigration et du statut de réfugié selon laquelle le demandeur devait être renvoyé du Canada pour deux motifs: il a été reconnu coupable d'activités criminelles graves et il est membre d'une organisation criminelle. La demande a été accueillie relativement au deuxième motif.
ont comparu:
Barbara Jackman pour la demanderesse.
Gregory G. George pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Barbara L. Jackman, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et jugement rendus par
[1]Le juge O'Reilly: M. Sharone Thanaratnam est un résident permanent du Canada et un citoyen du Sri Lanka. Il est âgé de 26 ans. Le ministre fonde ses efforts pour renvoyer M. Thanaratnam du Canada sur deux motifs. Tout d'abord, il allègue que M. Thanaratnam a été reconnu coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans (Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, alinéa 27(1)d) [mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 78]; les dispositions pertinentes des lois sont reproduites en annexe). Il allègue également qu'il y a des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam est membre d'une organisation criminelle, savoir un gang tamoul de Toronto (Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, alinéas 27(1)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] et 19(1)c.2) [édicté, idem, art. 11; 1996, ch. 19, art. 83]).
[2]Une formation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le ministre avait prouvé les deux allégations et que M. Thanaratnam devait donc être renvoyé du Canada. M. Thanaratnam admet qu'il a été reconnu coupable d'infractions punissables d'un emprisonnement égal ou supérieur à cinq ans et, par conséquent, il ne conteste pas la conclusion de la Commission sur ce point. Toutefois, il soutient que la Commission a commis une erreur grave en concluant qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'il était membre d'une organisation criminelle. Dans sa demande de contrôle judiciaire, il me demande d'infirmer cette partie de la décision de la Commission et de renvoyer l'affaire à une autre formation de la Commission.
[3]J'estime que la majeure partie de l'analyse de la Commission est appropriée. Toutefois, je conclus que la Commission a commis une erreur en concluant que M. Thanaratnam était «membre» d'un gang. Par conséquent, j'accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.
[4]La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est entrée en vigueur pendant que cette affaire se trouvait devant la Commission. Pour les fins des présentes, il n'y a pas de différence importante entre cette loi et celle qui l'a précédée, soit la Loi sur l'immigration. Dans le reste des présents motifs, je ferai référence à la nouvelle Loi, à moins que le contexte exige une précision différente.
I. Questions en litige
[5]M. Thanaratnam soulève trois questions:
1. La Commission a-t-elle commis une erreur quand elle s'est appuyée en partie sur une preuve autre que les condamnations au criminel de M. Thanaratnam?
2. La définition que la Commission donne du terme «organisation» est-elle exacte?
3. La Commission a-t-elle eu tort de conclure que M. Thanaratnam était «membre» d'une organisation criminelle?
II. Analyse
A. La Commission a-t-elle commis une erreur quand elle s'est appuyée en partie sur une preuve autre que les condamnations au criminel de M. Thanaratnam?
1) La preuve |
[6]M. Thanaratnam soutient que la Commission n'aurait pas dû accorder la moindre importance aux preuves de sa conduite autres que les crimes pour lesquels il a véritablement été reconnu coupable. La Commission a examiné divers rapports de police ainsi que le témoignage de policiers d'expérience pour en arriver à la conclusion selon laquelle M. Thanaratnam était membre d'une organisation criminelle. Selon ces sources d'information, M. Thanaratnam aurait participé à un certain nombre d'activités criminelles, mais celles-ci n'ont pas fait l'objet de poursuites ou alors il en a été acquitté. En outre, certains rapports indiquent qu'il était la victime de ces crimes plutôt que l'auteur allégué.
[7]La Commission n'est pas liée par «les règles légales ou techniques de présentation de la preuve». Elle peut s'appuyer sur tous les éléments qu'elle juge «crédibles ou dignes de foi en l'occurrence» (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, alinéas 173c) et d)). M. Thanaratnam reconnaît que la Commission a beaucoup de latitude au sujet de la preuve qu'elle peut examiner. Toutefois, il soutient qu'elle ne devrait accorder que peu ou pas d'importance à toute preuve équivalant à du ouï-dire.
[8]Dans sa démarche, la Commission a recueilli toute la preuve qu'elle jugeait crédible et digne de foi et ensuite, elle lui a attribué un poids proportionnel à sa pertinence et à sa fiabilité. Par conséquent, elle a examiné toutes les preuves des différents contacts que M. Thanaratnam a eus avec la police depuis 1985. Cette preuve fait ressortir que les autorités policières croyaient qu'il avait participé à plusieurs incidents reliés à des gangs en compagnie d'autres personnes d'origine sri lankaise.
[9]Dans l'ensemble, la Commission a estimé que la preuve documentaire et le témoignage des policiers étaient fiables. En s'appuyant sur cette preuve, elle a conclu que M. Thanaratnam était en fait membre d'un gang tamoul appelé le VVT:
[traduction]
Je crois que la preuve indique que [M. Thanaratnam] s'est trouvé à de nombreuses reprises en compagnie de personnes qui auraient également participé à des activités criminelles ou de gangs. À mon avis, une personne raisonnable qui examine l'ensemble de la preuve qui a été recueillie au cours de la présente audience en arriverait à la conclusion qu'il participait aux activités du gang. En dernière analyse, par conséquent, je suis convaincu que le critère des «motifs raisonnables de croire» est respecté et qu'il est membre du gang V.V.T. ou qu'il participe aux activités perpétrées par ce groupe.
b) Le rôle de la Commission |
[10]La Commission devait déterminer s'il y avait «des motifs raisonnables de croire» que M. Thanaratnam était membre d'une organisation criminelle (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, article 33). Cette norme, jumelée à la liberté qu'elle a d'examiner tous «les éléments de preuve crédibles et dignes de foi», définit le rôle de la Commission dans ce contexte.
[11]Les mots «motifs raisonnables de croire» fixent à un niveau assez bas le seuil de preuve. C'est une norme habituellement utilisée en droit criminel en relation avec la délivrance de mandats ou avec d'autres formes de procédures. Le juge Brian Dickson [tel était alors son titre] l'a décrit comme étant une norme objective dont le but important est le suivant (Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, aux pages 167 et 168):
Le droit de l'État de déceler et de prévenir le crime commence à l'emporter sur le droit du particulier de ne pas être importuné lorsque les soupçons font place à la probabilité fondée sur la crédibilité. L'histoire confirme la justesse de cette exigence comme point à partir duquel les attentes en matière de la vie privée doivent céder le pas à la nécessité d'appliquer la loi.
[12]Autrement dit, les «motifs raisonnables de croire» sont plus qu'un simple soupçon. Ils impliquent un degré de probabilité fondé sur une preuve crédible. Dans d'autres décisions, la Cour suprême du Canada a décrit cette norme comme étant celle de la «probabilité raisonnable» ou de la «croyance raisonnable»: R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140, à la page 1166. Toutefois, il s'agit certainement d'une norme inférieure à celle de la prépondérance des probabilités, comme il ressort clairement des causes d'immigration suivantes: Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 3 C.F. 349 (1re inst.); Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.).
[13]Il est également bien établi dans le contexte criminel que la norme des «motifs raisonnables de croire» peut être établie au moyen d'une preuve par ouï-dire et d'autres formes de preuve qui ne sont habituellement pas admissibles dans un procès, notamment la preuve concernant la réputation d'une personne ou son casier judiciaire: Debot, précité; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, à la page 279.
[14]Toutefois, M. Thanaratnam prétend que la jurisprudence prédominante donne clairement instruction à la Commission de ne pas s'appuyer sur des accusations en instance ou sur d'autres renseignements concernant une conduite criminelle alléguée--et d'analyser uniquement les condamnations véritables. Il est vrai que, par exemple, le juge Rouleau a statué que des accusations criminelles en instance non décidées ne pouvaient être prises en compte par la Commission pour déterminer si une personne constituait un danger pour le public canadien (Bakchiev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 196 F.T.R. 306 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12):
Il importe de souligner que des accusations criminelles qui n'ont pas encore été tranchées ne sont, jusqu'à la preuve du contraire, que de simples allégations contre l'accusé. Elles n'indiquent pas s'il est coupable et, de toute évidence, elles ne sauraient donc pas indiquer non plus si ce dernier aurait tendance à commettre de nouvelles infractions, jusqu'à ce que le ministère public n'en ait établi le bien-fondé hors de tout doute raisonnable devant un tribunal. En conséquence, elles ne sont pas admissibles pour déterminer si un demandeur constitue un danger pour le public.
[15]Par ailleurs, la Cour d'appel fédérale a statué que la Commission avait le droit de s'appuyer sur un acte d'accusation et un mandat d'arrêt délivrés aux États-Unis pour décider s'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'une personne avait commis un crime à l'extérieur du Canada: Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192 (C.A.F.). Le juge MacGuigan a déclaré ceci au paragraphe 10:
Ainsi que [l'arbitre] l'a fait remarquer, l'acte d'accusation et le mandat d'arrêt «exposent en détail les infractions reprochées et donnent une description détaillée des moyens employés pour commettre les différentes infractions». Il a conclu qu'il s'agissait là d'une preuve crédible ou digne de foi dans les circonstances de la cause et, à mon avis, cette décision relève parfaitement de son pouvoir discrétionnaire en la matière.
[16]Pour quatre raisons différentes, j'estime que la démarche adoptée dans l'affaire Legault est plus appropriée aux circonstances de l'espèce que l'analyse faite dans la décision Bakchiev. Tout d'abord, dans la décision Bakchiev, la question était de savoir si la personne constituait réellement un danger pour le public, et non pas de déterminer s'il y avait des motifs raisonnables de croire que tel était le cas. Comme on l'a expliqué ci-dessus, la norme des motifs raisonnables, en elle-même, permet habituellement d'examiner des renseignements très variés.
[17]Deuxièmement, la question de savoir si une personne constitue un danger pour le public, qui était la question posée dans l'affaire Bakchiev, était précisément reliée à des condamnations effectives en vertu de la loi habilitante. La disposition pertinente de la Loi sur l'immigration, c'est-à-dire le paragraphe 53(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 12], s'appliquait aux personnes au sujet desquelles il y avait des motifs raisonnables de croire qu'elles avaient été reconnues coupables d'infractions criminelles graves. Le paragraphe faisait expressément référence aux personnes décrites à l'alinéa 19(1)c) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11], aux sous- alinéas 19(1)c.1)(i) [édicté, idem; 1995, ch. 15, art. 2], 27(1)a.1)(i) [édicté, idem; art. 16, 1995, ch. 15, art. 5] et à l'alinéa 27(1)d) de la Loi, qui ont tous trait à des personnes reconnues coupables de crimes. Par conséquent, il était approprié qu'un avis de danger se fonde uniquement sur la preuve des condamnations, et non pas simplement sur des allégations de fautes, en raison de la portée évidente des dispositions pertinentes.
[18]Troisièmement, il convient de noter que le paragraphe 53(1) de l'ancienne Loi ne faisait pas référence au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii) [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2], qui était la disposition contestée dans l'arrêt Legault. Cette dernière disposition décrivait une personne au sujet de laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire qu'elle avait commis un crime. Elle n'exigeait donc pas que la personne ait été reconnue coupable. Dans ce contexte, on peut aisément comprendre que la Cour d'appel fédérale ait statué que l'examen d'une accusation en instance et d'un mandat était autorisé.
[19]Quatrièmement, la question en litige en l'espèce est de savoir s'il existe des motifs de croire que M. Thanaratnam est membre d'un groupe de criminels. La question n'est pas de savoir s'il était personnellement responsable d'une infraction en particulier. Pour déterminer s'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une personne est membre d'un groupe qui se livre à des activités criminelles, il n'est pas nécessaire d'avoir une preuve hors de tout doute raisonnable indiquant que sa participation à cette activité équivaut à la perpétration véritable des infractions ou même à une participation coupable en tant qu'intervenant. Autrement dit, le fait qu'une personne ait été accusée d'un crime peut être pertinent à la question de l'appartenance au groupe, même en l'absence d'une preuve qui puisse satisfaire à la norme de responsabilité criminelle.
[20]Par conséquent, il est possible de rapprocher les causes sur lesquelles s'appuient le demandeur et le défendeur: dans des situations où la loi n'exige pas précisément la preuve d'une condamnation, la Commission peut examiner d'autres éléments de preuve crédibles et dignes de foi prouvant la participation à des activités criminelles, plus particulièrement lorsque la norme relative aux «motifs raisonnables de croire» s'applique.
[21]Cependant, il y a un équilibre important à respecter. D'une part, le législateur a établi un seuil de preuve assez bas dans ce domaine et a laissé au décideur beaucoup de latitude pour recueillir toutes les preuves qu'il estime fiables, que celles-ci soient ou non normalement admissibles devant un tribunal. Manifestement, le législateur souhaitait laisser à la Commission le maximum de souplesse. En outre, il ne voulait pas imposer au ministre un seuil de preuve trop lourd. Pourtant, il faut insister sur le deuxième élément de cette équation. La norme des motifs raisonnables assure une protection contre l'arbitraire et les mesures étatiques injustifiées. Comme le juge Dickson [tel était alors son titre, dans Hunter et autres, précité] le signale, c'est cette norme qui doit être respectée avant que l'État puisse porter atteinte au droit à la vie privée d'une personne. C'est un seuil important et significatif. Il exige une évaluation objective et il ne peut être respecté que lorsqu'il est appuyé par une preuve crédible.
[22]En l'espèce, la Commission a estimé que la preuve, orale comme documentaire, ayant trait aux différentes interactions de M. Thanaratnam avec la police était crédible. Elle a également examiné les cinq condamnations criminelles de M. Thanaratnam. À mon avis, il lui était loisible d'examiner les diverses formes de preuve dont elle était saisie et de leur accorder une importance correspondant à leur fiabilité. Toutefois, comme on le verra ci-dessous, j'estime que la conclusion finale de la Commission selon laquelle M. Thanaratnam était membre d'une organisation criminelle n'est pas appuyée par la preuve.
B. La définition que donne la Commission du terme «organisation» est-elle exacte?
[23]La Commission a statué que les gangs tamouls avec lesquels M. Thanaratnam aurait été associé étaient des «organisations» au sens de l'alinéa 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. La Commission a déclaré ceci:
[traduction]
a) Les groupes ou «gangs» connus sous les noms de V.V.T. et A.K. Kannan sont des organisations qui existent, et qui oeuvrent principalement dans la région de Toronto. |
b) Il y a des motifs raisonnables de croire que ces deux groupes se livrent à des activités criminelles, notamment des agressions, des infractions liées aux drogues, des enlèvements, des infractions relatives aux armes, etc. Ces activités sont contraires soit au Code criminel, soit à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. |
c) Les activités criminelles sont planifiées et organisées par plusieurs personnes agissant de concert, elles sont planifiées en particulier par les chefs de groupe et exécutées par les membres. |
[24]La Commission a conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que deux gangs tamouls de Toronto, qui s'appellent les VVT et A.K. Kannan, sont des organisations qui [traduction] «se livrent à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale».
[25]Comme on l'a mentionné, la conclusion de la Commission sur cette question découle, en partie, du témoignage verbal des policiers de Toronto qui ont défini le sens qu'ils donnent dans le cours de leur travail au terme «gang» et partagé leur connaissance des activités de certains groupes tamouls à Toronto. Le gendarme-détective Fernandes, spécialiste des gangs tamouls, a déclaré qu'un gang était un groupe de personnes qui [traduction] «s'associent en adoptant un comportement criminel et antisocial, et qui dirigent principalement leurs activités dans un secteur donné où ils font de l'intimidation et sèment la terreur dans la collectivité».
[26]Les officiers ont décrit A.K. Kannan et VVT comme ayant [traduction] «une structure organisation-nelle hiérarchique très lâche». Il n'y a pas de titre d'emploi spécifique à l'intérieur des groupes, mais [traduction] «il y a des meneurs et des suiveurs». Les groupes ont des sous-groupes subsidiaires et des ramifications constitués principalement de jeunes. Les groupes les plus jeunes agissent de façon indépendante et commettent les crimes les moins graves, mais ils prennent quand même certaines directives de la direction principale, surtout pour les questions les plus sérieuses. Le gendarme-détective Fernandes a décrit plusieurs crimes graves qu'il croit être le fait des gangs tamouls.
[27]Selon l'alinéa 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, une personne n'est pas admissible au Canada si elle est membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert. Manifestement, la Commission était saisie d'une preuve indiquant que les deux groupes tamouls se livraient à plusieurs activités criminelles et que ces activités étaient effectuées par un certain nombre de personnes agissant ensemble selon les instructions des meneurs des groupes. La question qu'il reste à trancher est de savoir si ces groupes peuvent être décrits comme des «organisations».
[28]La Commission n'a pas analysé cette question en détail. Mais elle a tenu compte d'une preuve selon laquelle les groupes tamouls avaient une forme de leadership, des arrangements structurels lâches, des sous-groupes et des affiliations, et qu'ils avaient des identités distinctes. À ce titre, certaines caractéristiques des groupes tamouls appuyaient la conclusion de la Commission selon laquelle ils peuvent être décrits comme une organisation.
[29]Ni la Loi sur l'immigration ni la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne donne d'indication sur ce qu'est une «organisation». Par ailleurs, le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, au paragraphe 467.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 11; 2001, ch. 32, art. 27] définit l'expression «organisation criminelle» en détail. Ce paragraphe stipule que l'organisation criminelle est un groupe, «quel qu'en soit le mode d'organisation», composé d'au moins trois personnes «dont un des objets principaux ou une des activités principales» est de commettre des infractions graves susceptibles de procurer certains avantages aux membres du groupe. Plus particulièrement, une organisation criminelle au sens du Code n'inclut pas «un groupe d'individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d'une seule infraction».
[30]La définition du Code criminel ne s'applique pas directement à une situation en matière d'immigration. Toutefois, j'estime qu'il est utile de noter que le Code n'exige pas de formalités particulières ou de formalités ayant trait à la prise des décisions. Pour répondre à cette définition, il faut présumer qu'un groupe doit avoir une certaine forme de structure organisationnelle. Les mots «quel qu'en soit le mode d'organisation» laissent entendre qu'elle doit être organisée d'une manière quelconque, mais sans la nécessité de se doter d'un attribut minimum ou obligatoire.
[31]En l'espèce, les deux groupes tamouls décrits par la police ont certaines caractéristiques d'une organisation, par exemple, l'identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base--et je ne peux trouver aucune erreur dans la conclusion de la Commission selon laquelle ces groupes tombent sous le coup de l'alinéa 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
C. La Commission a-t-elle eu tort de conclure que M. Thanaratnam était membre d'une organisation criminelle?
[32]La Commission a consacré une bonne partie de sa décision à la question de savoir s'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam était membre d'une organisation se livrant à des activités criminelles. Ici encore, elle s'est appuyée sur la preuve de policiers expérimentés. Elle a également examiné les critères utilisés par la police pour décider si une personne participait à des activités qui pourraient être caractérisées comme des activités liées à un gang. Au sujet de M. Thanaratnam, la Commission a conclu, et je répète:
[traduction] Je crois que la preuve indique qu'il s'est trouvé à de nombreuses reprises en compagnie de personnes qui auraient également participé à des activités criminelles ou de gangs. À mon avis, une personne raisonnable qui examine l'ensemble de la preuve qui a été recueillie au cours de la présente audience en arriverait à la conclusion qu'il participait aux activités du gang. En dernière analyse, par conséquent, je suis convaincu que le critère des «motifs raisonnables de croire» est respecté et qu'il est membre du gang V.V.T. ou qu'il participe aux activités perpétrées par ce groupe.
[33]M. Thanaratnam prétend que la Commission a commis une erreur en tirant cette conclusion. Plus particulièrement, il laisse entendre que la conclusion de la Commission se fonde sur de la spéculation et des stéréotypes. Il prétend qu'il n'y a pas de preuve qu'il a participé personnellement à la planification des activités du gang ou qu'il a reçu des ordres des meneurs du gang. À son avis, la Commission a simplement présumé que son association avec d'autres personnes ayant les mêmes origines que lui, jumelée à la perpétration spontanée d'actes criminels, suffisait à faire la preuve qu'il faisait partie d'un gang.
[34]La Commission a fait référence à la preuve suivante:
· M. Thanaratnam était un suspect à l'égard d'un certain nombre d'actes criminels;
· à ces occasions, il se trouvait habituellement en compagnie d'autres personnes d'origine sri lankaise;
· de nombreuses accusations portées contre lui ont été retirées ou n'ont pas été prouvées;
· M. Thanaratnam a été vu dans un groupe de membres des VVT et A.K. Kannan en train de discuter fermement;
· il s'est fait battre ou tirer dessus à quatre occasions, alors qu'il était toujours en compagnie d'autres personnes; les attaquants étaient habituellement d'origine sri lankaise;
· trois des attaques dirigées contre lui avaient pour but de l'abattre. Au cours de l'une de ces attaques, un de ses compagnons a été tué;
· Après qu'il eut été agressé par les membres d'un gang, M. Thanaratnam a été arrêté comme suspect dans une tentative de meurtre qui, selon la police, était une mesure de représailles. Il a admis avoir menti à la police au sujet de la première agression. Les accusations portées contre lui ont été retirées après que des tests judiciaires eurent démontré que sa voiture n'avait pas été utilisée au cours de la tentative de meurtre;
· M. Thanaratnam a été condamné cinq fois au criminel pour les infractions suivantes: non-respect d'un engagement, méfait, conduite avec facultés affaiblies, menaces et voies de fait causant des lésions corporelles. Sur l'accusation de voies de fait, M. Thanaratnam a été condamné à une peine d'emprisonnement de cinq mois.
[35]En outre, la Commission n'a pas jugé que le témoignage de M. Thanaratnam était crédible. Il a dit à la Commission qu'il ne connaissait pas bien les gangs tamouls et qu'il ne s'associait pas intentionnellement avec ses membres.
[36]En s'appuyant sur cette preuve, la Commission a conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam était membre d'un gang et, par conséquent, membre d'une organisation se consacrant à des activités criminelles. Je ne peux intervenir sur ce point que si cette conclusion est manifestement déraisonnable, en ce sens qu'elle va à l'encontre de la preuve dont était saisie la Commission.
[37]Comme la Commission l'a dit, M. Thanaratnam était certainement [traduction] «dans le feu de l'action». Mais où est la preuve démontrant qu'il appartenait réellement à un gang?
[38]La Commission a entendu une preuve indiquant que M. Thanaratnam était lié à des activités de gang. Mais cela ne constitue pas, comme les témoins de la police l'ont eux-mêmes reconnu d'emblée devant la Commission, une preuve suffisante à partir de laquelle on peut tirer une inférence selon laquelle une personne est membre d'un gang. Selon les critères utilisés par la police, d'autres facteurs doivent être pris en compte avant que l'on puisse en déduire qu'une personne est membre d'un gang. La Commission a énoncé ces critères dans ses motifs:
· participation directe ou indirecte à un crime ou à un incident qui est le fait d'un gang;
· reconnaissance de l'appartenance à un gang ou de l'association à ce gang;
· identification de la personne en tant que membre ou associé du gang par une preuve matérielle;
· identification en tant que membre ou associé du gang par une source fiable;
· renseignements fournis par la police ou reçus par suite d'une association directement observée avec d'autres membres ou associés du gang;
· attirail ou objets usuels ou symboliques permettant de le relier au gang;
· conclusions judiciaires préalables, notamment des témoignages donnés sous serment affirmant que la personne est membre du gang ou associée à celui-ci.
[39]La police estime qu'une personne est membre d'un gang uniquement si le premier de ces critères est respecté, en association avec au moins deux autres. La Commission a noté à juste titre qu'elle n'était pas liée par ces critères. En même temps, toutefois, elle s'est appuyée considérablement sur les témoignages et la preuve documentaire donnés par les agents de police pour conclure qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam était membre d'un gang. Et pourtant, de la façon dont je lis la preuve, les critères utilisés par la police elle-même ne semblent pas être respectés. Comme on l'a déjà mentionné, il y a certains éléments de preuve qui indiquent que M. Thanaratnam a participé à certains incidents liés à des gangs et qu'il a été vu à l'occasion avec des membres du gang. Toutefois, je ne trouve rien dans la preuve qui respecte l'un ou l'autre des critères utilisés par la police pour déterminer l'appartenance à un gang ou, en fait, qui indiquerait par ailleurs que M. Thanaratnam appartenait véritablement à un gang.
[40]L'un des témoins de la police, le gendarme-détective Smith, a indiqué dans son témoignage qu'il croyait qu'un troisième critère était respecté dans le cas de M. Thanaratnam, à savoir [traduction] «conclusions judiciaires préalables, notamment des témoignages donnés sous serment affirmant que la personne est membre du gang ou associée à celui-ci». Il croit que le casier judiciaire de M. Thanaratnam fournit cette preuve. Toutefois, à première vue, il n'y a rien dans le casier judiciaire de M. Thanaratnam qui révèle qu'il y a eu des conclusions judiciaires ou même des témoignages indiquant que M. Thanaratnam était membre d'un gang. En fait, le gendarme-détective Smith lui-même n'est pas allé aussi loin dans son témoignage devant la Commission. En se fondant sur l'ensemble des renseignements fournis par la police sur M. Thanaratnam, il n'a pu dire que ceci [traduction] «tous les incidents, condamnations criminelles, arrestations, associations, tout cela fait partie de la conviction qu'une personne est complètement intégrée dans une sous-culture [. . .] et participe à des activités criminelles. Je crois que cela est appuyé dans ce dossier de preuve et si l'on prend tout cela en considération, à mon avis, cette conclusion est évidente». Il n'a pas dit que la preuve qu'il avait compilée, dont une bonne partie est du ouï-dire, permettrait d'appuyer l'inférence selon laquelle M. Thanaratnam était membre d'un gang.
[41]Par conséquent, à mon avis, la conclusion de la Commission sur cette question n'est pas conforme à la preuve dont elle était saisie. Je ne vois aucun fondement pour justifier la conclusion selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam était membre d'une organisation se livrant à des activités criminelles au sens où il «appartenait» réellement à un tel groupe: Chiau, précité.
III. Conclusion
[42]La Commission a bien agi en entendant une preuve qu'elle jugeait crédible et digne de foi et en s'appuyant sur cette preuve. Sa conclusion selon laquelle le gang dont M. Thanaratnam serait membre était une «organisation» au sens de l'alinéa 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés était conforme à la preuve dont elle était saisie. Toutefois, la conclusion de la Commission selon laquelle M. Thanaratnam était membre d'un gang n'était pas appuyée par la preuve. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour être réexaminée par une formation différente. Puisque la seule question qui a été mise en doute était de savoir si M. Thanaratnam est membre d'une organisation criminelle, la nouvelle audition se limitera à cette question.
[43]L'avocat a demandé la possibilité de proposer des questions graves de portée générale aux fins de la certification. Ces observations devront être signifiées et déposées dans un délai de 10 jours ouvrables à compter du prononcé du présent jugement.
JUGEMENT
LE JUGEMENT DE LA COUR EST le suivant:
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question de savoir si M. Thanaratnam est membre d'une organisation criminelle est renvoyée à la Commission pour être examinée de nouveau par une formation différente;
2. La demande formulée par l'avocat pour avoir la possibilité de proposer une question grave de portée générale aux fins de la certification est accordée. Les observations doivent être déposées dans les 10 jours ouvrables suivant le prononcé du présent jugement.
Annexe
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:
[. . .]
c) celles qui ont été déclarées coupables, au Canada, d'une infraction qui peut être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans;
c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger:
(i) soit été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l'infraction,
(ii) soit commis un fait--acte ou omission--qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s'il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis la commission du fait;
[. . .]
c.2) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction au Code criminel ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui peut être punissable par mise en accusation ou a commis à l'étranger un fait--acte ou omission--qui, s'il avait été commis au Canada, constituerait une telle infraction, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;
[. . .]
27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:
a) appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), k) ou l);
a.1) est une personne qui a, à l'étranger:
(i) soit été déclarée coupable d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si la personne peut justifier auprès du ministre de sa réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de toute peine lui ayant été infligée pour l'infraction,
[. . .]
d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, autre qu'une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions:
[. . .]
53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas:
a) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées à l'alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;
b) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada;
c) elle relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;
d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
Interdictions de territoire
33. Les faits--actes ou omissions--mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.
[. . .]
37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants:
a) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d'un tel plan;
[. . .]
173. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de l'immigration:
[. . .]
c) n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;
d) peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision.