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     T-1512-00

    2003 CF 1244

Dominion Sample Limited (demanderesse)

c.

Le Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (anciennement le sous-ministre du Revenu national) (défendeur)

Répertorié: Dominion Sample Ltd.c. Canada (Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu) (C.F.)

Cour fédérale, juge Blais--Montréal, 14 octobre; Ottawa, 23 octobre 2003.

Douanes et accise -- Tarif des douanes -- Contrôle judiciaire d'une décision annulant rétroactivement le certificat d'exonération des droits de douane délivré à la demanderesse et lui réclamant des droits, des intérêts et des pénalités -- La demanderesse importe des États-Unis des matériaux destinés à la confection de revêtements de sol et les découpe en échantillons qu'elle met dans des caisses ou des relieurs ou qu'elle suspend à une chaînette -- Des échantillons sont ensuite exportés à des clients commerciaux américains -- «[R]ègle du droit moindre» de l'art. 303 de l'ALÉNA -- Exception dans le cas des produits exportés «dans le même état» -- Il s'agit de savoir si les produits ont été exportés aux États-Unis dans le même état que celui dans lequel ils avaient été importés -- Norme de contrôle applicable -- L'interprétation des lois est une question qui ne relève pas des connaissances spécialisées du défendeur -- Mots qui posent problème: «pourvu que de telles opérations n'altèrent pas, de façon substantielle, les caractéristiques du produit» -- La transformation du revêtement en échantillons le rend inutilisable pour le consommateur -- Les produits ne sont pas exportés dans le même état -- Le défendeur invoque l'art. 118 du Tarif des douanes -- Pour que l'art. 118 s'applique, le contribuable doit avoir fait défaut d'observer une condition qui existait au moment où le certificat a été délivré, ce qui n'est pas le cas en l'espèce -- La loi n'a pas été modifiée; le défendeur a changé d'idée au sujet de ce qu'il considérait être l'observation de la loi -- En réclamant rétroactivement des droits, des pénalités et des intérêts, le ministre a agi de façon injuste, arbitraire et illicite.

Interprétation des lois -- Tarif des douanes -- Exception dite de l'exportation «dans le même état» prévue au paragraphe 6 de l'art. 303 -- Il s'agit de savoir si les produits ont été exportés aux États-Unis dans le même état que celui dans lequel ils ont été importés -- Le contribuable importe des matériaux destinés à la confection de revêtements de sol et les découpe en échantillons qu'il met dans des caisses ou des relieurs ou suspend à une chaînette -- Il s'agit de savoir si les caractéristiques du produit ont été altérées de façon substantielle -- L'interprétation des lois est une question qui ne relève pas des connaissances spécialisées du défendeur -- Sens ordinaire des mots -- Définition du dictionnaire -- Analyse de la version française -- Contexte dans lequel se situent les mots -- La transformation du revêtement en échantillons le rend inutilisable pour le consommateur et la fonction même du produit n'est plus la même -- Les produits n'ont pas été exportés dans le même état que celui dans lequel ils avaient été importés.

Il s'agit d'une demande visant à obtenir un bref de certiorari annulant une décision prise au nom du Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, ainsi qu'un bref de mandamus enjoignant au Commissaire d'exonérer la demanderesse des droits de douane.

La demanderesse, une société québécoise située à Montréal, fabrique des échantillons de revêtements de planchers pour ses clients américains. Les clients commerciaux de la demanderesse achètent les matières premières. La demanderesse importe les matières premières au Canada, mais n'en est pas propriétaire. Elle découpe les matières premières et dépose des échantillons dans des caisses, les regroupe dans des relieurs ou les suspend à une chaînette. Elle exporte les échantillons à ses clients commerciaux aux États-Unis à qui elle ne réclame rien pour les matières premières, qui appartiennent déjà à ses clients.

Le Commissaire avait d'abord délivré à la demanderesse un certificat l'autorisant à importer les matières premières avec privilège d'exonération des droits de douane et de TPS, mais il a retiré rétroactivement le privilège d'exonération des droits de douane dont bénéficiait la demanderesse et lui a réclamé des droits, des intérêts et des pénalités.

La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions: 1) La demanderesse a-t-elle droit à une exonération des droits de douane en vertu de l'article 89 du Tarif des douanes et à l'exemption prévue à l'alinéa 303.6b) du chapitre III de l'ALÉNA?; 2) La décision du ministre devrait-elle être appliquée rétroactivement?

L'article 303 renferme une règle appelée «règle du droit moindre». Aux termes de cette disposition, l'exportateur a droit à un drawback (remboursement) équivalent au moins élevé des deux montants suivants: (i) le montant des droits de douane canadiens perçus ou à percevoir sur les produits importés au Canada; (ii) le montant des droits de douane perçus par les services douaniers américains sur les produits qui ont par la suite été exportés aux États-Unis. Le paragraphe 6 de l'article 303 prévoit une exception à cette règle, celle dite de l'exportation «dans le même état». Lorsque les produits importés sont par la suite exportés aux États-Unis dans le même état que celui dans lequel ils ont été importés, la «règle du droit moindre» ne s'applique pas. L'importateur a alors droit à une exonération des droits de douane en vertu de l'article 89 du Tarif des douanes. Aux termes du paragraphe 8 de l'article X de la section F de la Réglementation uniforme de l'ALÉNA, un produit est jugé être dans le même état seulement lorsqu'il a subi certaines opérations, telles que le rognage, le limage, le découpage, le coupage, le rempaquetage ou l'étiquetage. Le premier point litigieux tourne donc entièrement autour de la question de savoir si les produits ont été exportés «dans le même état» qu'au moment de leur importation au Canada.

Jugement: la demande est rejetée sur le premier point mais est accueillie sur le second.

Ainsi que la Cour suprême du Canada l'a jugé dans l'arrêt Pushpanathan, la norme de contrôle applicable doit être définie en fonction d'une «analyse pragmatique et fonctionnelle». Dans l'arrêt Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., le juge Major a déclaré que les pures questions de droit, qui commandent l'application de principes d'interprétation législative, relèvent traditionnel-lement de la compétence des tribunaux judiciaires et que les tribunaux administratifs ne possèdent pas d'expertise particulière à leur égard. Ces considérations s'appliquent aux deux questions en litige en l'espèce. La norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte. La norme applicable importe peu toutefois puisque, quelle que soit la norme de contrôle retenue, la décision du défendeur au sujet de l'état des produits doit être confirmée.

En l'espèce, les mots qui posent problème sont les suivants: «pourvu que de telles opérations n'altèrent pas, de façon substantielle, les caractéristiques du produit». Le sens ordinaire des mots employés dans le contexte du paragraphe 8 de l'article X de la section F confirme l'interprétation du défendeur. La thèse du défendeur est qu'en perdant ses propriétés en tant que revêtement de sol, le produit a vu ses caractéristiques sensiblement modifiées. Ce qui constituait auparavant un revêtement de sol est devenu un livret d'échantillons. Le fait que le matériau lui-même, c'est-à-dire le revêtement de sol, n'a pas subi de transformation matérielle est sans intérêt. Ce qui importe, c'est le fait que les caractéristiques du produit ont changé au point où le produit ne peut plus être utilisé à ses fins originales.

En ce qui concerne le contexte dans lequel se trouvent les mots en question, l'expression contestée vise nettement à restreindre le nombre d'opérations à celles qui en elles-mêmes ne changeraient pas la destination du produit, mais plutôt son apparence ou sa présentation. Le fait que le coupage et le rognage font partie des opérations énumérées n'est pas déterminant.

Si la demanderesse avait droit à un drawback, ce serait en vertu du paragraphe 89(1) du Tarif des douanes. Dans la version française de l'article 9 du Règlement sur l'exonération de droits, au lieu de l'expression «de façon substantielle», on trouve l'adverbe «sensiblement», ce qui confirme que le terme «materially» ne doit pas être entendu au sens de «sur le plan de la substance, de la matière», mais bien au sens de «sensiblement», «d'une manière appréciable».

Bien qu'il n'existe pas de décisions portant directement sur la question, la jurisprudence semble appuyer l'interprétation susmentionnée. En l'espèce, il ne s'agissait pas simplement de réduire la taille du produit pour en faciliter le maniement par le consommateur ou de l'emballer pour en favoriser la distribution. En fait, la transformation du revêtement en échantillons le rend inutilisable pour le consommateur, parce que les échantillons de revêtements de sol sont conçus de manière à être utilisés par le détaillant de matériaux destinés à la confection de revêtements de sol. En l'espèce, l'usage qui serait fait des matières premières n'a rien à voir avec les fins auxquelles les échantillons servent. Non seulement le client cible n'est plus le même, mais la fonction même du produit n'est plus la même. Force est de constater que les matières premières qui ont été importées n'ont pas été exportées aux États-Unis dans le même état.

En ce qui concerne l'effet rétroactif de la décision du ministre, le défendeur a d'abord invoqué l'article 114 du Tarif des douanes. Il a ensuite précisé que la disposition applicable était plutôt l'article 118. Le défendeur faisait valoir que cette erreur ne devait pas être retenue contre lui, étant donné que la demanderesse était au courant des motifs invoqués pour justifier l'annulation du certificat donnant droit au remboursement. Le défendeur a rappelé que l'obligation de payer l'impôt ou des taxes découle de la Loi et non de la cotisation. Mais si la Cour permettait l'imposition rétroactive de droits, la demanderesse serait pénalisée pour avoir demandé et obtenu une exonération en vertu de la Loi alors qu'elle n'a pas changé sa façon de faire des affaires et qu'elle n'a rien caché à l'ADRC. Pour que l'article 118 s'applique, le contribuable doit avoir fait défaut d'observer une condition qui existait au moment où le certificat a été délivré, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La Cour ne retient pas l'interprétation de la Loi proposée par le défendeur, qui affirme que, si le certificat est modifié ou annulé, ses effets alors qu'il était valide sont annulés rétroactivement. Le législateur aurait prévu expressément la rétroactivité si telle avait été son intention.

Dans le cas qui nous occupe, la loi n'a pas été modifiée. Ce qui s'est produit, c'est que le défendeur a changé d'idée au sujet de ce qu'il considérait être l'observation de la Loi. Il serait injuste de permettre au défendeur de revenir sur des actes accomplis non seulement de bonne foi, mais aussi avec son approbation. Cette opinion trouve appui dans l'affaire Oakes, Elizabeth Cornell c. La Reine, dans laquelle la Commission canadienne des pensions réclamait le remboursement d'une pension qu'avait obtenue la veuve d'un militaire canadien tué au front après que cette dernière avait obtenu gain de cause dans l'action en dommages-intérêts qu'elle avait intentée contre Sa Majesté. La Cour de l'Échiquier a jugé que si le législateur fédéral avait voulu que la Commission canadienne des pensions soit habilitée à annuler rétroactivement des versements de pension régulièrement effectués et à en permettre le remboursement en tant que trop-payés, il lui aurait conféré ce pouvoir de façon claire et explicite.

Il en serait autrement, bien sûr, si le titulaire du certificat faisait sciemment défaut d'observer les conditions qu'il avait acceptées au départ.

En l'espèce, la décision du ministre de réclamer rétroactivement des droits, des pénalités et des intérêts était illicite et arbitraire.

lois et règlements

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2, art. 303.

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 125.1 (édicté par S.C. 1973-74, ch. 29, art. 1).

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 32 (mod. par L.C. 1992, ch. 28, art. 5; 1995, ch. 41, art. 8; 2001, ch. 25, art. 21).

Règlement sur l'exonération des droits, DORS/96-44, art. 9.

Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36, art. 89(1), 90, 114, 118.

jurisprudence

décisions appliquées:

Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100; (2001), 199 D.L.R. (4th) 598; 29 Admin. L.R. (3d) 56; 12 C.P.R. (4th) 417; 270 N.R. 153; 816392 Ontario Ltd. (Freedom Motors) c. Canada (sous-ministre du Revenu national -- M.R.N.), [1996] T.C.C.E. no 86 (QL); Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476; (2003), 225 D.L.R. (4th) 206; 49 Admin. L.R. (3d) 161; 304 N.R. 1; Oakes, Elizabeth Cornell v. The Queen, [1954] R.C.É. 572.

distinction faite avec:

La Reine c. Stuart House Canada Ltd., [1976] 2 C.F. 421; [1976] CTC 37; (1976), 76 DTC 6033 (T.D.); Harvey C. Smith Drugs Ltd. c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 143; (1994), 95 DTC 5026; 178 N.R. 34 (C.A.F.); Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; (1975), 66 D.L.R. (3d) 449; [1976] CTC 1; 75 DTC 5451; 7 N.R. 401; Air Canada c. Colombie- Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161; (1989), 59 D.L.R. (4th) 161; [1989] 4 W.W.R. 97.

décision examinée:

Queen, The v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited, [1968] R.C.S. 140; (1967), 65 D.L.R. (2d) 449; [1968] CTC 44; 68 DTC 5001.

décisions citées:

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; La Reine c. Simard-Beaudry Inc. et al., [1971] C.F. 396; (1971), 71 DTC 5511 (C.F. 1re inst.).

doctrine

    Agence des services frontaliers du Canada. Mémorandum D-7-4-3, 12 avril 1996. Exigences de L'ALÉNA en matière de drawback et de report de droits, annexe E--section F, article X (Programmes de drawback et de report des droits) de la Réglementation uniforme portant sur l'interprétation, l'application et l'administration des chapitres trois (traitement national et accès aux marchés pour les produits) et cinq (procédures douanières) de l'Accord de libre-échange nord-américain. Ottawa.

    Random House Webster's Unabridged Dictionary, 2nd ed. New York: Random House, 1998.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision prise au nom du Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada au sujet du droit de la demanderesse à l'exonération des droits de douane en vertu de l'article 89 du Tarif des douanes et de l'imposition rétroactive de droits, d'intérêts et de pénalités. La demande est rejetée sur la question du droit à l'exonération mais est accueillie en ce qui concerne l'application rétroactive.

ont comparu:

Michael D. Kaylor pour la demanderesse.

Jacques Mimar pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Lapointe Rosenstein, Montréal, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Blais: La Cour est saisie d'une demande présentée en vertu des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision rendue au nom du Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada.

[2]La demanderesse, Dominion Samples Ltd. (la demanderesse), sollicite un bref de certiorari cassant ou annulant la décision que le défendeur, le Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (le défendeur), a prise le 24 juillet 2000 sous forme de relevé détaillé de réajustement des droits de douane exigibles.

[3]La demanderesse sollicite également un bref de mandamus enjoignant au défendeur de reconnaître le droit de la demanderesse à l'exonération des droits de douane pour la période visée par la décision du défendeur, c'est-à-dire depuis le 14 février 1998.

LES FAITS

[4]La demanderesse est une société québécoise située à Montréal qui exploite une entreprise de fabrication de livrets et de boîtes d'échantillons ainsi que d'échantillons à chaînette de revêtements de planchers -- carreaux de vinyle et linoléum -- pour divers clients commerciaux situés aux États-Unis. Ces clients commerciaux montrent les échantillons à leurs clients qui peuvent ensuite commander un style déterminé de revêtement à partir des échantillons examinés.

[5]Les clients commerciaux achètent le linoléum en rouleaux et les carreaux de vinyle (les matières premières) à divers fabricants situés à l'extérieur des États-Unis. La demanderesse importe les matières premières au Canada, mais n'en est pas propriétaire. Les matières premières appartiennent aux clients commerciaux.

[6]La demanderesse découpe les matières premières dans son établissement de Montréal et dispose les morceaux découpés sur un support papier. Elle étiquette les échantillons qu'elle peut ensuite regrouper dans des relieurs, suspendre à une chaînette ou déposer dans des caisses en carton-fibre. Les divers articles en papier utilisés pour ces opérations proviennent du Canada.

[7]Les parties conviennent que le découpage des matières premières en échantillons rend les produits inutilisables comme revêtements de sol.

[8]La demanderesse vend et exporte les livrets et les boîtes d'échantillons et les échantillons à chaînette à ses clients commerciaux aux États-Unis. Le prix ne comprend pas le coût des matières premières à partir desquelles les échantillons sont découpés, étant donné que les matières premières appartiennent déjà aux clients commerciaux.

[9]Les échantillons sont importés aux États-Unis sous le numéro tarifaire 9811.00.60, et les matériaux qui ne proviennent pas d'un pays membre de l'ALÉNA et qui servent à la fabrication des échantillons sont importés au Canada sous les divers postes tarifaires énumérés à l'annexe A.

[10]Le défendeur a délivré à la demanderesse le certificat numéroté 87-016M0224 qui autorisait celle-ci à importer les matières premières, avec privilège d'exonération des droits de douane et de TPS, conformément aux Mémorandums des douanes D-7-4-1 et D-7-4-3.

[11]Par une décision datée du 24 juillet 2000, le défendeur a aboli avec effet rétroactif du 1er janvier 1999 au 13 juillet 2000 le privilège d'exonération des droits de douane dont bénéficiait la demanderesse et a réclamé à cette dernière le paiement des droits, des intérêts et des pénalités qu'il affirme qu'elle lui doit.

QUESTIONS EN LITIGE

[12]1)     La demanderesse a-t-elle droit à une exonération des droits de douane en vertu de l'article 89 du Tarif des douanes et a-t-elle droit à l'exemption prévue à l'alinéa 303.6b) du chapitre III de l'Accord de libre-échange nord-américain (l'ALÉNA)?

2)     La décision prise par le ministre des Finances (le ministre) le 24 juillet 2000 devrait-elle être appliquée rétroactivement?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[13]L'article 303 [de l'Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouver-nement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2] est intitulé Restrictions quant aux programmes de drawback et de report des droits. En voici les dispositions pertinentes:

1. Sauf disposition contraire du présent article, aucune des Parties ne pourra rembourser les droits de douane perçus, ni remettre ou réduire les droits de douane à percevoir, à l'égard d'un produit importé sur son territoire et qui est

    a. réexporté vers le territoire d'une autre Partie,

    b. utilisé comme matière dans la production d'un autre produit réexporté vers le territoire d'une autre Partie, ou

    c. substitué à un produit identique ou similaire utilisé comme matière dans la production d'un autre produit réexporté vers le territoire d'une autre Partie,

    d. d'un montant qui dépasse soit le montant des droits perçus ou à percevoir au moment de l'importation, soit le montant des droits perçus par une autre Partie lorsque le produit est réexporté vers son territoire, selon le moins élevé de ces montants.

    [. . .]

6. Le présent article ne s'applique pas:

    a. à un produit non dédouané qui doit être transporté et exporté vers le territoire d'une autre Partie;

    b. à un produit exporté vers le territoire d'une autre Partie dans le même état qu'au moment de son importation sur le territoire de la Partie d'où le produit a été réexporté (l'essai, le nettoyage, le réemballage, l'inspection ou les méthodes de préservation ne sont pas réputés modifier l'état d'un produit). Sauf dispositions de l'annexe 703.2, section A, paragraphe 12, lorsque ce produit a été combiné à des produits fongibles et exporté dans le même état, son origine pourra, aux fins du présent alinéa, être déterminée sur la base des méthodes d'inventaire prévues dans la Réglementation uniforme établie aux termes de l'article 511 (Réglementation uniforme). [Non souligné dans l'original.]

[14]La règle énoncée au paragraphe 303(1) est familièrement appelée la «règle du droit moindre». À compter du 1er janvier 1996, aux termes de l'ALÉNA, celui qui importe au Canada des marchandises qui sont par la suite exportées aux États-Unis doit calculer les deux sommes suivantes:

(i) le montant des droits de douane canadiens perçus ou à percevoir sur les produits importés au Canada;

(ii) le montant des droits de douane perçus par les services douaniers américains sur les produits qui ont par la suite été exportés aux États-Unis.

[15]L'exportateur a droit à un drawback (remboursement) équivalent au moins élevé des montants prévus aux alinéas (i) et (ii). Comme le taux des droits de douane sur les produits exportés aux États-Unis a été ramené à zéro par application de l'ALÉNA, l'exportateur canadien n'a droit à aucun remboursement des droits de douane.

[16]Le paragraphe 6 de l'article 303 prévoit une exception à cette règle, celle dite de l'exportation «dans le même état». En effet, lorsque les produits importés sont par la suite exportés aux États-Unis dans le même état que celui dans lequel ils ont été importés, la «règle du droit moindre» ne s'applique pas. L'importateur a alors droit à une exonération des droits de douane en vertu de l'article 89 du Tarif des douanes [L.C. 1997, ch. 36].

[17]L'alinéa 89(1)a) du Tarif des douanes est rédigé comme suit:

89. (1) Sous réserve du paragraphe (2), de l'article 95 et des règlements visés à l'article 99 et sur demande présentée dans le délai réglementaire en conformité avec le paragraphe (4) par une personne appartenant à une catégorie réglementaire, des marchandises importées peuvent, dans les cas suivants, être exonérées, une fois dédouanées, des droits qui, sans le présent article, seraient exigibles:

    a) elles sont ultérieurement exportées dans le même état qu'au moment de leur importation;

[18]L'article 90 traite du certificat d'exonération des droits de douane:

90. (1) Le ministre du Revenu national peut, sous réserve des règlements visés à l'alinéa 99e), délivrer un certificat numéroté à une personne appartenant à l'une des catégories réglementaires énumérées à l'article 89.

(2) Le ministre du Revenu national peut, sous réserve des règlements visés à l'alinéa 99e), modifier, suspendre, renouveler, annuler ou rétablir le certificat.

(3) Les marchandises faisant l'objet de l'exonération prévue à l'article 89 peuvent être dédouanées sans le paiement des droits visés par l'exonération, si le numéro indiqué sur le certificat est présenté au moment de la déclaration en détail exigée par l'article 32 de la Loi sur les douanes et si le certificat est valide à cette date.

[19]L'article 9 du Règlement sur l'exonération de droits, DORS/96-44, prévoit ce qui suit:

9. Pour l'application de l'alinéa 89(1)a) de la Loi, les marchandises sont réputées être dans le même état qu'au moment de leur importation dans l'un des cas suivants:

    a) elles ont fait l'objet d'une opération visée à l'article 303(6)b) de l'ALÉNA ou à l'alinéa 8 de l'article X de la section F de la Réglementation uniforme portant sur l'interprétation, l'application et l'administration des chapitres trois (traitement national et accès aux marchés pour les produits) et cinq (procédures douanières) de l'Accord de libre-échange nord-américain, pourvu que l'opération ne modifie pas sensiblement leurs propriétés;

[20]Le paragraphe 8 de la section F, article X (Programmes de drawback et de report des droits) de la Réglementation uniforme portant sur l'interprétation, l'application et l'administration des chapitres trois (traitement national et accès aux marchés pour les produits) et cinq (procédures douanières) de l'Accord de libre-échange nord-américain (la Réglementation uniforme) est ainsi libellé:

8. Aux fins de l'alinéa 303(6)b) de l'Accord, les circonstances dans lesquelles un produit est jugé être dans le même état incluent:

    a) une simple dilution avec de l'eau ou une autre substance;

    b) le nettoyage, y compris l'enlèvement de la rouille, de la graisse, de la peinture ou d'autres revêtements;

    c) l'application d'un produit de préservation, y compris un lubrifiant, une encapsulation ou un revêtement protecteur;

    d) le rognage, le limage, le découpage ou le coupage;

    e) la présentation en quantités mesurées, l'emballage ou le remballage du produit, l'empaquetage ou le rempaquetage du produit;

    f) l'essai, le marquage, l'étiquetage, le tri ou le classement,

pourvu que de telles opérations n'altèrent pas, de façon substantielle, les caractéristiques du produit. [Non souligné dans l'original.]

ANALYSE

[21]Les parties s'entendent pour dire que le premier point litigieux tourne entièrement autour de la question de savoir si les produits sont exportés aux États-Unis «dans le même état» qu'au moment de leur importation au Canada.

Norme de contrôle

[22]Suivant la Cour suprême du Canada (voir, par ex., l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et d'Immigration), [1998] 1 R.S.C. 982), la norme de contrôle applicable doit être définie en fonction d'une «analyse pragmatique et fonctionnelle», ce qui signifie que, pour déterminer la norme appropriée, le juge saisi d'une demande de contrôle judiciaire doit tenir compte d'une foule de facteurs en fonction du contexte de la décision qui fait l'objet du contrôle. L'«analyse pragmatique et fonctionnelle» est analysée à fond dans l'affaire Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100. Dans cet arrêt, sous la plume du juge Major, la Cour suprême du Canada fait plusieurs énoncés qui sont pertinents en l'espèce [aux paragraphes 27 et 28, 32]:

[. . .] lorsqu'il n'existe pas de clause privative et que la loi prévoit un droit d'appel, le concept de spécialisation des fonctions exige des tribunaux judiciaires qu'ils fassent preuve de retenue envers les décisions rendues par les tribunaux spécialisés sur les questions relevant directement de leur champ d'expertise (Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, p. 1746-1747; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, p. 335; Pezim, précité, p. 591; et Asbestos, précité, par. 49). En général, des normes de contrôle différentes s'appliquent à des questions de droit différentes, selon la nature de la question à trancher et l'expertise relative du tribunal administratif sur ces questions particulières.

La détermination de l'expertise relative du tribunal administratif constitue «le facteur le plus important qu'une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable» (Southam, précité, par. 50; voir également Bradco, précité, p. 335). La question fondamentale dans l'application du facteur de l'expertise est de savoir si le tribunal est doté d'une certaine expertise pour réaliser les objectifs d'une loi: Pushpanathan, précité, par. 32. L'application de ce facteur peut faire intervenir plusieurs considérations, notamment les connaissances spécialisées des membres du tribunal [. . .]

    [. . .]

Le critère fondé sur l'expertise du décideur et la nature du problème sont étroitement liés (Pushpanathan, précité, par. 33). Il faut «examiner la question de droit en litige pour déterminer si elle relève de la compétence du tribunal et s'il y a lieu de faire preuve de retenue» (Pezim, précité, p. 596).

[23]Dans l'arrêt Mattel, le juge Major a estimé que les questions à trancher n'étaient pas de nature technique. Dans cette affaire, la Cour était appelée à déterminer en quoi consistait une «vente de marchandises pour exportation au Canada» et quelle était la signification des mots «en tant que condition de la vente des marchandises». Ces expressions, écrit le juge Major (au paragraphe 33), sont

[. . .] de pures questions de droit, qui commandent l'applica-tion de principes d'interprétation législative et d'autres concepts inhérents au droit commercial. Ces questions relèvent traditionnellement de la compétence des tribunaux judiciaires et rien n'indique que le TCCE possède une expertise particulière à leur égard.

[24]Il semble que ces considérations s'appliquent au cas qui nous occupe. Le défendeur et la demanderesse ne s'entendent pas sur la question de savoir si l'on peut dire que les procédés ou opérations auxquelles les matières premières importées ont été soumises «altèrent, de façon substantielle, les caractéristiques du produit». Cette question ne relève pas des connaissances spécialisées du défendeur. Elle commande l'application de principes d'interprétation législative et notre Cour est tout aussi bien placée que le défendeur pour se prononcer sur la question.

[25]La seconde question en litige dans la présente affaire est celle de l'effet rétroactif de l'annulation du certificat qui a été délivré à la demanderesse. En d'autres termes, il s'agit de savoir si la demanderesse doit rembourser à l'ADRC les droits qui ont fait l'objet d'une exonération alors que le certificat était en cours de validité. Là encore, je crois que nous avons affaire à une question d'interprétation législative qui ne relève pas des connaissances spécialisées du défendeur. Pour ce motif, je serais d'avis que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte.

1) La demanderesse a-t-elle droit à une exonération des droits de douane en vertu de l'article 89 du Tarif des douanes et a-t-elle droit à l'exemption prévue à l'alinéa 303(6)b) du chapitre III de l'Accord de libre-échange nord-américain [l'ALÉNA]?

[26]Il est nécessaire d'aborder la question de la norme de contrôle applicable, étant donné que les deux parties l'ont soulevée. La norme applicable importe peu toutefois puisque j'estime que, quelle que soit la norme de contrôle retenue, la décision du défendeur au sujet de l'état des produits devrait être confirmée. Voici les motifs pour lesquels j'en arrive à cette conclusion.

[27]La méthode moderne d'interprétation des lois est bien établie et la Cour suprême l'a réaffirmée récemment dans l'arrêt Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, au paragraphe 20:

L'extrait suivant de E. A. Driedger dans son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, constitue le point de départ pour l'interprétation des lois au Canada.

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[28]Le point de départ est le sens ordinaire et grammatical des mots, que l'on doit pouvoir concilier avec l'esprit de la loi dans son ensemble.

[29]En l'espèce, les mots qui posent problème sont les suivants: «pourvu que de telles opérations n'altèrent pas, de façon substantielle, les caractéristiques du produit». La Réglementation uniforme permet d'effectuer certaines opérations sur les produits tout en conservant ceux-ci «dans le même état». Les deux parties avancent que le sens ordinaire des mots «altérer, de façon substantielle, les caractéristiques du produit» appuie leur interprétation. Je suis d'accord avec les parties pour dire que, pour trancher la question, il suffit de s'en tenir au sens ordinaire des mots employés dans le contexte du paragraphe 8 de l'article X de la section F et j'estime que le sens ordinaire des mots dans leur contexte confirme l'interprétation du défendeur.

[30]Jusqu'où un produit peut-il subir des modifications avant qu'on puisse considérer qu'il a été transformé au point de voir ses caractéristiques altérées de façon substantielle? Il semble que, pour répondre à cette question, il soit nécessaire de définir les mots «de façon substantielle», «altérer» et «caractéristiques». Toutes les définitions qui suivent sont tirées du Random House Webster's Unabridged Dictionary, 2e édition, Random House, New York, 1998.

[traduction]

de façon substantielle [materially] [. . .] 1. d'une manière appréciable; sensiblement. [. . .] 2. sur le plan de la substance, de la matière.

altérer [alter] [. . .] 1. rendre autre, changer, modifier.

caractéristique [characteristic] [. . .]-- subst. 2. ce qui constitue le trait spécifique de quelque chose ou de quelqu'un. [. . .] 3. syn. Trait, propriété, particularité. Par particularité, on entend le trait distinctif propre à une personne ou à un groupe [. . .] Par caractéristique, on entend la marque ou le trait distinctif toujours associé dans son esprit avec une personne ou une chose déterminée.

[31]Il semblerait donc qu'un produit puisse subir certaines opérations, telles que le coupage ou le rognage, tout en demeurant dans le même état, pourvu qu'il n'ait pas été modifié au point de perdre ses traits ou attributs distinctifs.

[32]Le défendeur fait valoir qu'en perdant ses propriétés en tant que revêtement de sol--ce que les deux parties reconnaissent--, le produit a vu ses caractéristiques sensiblement modifiées. Il m'est impossible de ne pas être d'accord avec le défendeur sur ce point. Ainsi que le défendeur l'explique de façon succincte dans son mémoire: [traduction] «Ce qui constituait auparavant un revêtement de sol est devenu un livret d'échantillons» (à la page 11).

[33]La demanderesse soutient que la modification de la forme du revêtement de sol (à la suite du découpage) n'a rien changé au matériau. Il me semble toutefois qu'il faille prendre l'expression «de façon substantielle» (materially) dans son sens premier, c'est-à-dire celui de «sensiblement». Je me fonde sur trois facteurs pour en arriver à cette conclusion.

[34]Premièrement, la version française qui équivaut à l'expression anglaise «do not materially alter the characteristics of the good» est la suivante: «n'altèrent pas, de façon substantielle, les caractéristiques du produit» (non souligné dans l'original). En d'autres termes, l'expression qui, dans la version française, correspond au terme anglais «materially» est: «de façon substantielle». J'estime que le sens de cette expression se rapproche davantage de celui du mot «sensiblement» que de celui de «sur le plan de la substance, de la matière». Le fait que le matériau lui-même, c'est-à-dire le revêtement de sol, n'a pas subi de transformation matérielle est sans intérêt ici. Ce qui importe, c'est le fait que les caractéristiques du produit ont changé au point où le produit ne peut plus être utilisé à ses fins originales.

[35]Deuxièmement, il y a lieu de tenir compte du contexte dans lequel se trouvent les mots en question. Ainsi, il est expressément déclaré dans la Réglementation uniforme que la partie de celle-ci qui s'applique à la question en litige en l'espèce a pour objet de faciliter l'interprétation de l'alinéa 303(6)b). La liste n'est pas exhaustive, mais on y trouve des exemples d'opérations qui en elles-mêmes ne changeraient pas la destination du produit, mais plutôt son apparence ou sa présentation. L'expression contestée vise nettement à restreindre le nombre d'opérations possibles. Par conséquent, l'affirmation que les échantillons sont visés parce que le coupage et le rognage font partie des opérations expressément énumérées n'est pas convaincante. La disposition en cause envisage précisément la possibilité que tous ces exemples d'opérations autorisées puissent occasionner un changement tel qu'on ne pourrait plus considérer que le produit se trouve «dans le même état». Je serais par ailleurs d'accord avec le défendeur pour dire qu'en changeant la destination du revêtement, c'est-à-dire en changeant l'usage qu'on peut en faire, une caractéristique importante du produit a été altérée ou modifiée.

[36]Troisièmement, là encore à cause de la version française, mais cette fois-ci dans l'esprit de la méthode d'interprétation contextuelle qui commande d'interpréter le texte législatif dans son ensemble, et compte tenu de la volonté du législateur, j'estime que les règlements d'application du Tarif des douanes sont également pertinents. S'il était jugé que l'alinéa 303(6)b) s'applique à la demanderesse et que celle-ci a par conséquent droit à un remboursement, ce serait en vertu du paragraphe 89(1) du Tarif des douanes en application duquel le Règlement sur l'exonération de droits, DORS/96-44 a été édicté.

[37]L'article 9 du Règlement porte sur l'interprétation de l'alinéa 89(1)a) et sur ce que l'on entend par «dans le même état». Ici aussi, dans la version anglaise, on trouve les mots «do not materially alter the characteristics of the goods», alors que la version française est un peu différente. Au lieu de l'expression «de façon substantielle», on trouve l'adverbe «sensiblement», ce qui confirme que le terme «materially» (de façon substantielle) ne doit pas être entendu au sens de «sur le plan de la substance, de la matière». Comme il n'y a aucune raison de penser que les mots ont un sens différent en anglais, force est de conclure que l'interprétation qu'il convient de donner au mot «materially» (de façon substantielle) est: «sensiblement», «d'une manière appréciable».

[38]Il semble qu'il n'existe pas de jurisprudence qui porte directement sur la question qui nous est soumise. On peut aisément établir une distinction entre les décisions qu'invoque la demanderesse et les faits de la présente espèce, et il semble que la jurisprudence citée par chacune des parties confirme, bien qu'indirectement, l'interprétation de l'expression que je viens de proposer.

[39]Dans l'affaire La Reine c. Stuart House Canada Ltd., [1976] 2 C.F. 421 (1re inst.), la Cour était appelée à décider si le contribuable était un fabricant ou un producteur assujetti à la taxe de vente fédérale. Le contribuable achetait des rouleaux de papier d'aluminium qu'il coupait et enroulait de nouveau sur des tubes de carton. Il s'agissait de savoir si le contribuable avait donné «de nouvelles formes, qualités et propriétés» au papier d'aluminium, ce qui aurait permis de conclure à l'existence d'opérations de fabrication ou de production. La Cour a estimé que la transformation n'était pas suffisante pour qu'on puisse considérer qu'il y avait eu production ou fabrication. Le papier restait inchangé et il était coupé pour faciliter son maniement par le consommateur. Il ne perdait ni ses qualités ni ses propriétés de papier.

[40]Dans le jugement Stuart House, la Cour a établi une distinction entre l'espèce dont elle était saisie et l'affaire Queen, The v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited, [1968] R.C.S. 140, dans laquelle la Cour suprême du Canada avait jugé que le fait de façonner du marbre brut importé constituait effectivement de la fabrication ou de la production aux fins de l'imposition de la taxe de vente fédérale. La décision ne s'applique pas parfaitement aux faits de la présente espèce, étant donné que le critère qui a été dégagé dans cette décision, tout comme dans la décision citée par la demanderesse (le jugement Stuart House), était celui de savoir si le contribuable avait donné «une nouvelle forme, de nouvelles caractéristiques et une nouvelle composition» à la matière première. Toutefois, pour nos besoins, il y a lieu de souligner le fait que le coupage n'est pas déterminant. C'est plutôt l'usage qui est fait du matériau, une fois coupé, qui permet de savoir si le changement est suffisant ou non sur le plan fiscal.

[41]Dans l'affaire Harvey C. Smith Drugs Ltd. c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 143 (C.A.F.), la question en litige était celle de savoir si l'action de fournir des médicaments en comprimés ou en capsules dans des contenants constituait de la «transformation» de ces produits au sens de l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (édicté par S.C. 1973-74, ch. 29, art. 1)]. Au paragraphe 13, la juge Desjardins, J.C.A. écrit:

Le produit original ne change pas d'état. À notre avis, c'est avec raison que le juge de première instance a exigé que le produit subisse une transformation physique dans sa forme ou son apparence pour qu'on considère qu'il a été transformé [. . .] En l'espèce, le comprimé ou la capsule conservent la même forme et le même dosage pendant que le pharmacien exécute l'ordonnance. Réduire le nombre de comprimés ou de capsules pour les commercialiser ne constitue pas une «transformation».

[42]Il est possible de relever plusieurs points qui permettent d'établir une distinction entre la présente espèce et l'affaire Harvey C. Smith Drugs. Premièrement, dans cette affaire, le tribunal était appelé à se prononcer sur le sens du mot «transformation». En second lieu, même si l'on pouvait soutenir que le critère régissant la transformation peut s'appliquer au cas qui nous occupe, cette conclusion n'appuierait pas la thèse de la demanderesse. Dans l'affaire Harvey C. Smith Drugs, les comprimés sont demeurés inchangés, tout comme le papier dans l'affaire Stuart House, précitée. Les opérations qui s'appliquent aux matières premières en l'espèce ne consistent pas simplement à réduire la taille du produit pour en faciliter le maniement par le consommateur ou à l'emballer pour en favoriser la distribution.

[43]En fait, la transformation du revêtement en échantillons le rend inutilisable pour le consommateur habituel, parce que les échantillons de revêtements de sol ne sont pas conçus de manière à être utilisés par le consommateur habituel, mais plutôt par le détaillant de matériaux destinés à la confection de revêtements de sol. Il y a lieu de douter que le résultat aurait été le même dans les affaires Stuart House et Harvey C. Smith Drugs, précitées, si la Cour n'avait pas été en mesure de conclure que le coupage du papier ou le fait de placer les médicaments dans des contenants avaient peu d'incidences sur le consommateur final en ce qui concerne les usages qu'aurait le produit.

[44]Dans l'affaire 816392 Ontario Ltd. (Freedom Motors) c. Canada (sous-ministre du Revenu national--M.R.N.), [1996] T.C.C.E. no 86 (QL), le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) devait décider si les changements qui avaient été apportés à un véhicule automobile pouvaient être considérés comme des «modifications» au sens habituel de ce terme. Le litige portait sur l'exportation d'un véhicule automobile aux États-Unis où il devait être modifié pour le rendre accessible aux utilisateurs de fauteuil roulant et sur sa réimportation subséquente au Canada. Le TCCE était placé devant deux conclusions possibles: ou bien le véhicule exporté avait simplement été modifié, auquel cas c'était le même véhicule qui était réadmis au Canada, ou bien il s'agissait d'un «produit nouveau ou commercialement différent» lors de son retour au Canada, auquel cas les droits à acquitter étaient considérablement plus élevés.

[45]La demanderesse, une société spécialisée dans les véhicules automobiles adaptés aux personnes se déplaçant en fauteuil roulant, soutenait que les caractéristiques essentielles du véhicule étaient demeurées les mêmes et qu'il s'agissait du même véhicule destiné au transport de personnes, bien qu'adapté au transport d'une certaine population. Le défendeur rétorquait que le changement de clientèle cible avait entraîné un changement dans une des caractéristiques essentielles du véhicule.

[46]Le TCCE a estimé qu'une fois modifié, le véhicule demeurait essentiellement le même et qu'il avait la même fonction. Le fait que les clients du véhicule faisaient partie d'un sous-groupe déterminé ne changeait rien au fait que le véhicule servirait aux même fins, qu'il soit modifié ou non.

[47]Bien que les dispositions en litige dans l'affaire Freedom Motors ne soient pas les mêmes et que le concept de «modifications» n'emporte pas les mêmes conséquences, cette affaire s'applique quand même dans la mesure où la notion de «caractéristiques essentielles» est définie en fonction de l'utilisation qui sera faite du produit en cause. En l'espèce, l'usage qui serait fait des matières premières n'a rien à voir avec les fins auxquelles les échantillons servent. Nous ne sommes plus en présence d'un revêtement de sol, mais d'un moyen de vendre un produit commercial. Non seulement le client cible n'est plus le même, mais la fonction même du produit n'est plus la même.

[48]Je conclus que l'alinéa 303(6)b) de l'ALÉNA ne s'applique pas à la demanderesse, parce que les matières premières qui ont été importées n'ont pas été exportées aux États-Unis dans le même état.

2) La décision prise par le ministre le 24 juillet 2000 devrait-elle être appliquée rétroactivement?

Article 114 ou article 118

[49]Tant dans le relevé détaillé de réajustement du 24 juillet 2000 que dans le premier mémoire soumis par le défendeur le 1er octobre 2001, le défendeur justifie son relevé de réajustement en invoquant l'article 114 du Tarif des douanes. Dans le mémoire complémentaire qu'elle a produit le 18 septembre 2002, la demanderesse souligne à juste titre qu'il s'agit d'une erreur et que l'article 114 ne s'applique pas à elle.

[50]Dans le mémoire complémentaire qu'il a déposé le 30 octobre 2002, le défendeur reconnaît cette erreur et précise que la disposition applicable est l'article 118 du Tarif des douanes. Le défendeur fait valoir que cette erreur ne devrait pas être retenue contre lui, étant donné que la demanderesse était au courant des motifs invoqués pour justifier l'annulation du certificat donnant droit à la demanderesse à un remboursement.

[51]Le défendeur signale que l'article 118 prévoit que la personne qui a bénéficié d'une remise de droits et qui fait défaut d'observer une des conditions auxquelles l'exonération ou la remise lui a été accordée est tenue de rembourser la somme en question. Le défendeur fait en outre valoir que, ainsi qu'il est déclaré dans le jugement La Reine c. Simard-Beaudry Inc. et al., [1971] C.F. 396 (1re inst.), l'obligation de payer l'impôt ou des taxes découle de la Loi et non de la cotisation.

[52]L'avocat de la demanderesse rétorque qu'il serait fort injuste de la part de l'ADRC de réclamer rétroactivement des droits dont la demanderesse a déjà été exonérée. De plus, pour qu'il y ait rétroactivité, il faut que la Loi ou le Règlement le précise dans les termes les plus nets.

[53]Si l'on suit l'argument du défendeur, il semblerait que chaque fois qu'un certificat d'exonération ou de remise de droits est délivré, il est toujours possible que l'exonération soit annulée avec effet rétroactif.

[54]En l'espèce, le défendeur aurait pu remonter jusqu'à 10 ans en arrière pour réclamer des droits, étant donné que, selon toute vraisemblance, la demanderesse n'a jamais été admissible à une exonération. En fait, le défendeur a choisi de réclamer le remboursement pour une période d'un peu plus d'un an. Par ailleurs, le défendeur a informé la Cour à l'audience que, par suite des modifications apportées en l'an 2000, la demanderesse était désormais admissible à une nouvelle exonération.

[55]Il semble que, si des droits étaient imposés rétroactivement, la demanderesse serait pénalisée pour avoir demandé et obtenu une exonération en vertu de la Loi. Or, elle n'a pas changé sa façon de faire des affaires et elle n'a rien caché à l'ADRC. Ce qui lui donnait droit à une exonération a soudainement disparu, à la suite d'une décision de l'ADRC et la remise de droits à laquelle elle croyait de bonne foi avait droit lui est abruptement refusée.

[56]L'article 118 du Tarif des douanes est ainsi libellé:

118. (1) Si, en cas d'exonération ou de remise accordée en application de la présente loi, sauf l'article 92, ou de remise accordée en application de l'article 23 de la Loi sur la gestion des finances publiques, une condition de l'exonération ou de la remise n'est pas observée, la personne défaillante est tenue, dans les quatre-vingt-dix jours ou dans le délai réglementaire suivant le moment de l'inobservation, de:

    a) déclarer celle-ci à un agent d'un bureau de douane;

    b) payer à Sa Majesté du chef du Canada les droits faisant l'objet de l'exonération ou de la remise, sauf si elle peut produire avec sa déclaration les justificatifs, que le ministre du Revenu national juge convaincants, pour établir un des faits suivants:

        (i) au moment de l'inobservation de la condition, un drawback ou un remboursement aurait été accordé si les droits avaient été payés,

        (ii) les marchandises sont admissibles à un autre titre à l'exonération ou à la remise prévue par la présente loi ou à la remise prévue par la Loi sur la gestion des finances publiques.

    [. . .]

(3) La somme visée aux alinéas (1)b) ou (2)b) qui demeure impayée est réputée, pour l'application de la Loi sur les douanes, une créance de Sa Majesté du chef du Canada au titre de cette loi.

(4) Le gouverneur en conseil peut, par règlement déterminer:

    a) sur recommandation du ministre du Revenu national, soit le délai d'application du paragraphe (1) et les marchandises ou catégories de marchandises visées, soit les cas dans lesquels ce délai s'applique;

    b) sur recommandation du ministre, les cas dans lesquels certaines marchandises sont soustraites à l'application du paragraphe (1), les marchandises ou catégories de marchandises ainsi soustraites et la durée et les conditions de l'exemption.

[57]Je crois comprendre, à la lecture de cet article, que si «une condition de l'exonération ou de la remise n'est pas observée, la personne défaillante est tenue [. . .] de: a) déclarer [l'inobservation] à un agent du bureau de douane; b) payer à Sa Majesté du chef du Canada les droits faisant l'objet de l'exonération ou de la remise».

[58]Je crois que, pour que l'article 118 s'applique, la personne en question doit avoir fait défaut d'observer une condition qui existait au moment où le certificat a été délivré, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. C'est plutôt le défendeur qui a unilatéralement décidé que la demanderesse ne répondait plus aux critères qui lui permettaient de bénéficier d'un certificat d'exonération.

[59]Suivant la preuve soumise à la Cour, le certificat permettait à la demanderesse d'importer des produits, en l'occurrence des matériaux servant à la confection de revêtements de sol, et de faire dédouaner ces produits sans avoir à payer de droits de douane. Les produits ont par la suite été réexportés, et la demanderesse devait faire rapport à l'agent des douanes dans les 60 jours suivants.

[60]En l'espèce, la demanderesse a réexporté les produits sans payer les droits dont elle avait été exonérée en vertu du certificat valide qui lui avait été délivré. L'article 90 du Tarif des douanes prévoit: 1) que le ministre peut délivrer un certificat; 2) que le ministre peut modifier, suspendre, renouveler, annuler ou rétablir le certificat et, finalement: 3) que les marchandises faisant l'objet d'une exonération peuvent être dédouanées sans le paiement des droits visés par l'exonération si le numéro indiqué sur le certificat délivré en vertu du paragraphe (1) est présenté au moment de la déclaration détaillée exigée par l'article 32 [mod. par L.C. 1992, ch. 28, art. 5; 1995, ch. 41, art. 8; 2001, ch. 25, art. 21] de la Loi sur les douanes [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1] et si le certificat est valide à cette date.

[61]Si l'on suit la logique du défendeur, la demanderesse est exonérée du paiement des droits si elle est titulaire d'un certificat en cours de validité à la date à laquelle l'exonération est accordée. Si le certificat est modifié ou annulé, ses effets alors qu'il était valide seraient eux aussi annulés rétroactivement. Je ne puis retenir cette interprétation de la Loi, car sinon, tous ceux qui sont titulaires de certificats en cours de validité pourraient à tout moment perdre leurs privilèges par suite d'une décision unilatérale du défendeur, qui pourrait alors leur réclamer des arriérés de droits pour toute période de temps arbitraire.

[62]Il n'est pas possible que le législateur fédéral ait voulu une telle interprétation. S'il avait voulu que l'annulation du certificat soit rétroactive, alors que son titulaire n'a rien fait pour la provoquer, le législateur aurait sans doute prévu expressément la rétroactivité.

[63]La rétroactivité des lois fédérales est un sujet qui a été abordé dans la jurisprudence, notamment dans les arrêts Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271 et Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161. J'estime toutefois que ces arrêts concernent l'effet rétroactif d'une loi qui est modifiée, c'est-à-dire les cas où il s'agit de savoir à quel moment les modifications sont entrées en vigueur dans l'affaire dont le tribunal est saisi.

[64]Or, dans le cas qui nous occupe, la loi n'a pas été modifiée (sauf en ce qui concerne les dispositions applicables de l'ALÉNA qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 1996). Ce qui s'est produit, c'est que le défendeur a jugé que la demanderesse n'avait pas observé une des conditions du certificat. La demanderesse n'a rien changé à sa façon de faire des affaires et elle n'a caché aucun renseignement au défendeur. Ce que le défendeur considérait auparavant comme une observation ne l'était plus. Serait-il juste de permettre que ce revirement s'applique à des actes accomplis de bonne foi avec l'approbation du défendeur? Je ne le crois pas.

[65]On trouve dans l'affaire Oakes, Elizabeth Cornell v. The Queen, [1954] R.C.É. 572, un cas semblable d'intervention rétroactive de la Couronne contre une personne qui avait obtenu un avantage de bonne foi. Dans cette affaire, l'épouse d'un militaire canadien qui avait été tué accidentellement alors qu'il était de service recevait une pension de la Commission canadienne des pensions pour elle-même et pour ses deux enfants en bas âge. Après avoir obtenu gain de cause devant les tribunaux contre Sa Majesté relativement à la mort accidentelle en question, elle avait obtenu une somme appréciable à titre de dommages-intérêts. La Commission avait annulé la pension et réclamait le remboursement de la somme payée au cours de la période comprise entre le décès du mari et le prononcé du jugement. La Cour de l'Échiquier a jugé que Sa Majesté ne pouvait réclamer rétroactivement en tant que créance de Sa Majesté les versements qu'elle avait valablement faits, en l'absence d'autorisation claire à cet effet accordée par la loi (aux pages 581 à 583):

[traduction] Lorsque la Commission canadienne des pensions a accordé une pension à la requérante et à ses deux enfants, elle savait parfaitement que le mari de la requérante était décédé par suite de la négligence du commandant Hitsman et il y a lieu de présumer, en droit, qu'elle savait que la requérante et ses enfants avaient un droit d'action contre lui et qu'ils pouvaient en conséquence adresser une pétition de droit contre Sa Majesté en vertu de l'alinéa 19c) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier à raison de la responsabilité de Sa Majesté du fait de la négligence de son préposé. La pension qui a été versée à la requérante et à ses enfants a donc été régulièrement payée et reçue. Il n'y a eu ni fraude ni fausse déclaration ni dissimulation de faits importants de la part de la requérante qui auraient pu faire tomber l'affaire sous le coup de l'article 60 de la Loi. La pension n'a pas non plus été accordée par suite d'une erreur. Les versements ont été effectués valablement à tous égards. Qui plus est, ils ont continué à être ainsi effectués pendant environ six ans. Dans ces conditions, il semble anormal que des sommes que Sa Majesté a valablement et régulièrement versées à la requérante en étant parfaitement consciente des droits de cette dernière et de ceux de ses enfants deviennent, par suite d'événements ultérieurs prévisibles, des trop-payés, c'est-à-dire des sommes auxquelles la requérante n'avait pas droit mais qu'elle est tenue de rembourser comme s'ils lui avaient été versés de façon irrégulière. La possibilité que des versements valides et réguliers deviennent des trop-payés assortis du droit légal à leur remboursement ne devrait pas être acceptée en l'absence d'autorisation claire et explicite à cet effet dans la loi.

À mon sens, la Loi sur les pensions ne renferme aucune disposition qui autoriserait la Commission canadienne des pensions à transformer un versement de pension en un trop-payé qui ne constituait nullement un versement excédentaire lorsqu'il a été effectué. Les prestations de pension régulièrement versées conformément à la Loi sur les pensions ne sauraient devenir rétroactivement des trop-payés. [. . .]

    [. . .]

Qui plus est, si le législateur fédéral avait voulu que la Commission canadienne des pensions soit habilitée à annuler rétroactivement des versements de pension régulièrement effectués et à en permettre le remboursement en tant que trop-payés, il aurait conféré ce pouvoir de façon claire et explicite. [Non souligné dans l'original.]

[66]En l'espèce, tout comme dans l'affaire précitée, un avantage financier a été obtenu avec la connaissance et le consentement de Sa Majesté. Le ministre peut, comme le prévoit le Tarif des douanes, annuler le certificat. Toutefois, en l'absence de pouvoir lui permettant clairement de le faire, il ne peut pas réclamer rétroactivement à l'importateur-exportateur des droits qui ont déjà fait l'objet d'une exonération en vertu d'un certificat valide alors que les deux parties se sont déclarées satisfaites que les conditions du certificat avaient été respectées.

[67]De toute évidence, lorsque le titulaire du certificat fait sciemment défaut d'observer les conditions du certificat, l'annulation du certificat l'expose au paiement de droits. Par exemple, si le titulaire du certificat change ses méthodes de montage ou de traitement des produits importés ou s'il ne réexporte pas les produits dans le délai prescrit, il s'expose au paiement de droits.

[68]Il existe toutefois une différence marquée entre le titulaire d'un certificat qui fait sciemment défaut d'observer les règles qu'il a acceptées au départ et la demanderesse qui, comme c'est le cas en l'espèce, a obtenu un certificat il y a une dizaine d'années et qui n'a rien changé à sa façon d'exploiter son entreprise. Soudainement, sans préavis, le certificat d'exonération lui est retiré par suite d'une décision unilatérale.

[69]Non seulement son certificat lui est-il retiré, mais la demanderesse se retrouve avec des droits à acquitter sur des marchandises qu'elle a déjà vendues à ses clients, ce qui rend la somme à payer irrécupérable. Par-dessus le marché, on lui demande de payer des pénalités et des intérêts pour une situation qu'il lui était impossible de prévoir. Et finalement, la réclamation couvre une période d'un peu plus d'un an, sans qu'aucune explication ne lui soit fournie pour justifier la raison pour laquelle le ministre a retenu une période d'un an au lieu de trois, de cinq ou même des 10 années au cours desquelles le certificat était valide.

[70]Je n'ai aucune hésitation à conclure que la partie de sa décision dans laquelle le ministre réclame rétroactivement le paiement de droits, de pénalités et d'intérêts est illicite, injuste et arbitraire et qu'elle repose sur des conclusions de fait et de droit erronées.

[71]Sur le premier point, en l'occurrence l'inadmissibilité de la demanderesse en raison du texte de l'alinéa 303(6)b) de l'ALÉNA, je n'ai d'autre choix que de conclure que la demande de contrôle judiciaire de la décision du Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada doit être rejetée. Néanmoins, sur la seconde question, la demande est accueillie et la partie de la décision portant sur le remboursement par la demanderesse des droits, pénalités et intérêts est annulée au motif qu'elle est mal fondée tant en fait qu'en droit.

[72]Aucuns dépens ne sont adjugés étant donné que chacune des parties obtient en partie gain de cause.

    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

- La demande de contrôle judiciaire soit accueillie en partie en ce qui concerne la seconde question;

- Le dossier soit renvoyé à un autre fonctionnaire du défendeur pour être réexaminé en tenant compte du fait que la décision du ministre ne peut être appliquée rétroactivement;

- La décision par laquelle le ministre a déclaré la demanderesse inadmissible au remboursement des droits de douane soit confirmée;

- Le tout sans frais, compte tenu du fait que les deux parties ont obtenu chacune en partie gain de cause.

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