T-2391-00
2004 CF 673
Torpharm Inc. (appelante)
c.
Commissaire aux brevets et Procureur général du Canada (intimés)
Répertorié: Torpharm Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets) (C.F.)
Cour fédérale, juge suppléant MacKay--Toronto, 12 juin 2003; Ottawa, 7 mai 2004.
Brevets -- Pratique -- Appel d'une décision par laquelle le commissaire a refusé la requête de l'appelante demandant un recours pour abus des droits exclusifs dérivant d'un brevet, suivant l'art. 65 de la Loi sur les brevets -- L'appelante sollicite une licence afin d'acquérir du lisinopril en vrac pour fabriquer des comprimés destinés à l'exportation -- Le titulaire du brevet (Merck) a refusé d'accorder une licence volontaire -- L'appelante allègue l'abus des droits du brevet -- Le commissaire a conclu, en application de l'art. 68(2) de la Loi, qu'aucune preuve permettant d'accorder un recours n'avait été présentée -- Selon l'art. 68, le commissaire doit décider à titre préliminaire si la requête est fondée et peut passer à l'étape suivante -- Le commissaire a omis de tenir compte du fait que la demande visait l'obtention de la substance chimique en vrac connue sous le nom de lisinopril et a donc commis une erreur en concluant qu'il n'était pas établi que Merck ne satisfaisait pas à la demande au Canada -- La décision du commissaire selon laquelle les conditions proposées par l'appelante n'étaient pas équitables n'était pas fondée sur la preuve dont celui-ci disposait -- Pour établir le caractère équitable des conditions, il faut tenir compte d'arguments directement soumis au commissaire par l'appelante et le breveté -- Les cas énumérés à l'art. 65(2) de la Loi sont réputés abusifs -- Cette disposition déterminative a une portée étendue plutôt que de limiter la portée de l'art. 65(1) -- Le commissaire a commis une erreur en concluant que l'art. 65(2) est exhaustif, mais il ne disposait que de peu d'éléments de preuve du préjudice subi par l'appelante ou encore de l'atteinte à l'intérêt public, et il n'a donc pas commis d'erreur en concluant que preuve n'a pas été faite par l'appelante de l'exercice de droits de la nature d'un monopole -- Appel accueilli.
Il s'agissait d'un appel d'une décision par laquelle le commissaire aux brevets a rejeté la requête de l'appelante pour obtenir un recours en raison d'un abus allégué des droits exclusifs dérivant d'un brevet, conformément à l'article 65 de la Loi sur les brevets. L'appelante sollicitait une licence pour acquérir du lisinopril en vrac afin de fabriquer au Canada des comprimés destinés à l'exportation. La titulaire du brevet (Merck) pour le lisinopril a refusé d'accorder une licence volontaire à l'appelante. Celle-ci a donc présenté une requête au commissaire dans laquelle elle alléguait que Merck avait abusé des droits dérivant du brevet à l'égard de la substance chimique en vrac connue sous le nom de lisinopril. Le commissaire a conclu, en application du paragraphe 68(2), qu'aucune preuve permettant d'accorder un recours n'avait été présentée et, conséquemment, il n'y a pas eu d'audience pour entendre la requête.
Jugement: l'appel doit être accueilli.
S'agissant du critère applicable à l'examen des questions soulevées par la requête, le commissaire devra, selon le paragraphe 68(2), être convaincu que «de prime abord, la preuve a été établie pour obtenir un recours» ou, selon la version anglaise, que «a case for relief has been made», et enjoindre au demandeur de signifier des copies de la requête au breveté. Le paragraphe 68(1) impose au demandeur l'obligation d'«expose[r] complètement [. . .] les faits sur lesquels [il] fonde sa requête». En conséquence, la décision rendue par le commissaire en application de l'article 68 est une décision préliminaire selon laquelle la requête est fondée, de sorte qu'elle devrait passer à l'étape suivante. En ce qui a trait à l'abus allégué suivant l'alinéa 65(2)c), le commissaire a commis une erreur en concluant qu'il n'était pas établi que Merck ne satisfaisait pas à la demande de lisinopril au Canada en tant que produit chimique en vrac. Il n'était pas nécessaire que l'appelante demande expressément à Merck de lui fournir du lisinopril en vrac. En outre, une demande visant l'obtention du produit en vrac destiné à être utilisé aux fins de la fabrication de comprimés au Canada, et nécessitant une licence de la part de Merck constitue une demande au Canada pour le produit en vrac breveté. Le commissaire a omis de tenir compte du fait que la demande visant l'obtention du produit chimique en vrac à l'aide duquel l'appelante envisage de fabriquer son produit pour les marchés étrangers constituait une preuve. En ce qui concerne l'abus allégué suivant l'alinéa 65(2)d), le commissaire n'a pas tenu compte dans sa décision des effets du refus d'accorder une licence pour le commerce ou l'industrie au Canada ou pour une personne au Canada, ou de la question de savoir s'il était d'intérêt public qu'une licence soit accordée. La décision du commissaire selon laquelle les conditions proposées par l'appelante n'étaient pas équitables n'était pas fondée sur la preuve dont il disposait. L'alinéa 65(2)c) exige que le commissaire soit convaincu de l'omission du breveté de satisfaire à une demande au Canada «dans une mesure adéquate et à des conditions équitables»; cependant, le caractère équitable des conditions, en particulier en ce qui concerne les redevances proposées, ne pouvait pas être déterminé eu égard aux circonstances de l'affaire sans qu'il soit tenu compte d'arguments directement soumis au commissaire par l'appelante et le breveté. Le paragraphe 65(2) doit être considéré comme une disposition déterminative au regard de l'abus allégué concernant l'exercice de droits de la nature d'un monopole sans aucune fin légitime (motif d'abus que ne retient pas le paragraphe 65(2)). Une telle disposition a une portée étendue: elle ne limite pas celle d'une clause générale à laquelle elle renvoie (en l'espèce le paragraphe 65(1)). Conséquemment, le commissaire a énoncé le droit d'une façon erronée en concluant que les seuls abus visés par la Loi actuelle sont ceux qui relèvent des cas énumérés au paragraphe 65(2). Néanmoins, en exposant les questions soulevées dans sa requête au commissaire, l'appelante n'a pas énoncé de motifs autres que ceux visés aux alinéas 65(2)c) et d), sauf pour soutenir que le refus de Merck de lui accorder une licence lui causait un préjudice. Le commissaire disposait de peu d'éléments permettant d'établir le préjudice subi par l'appelante ou démontrant que le refus allait à l'encontre de l'intérêt public. Par conséquent, on ne peut dire que le commissaire a commis une erreur en concluant que l'appelante n'avait pas établi l'abus allégué vu l'existence de circonstances autres que celles qui sont énoncées aux alinéas 65(2)c) et d).
lois et règlements
Loi de 1935 sur les brevets, S.C. 1935, ch. 32, art. 65(3).
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 65 (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 196), 68, 69, 70, 71. |
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4, art. 70(2). |
jurisprudence
décision appliquée:
R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838; (1978), 85 D.L.R. (3d) 1; 40 C.C.C. (2d) 273; 3 C.R. (3d) 132; 21 N.R. 571.
distinction faite d'avec:
Celotex Corp. et al. v. Donnacona Paper Co. Ltd., [1939] R.C.É. 128; [1939] 1 D.L.R. 619.
décisions citées:
Cie des chemins de fer nationaux c. Handyside et autres (1994), 170 N.R. 353 (C.A.F.); Sero c. Canada, [2004] 2 C.N.L.R. 333; 2003 DTC 6037; (2004), 315 N.R. 162 (C.A.F.).
APPEL d'une décision, en date du 28 septembre 2000, par laquelle le commissaire aux brevets a refusé la requête de l'appelante demandant un recours pour abus allégué des droits exclusifs dérivant d'un brevet suivant l'article 65 de la Loi sur les brevets. Appel accueilli.
ont comparu:
Harry B. Radomski pour l'appelante.
Valerie J. Anderson pour les intimés.
avocats inscrits au dossier:
Goodmans LLP, Toronto, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge suppléant MacKay: Il s'agit d'un appel interjeté conformément à l'article 71 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi), à la suite de la décision par laquelle le commissaire aux brevets (le commissaire) a rejeté, le 28 septembre 2000, la requête que Torpharm Inc. (l'appelante) avait présentée pour obtenir un recours en raison d'un abus allégué des droits exclusifs dérivant d'un brevet, conformément à l'article 65 [mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 196] de la Loi.
[2]Dans sa requête présentée le 2 décembre 1999, l'appelante a cherché à obtenir une licence obligatoire lui permettant d'acquérir une substance chimique en vrac, du lisinopril, qui faisait alors l'objet d'un brevet appartenant à Merck & Co. Inc. (Merck), afin de fabriquer au Canada des comprimés destinés à être exportés. Le commissaire n'était pas convaincu que l'appelante eût réussi à établir qu'un recours était justifié comme l'exige le paragraphe 68(2) de la Loi; il a rejeté la requête sans ordonner à Merck de répondre.
[3]Le brevet canadien no 1275350 (le brevet 350), comprenant des revendications relatives au lisinopril, a été délivré à Merck le 16 octobre 1990. Le brevet doit expirer le 16 octobre 2007. Au moment où le brevet a été délivré, Merck était également propriétaire du brevet américain no 4374829, soit un brevet correspondant au brevet 350, qui devait alors expirer le 30 décembre 2001. Les deux brevets comprennent des revendications relatives à une catégorie de composés, y compris le médicament connu sous le nom de lisinopril. En l'absence de licence, et compte tenu du brevet 350, l'appelante, si elle devait acquérir du lisinopril en vrac et fabriquer des comprimés de lisinopril au Canada, violerait les droits exclusifs que possède Merck en vertu du brevet canadien, même si les comprimés produits étaient exclusivement destinés à être exportés, comme Torpharm se propose de le faire, sur les marchés d'exportation aux États-Unis après l'expiration du brevet américain de Merck ainsi que dans d'autres pays pour lesquels Merck ne possède pas de brevet.
[4]Par une lettre en date du 5 juillet 1999, l'appelante a demandé à Merck de lui accorder une licence volontaire limitée à la production de comprimés de lisinopril destinés à être exportés. Dans cette lettre, l'appelante donnait des détails au sujet de l'objet de la demande et des conditions qu'elle proposait pour la licence, y compris un taux de redevance d'un dollar pour 1 000 comprimés, ce qui selon les estimations de l'appelante représentait environ 10 p. 100 de la valeur ajoutée grâce à la production des comprimés au Canada. Merck a accusé réception de cette lettre et a cherché à obtenir des réponses à un certain nombre de questions. Torpharm a répondu à ces questions; des lettres ont été échangées à trois reprises par la suite, Torpharm ayant continué à envoyer des lettres dans lesquelles elle demandait une licence et répondait aux questions de Merck. Par la suite, par une lettre en date du 18 novembre 1999, Merck a fait savoir que ses licences existantes au Canada, en vertu du brevet, satisfaisaient dans une mesure adéquate à la demande de comprimés à base de lisinopril au Canada et qu'elle ne comprenait pas comment le commerce ou l'industrie au Canada subirait un préjudice à défaut d'accorder une autre licence; elle a refusé d'accorder à l'appelante une licence à un taux de redevance aussi déraisonnable que celui qui avait été proposé. Le 22 novembre 1999, Torpharm a répondu encore une fois, en faisant des commentaires au sujet des questions soulevées dans la lettre de Merck et en réitérant qu'elle envisageait d'offrir le produit aux États-Unis et sur d'autres marchés depuis son usine canadienne puisque les porteurs de licences de Merck ne satisfaisaient pas à pareille demande; Torpharm contestait en outre les motifs que Merck invoquait pour affirmer que le taux de redevance était tout à fait insuffisant.
[5]Par la suite, le 2 décembre 1999, l'appelante a présenté une requête au commissaire conformément à l'article 65 de la Loi. Torpharm alléguait que Merck avait abusé des droits dérivant du brevet à l'égard de la substance chimique en vrac connue sous le nom de lisinopril et qu'elle avait droit à un recours en vertu de l'article 65 de la Loi.
Dispositions législatives pertinentes
[6]Les dispositions de la Loi qui sont pertinentes en l'espèce sont ci-après reproduites:
65. (1) Le procureur général du Canada ou tout intéressé peut, après l'expiration de trois années à compter de la date de la concession d'un brevet, s'adresser au commissaire pour alléguer que, dans le cas de ce brevet, les droits exclusifs qui en dérivent ont donné lieu à un abus, et pour demander un recours sous l'autorité de la présente loi.
(2) Les droits exclusifs dérivant d'un brevet sont réputés avoir donné lieu à un abus lorsque l'une ou l'autre des circonstances suivantes s'est produite:
[. . .]
c) il n'est pas satisfait à la demande, au Canada, de l'article breveté, dans une mesure adéquate et à des conditions équitables;
d) par défaut, de la part du breveté, d'accorder une ou des licences à des conditions équitables, le commerce ou l'industrie du Canada, ou le commerce d'une personne ou d'une classe de personnes exerçant un commerce au Canada, ou l'établissement d'un nouveau commerce ou d'une nouvelle industrie au Canada subissent quelque préjudice, et il est d'intérêt public qu'une ou des licences soient accordées;
[. . .]
68. (1) Toute requête présentée au commissaire en vertu de l'article 65 ou 66:
a) expose complètement la nature de l'intérêt du demandeur, les faits sur lesquels le demandeur, fonde sa requête, ainsi que le recours qu'il recherche;
b) est accompagnée de déclarations solennelles attestant l'intérêt du demandeur, ainsi que les faits exposés dans la requête.
(2) Le commissaire prend en considération les faits allégués dans la requête et dans les déclarations, et, s'il est convaincu que le demandeur possède un intérêt légitime et que, de prime abord, la preuve a été établie pour obtenir un recours, il enjoint au demandeur de signifier des copies de la requête et des déclarations au breveté ou à son représentant aux fins de signification, ainsi qu'à toutes autres personnes qui, d'après les registres du Bureau des brevets, sont intéressées dans le brevet, et le demandeur annonce la requête dans la Gazette du Canada et dans la Gazette du Bureau des brevets.
69. (1) Si le breveté ou un tiers désire s'opposer à la concession d'un recours en vertu des articles 65 à 70, il remet au commissaire, dans le délai prescrit ou dans le délai prolongé que celui-ci accorde sur pétition, un contre-mémoire attesté par une déclaration solennelle et exposant complètement les motifs pour lesquels opposition sera faite à la requête.
(2) Le commissaire prend en considération le contre- mémoire et la déclaration à l'appui, et il peut dès lors rejeter la requête, s'il est convaincu qu'il a été suffisamment répondu aux allégations de la requête, à moins que l'une des parties ne demande à être entendue ou que le commissaire lui-même ne fixe une audition. En tout cas, le commissaire peut requérir la comparution devant lui de l'un des déclarants pour être contre-interrogé ou examiné de nouveau sur les matières se rapportant aux points soulevés dans la requête et dans le contre-mémoire, et il peut, à condition de prendre les précautions voulues afin d'empêcher la divulgation de renseignements à des concurrents commerciaux, exiger la production, devant lui, des livres et documents se rapportant à l'affaire en litige.
(3) Lorsque le commissaire ne rejette pas une requête, ainsi qu'il est prévu au paragraphe (2), et si, selon le cas:
a) les parties intéressées y consentent;
b) les procédures exigent un examen prolongé de documents, ou des recherches scientifiques ou locales qui, à son avis, ne peuvent convenablement avoir lieu devant lui,
il peut, avec l'approbation par écrit du ministre, ordonner que l'ensemble des procédures ou que toute question de fait en découlant soit déférée à la Cour fédérale, laquelle a juridiction en l'espèce.
(4) Lorsque l'ensemble des procédures a ainsi été déféré, le jugement, la décision ou l'ordonnance du tribunal est définitive. Lorsqu'une question ou un point de fait a ainsi été déféré, le tribunal fait rapport de ses conclusions au commissaire.
70. Toute ordonnance rendue pour concéder une licence sous l'autorité de la présente loi a, sans préjudice de tout autre mode de contrainte, le même effet que si elle était incorporée dans un acte de concession d'une licence souscrit par le breveté et par les autres parties nécessaires.
71. Toutes les ordonnances et décisions rendues par le commissaire sous l'autorité des articles 65 à 70 sont sujettes à appel à la Cour fédérale, et en tel cas, le procureur général du Canada ou un avocat qu'il peut désigner a le droit de comparaître et d'être entendu.
Décision du commissaire
[7]Par une lettre de décision en date du 28 septembre 2000, le commissaire a conclu, conformément au paragraphe 68(2) de la Loi, que de prime abord, aucune preuve permettant d'accorder un recours n'avait été présentée par Torpharm et il a refusé d'ordonner que la requête soit signifiée au breveté. Merck n'était donc pas tenue, en sa qualité de breveté, de répondre à la requête et aucune audience n'a été tenue.
[8]En ce qui concerne le paragraphe 68(2), le commissaire a statué qu'il était obligé de déterminer si la requête était fondée, conformément à la version française de la disposition, dans laquelle figurent les mots «de prime abord» (at first glance). Il a en outre fait remarquer qu'il s'était demandé [traduction] «si une preuve permettant d'accorder un recours avait été présentée» à l'égard de chacun des motifs soulevés dans la requête.
[9]En ce qui concerne l'alinéa 65(2)c), le commissaire a conclu qu'il n'était pas établi que Torpharm eût demandé à Merck de lui fournir du lisinopril en vrac et que Torpharm avait uniquement demandé une licence. Il n'était pas non plus établi que Merck eût refusé de fournir l'article breveté à Torpharm. Le commissaire a en outre conclu [traduction] qu'«une demande visant l'obtention de lisinopril en vrac destiné à être utilisé aux fins de la fabrication de comprimés uniquement destinés à être exportés depuis le Canada ne constitue pas en réalité une demande au Canada visant l'obtention du lisinopril en tant que produit chimique en vrac». Enfin, le commissaire n'était pas convaincu qu'il [traduction] «n'était pas satisfait» à la demande de lisinopril au Canada [traduction] «dans une mesure adéquate et à des conditions équitables». À son avis, l'abus n'avait pas été établi en vertu de l'alinéa 65(2)c).
[10]Quant au motif fondé sur l'alinéa 65(2)d), le commissaire a conclu que Merck n'avait pas refusé d'accorder une licence à des conditions équitables. Il interprétait la lettre du 18 novembre 1999 comme un refus d'accorder une licence aux conditions proposées par Torpharm plutôt que comme un refus définitif, à quelque condition que ce soit. Le commissaire a en outre conclu que les conditions proposées par l'appelante n'étaient pas équitables et que rien ne montrait que Merck n'envisagerait pas d'accorder une licence à des conditions équitables. Il a conclu que Torpharm n'avait pas réussi à établir qu'il y avait eu abus en vertu de l'alinéa 65(2)d), sans tenir compte de l'effet sur l'industrie au Canada ou de l'intérêt public, en cas de refus d'accorder une licence.
[11]Enfin, pour ce qui est du troisième motif d'abus invoqué par l'appelante, à savoir l'exercice de droits de la nature d'un monopole sans aucune fin légitime, le commissaire a refusé d'examiner la question étant donné qu'à son avis, [traduction] «les cas d'abus sont énoncés aux divers alinéas du paragraphe 65(2)»; puisque les circonstances invoquées par Torpharm n'étaient pas prévues, aucun recours n'a été accordé en vertu de l'article 65.
[12]Au mois de décembre 2000, Torpharm a interjeté appel de la décision du commissaire, en alléguant qu'il avait commis une erreur susceptible de révision, confor-mément à l'article 71 de la Loi.
Les points litigieux
[13]Il existe une divergence de vues entre les parties au sujet de la norme que le commissaire doit appliquer lorsqu'il examine la requête, telle qu'elle est énoncée au paragraphe 68(2) de la Loi. L'appelante affirme que le commissaire a commis une erreur en déterminant, sans même demander au breveté de répondre, qu'aucune preuve permettant d'accorder un recours n'avait été présentée.
[14]Il est en outre soutenu que le commissaire a commis une erreur en concluant que l'abus n'avait pas été établi en vertu de l'alinéa 65(2)c) puisqu'il n'avait pas été prouvé que Torpharm avait demandé à Merck de lui fournir du lisinopril en vrac et qu'une demande visant l'obtention de l'article breveté, à savoir le lisinopril en vrac, destiné à être utilisé aux fins de la fabrication de comprimés uniquement destinés à être exportés du Canada n'est pas une demande au Canada visant l'obtention de l'article.
[15]L'appelante affirme également que le commissaire a commis une erreur, en ce qui concerne l'allégation d'abus fondée sur l'alinéa 65(2)d), en décidant que les conditions proposées à l'égard de la licence n'étaient pas équitables et que la lettre finale de Merck en date du 18 novembre 1999 ne constituait pas un refus de faire droit à la demande visant l'obtention d'une licence, mais qu'il s'agissait plutôt d'un refus de la demande aux conditions proposées par Torpharm.
[16]Un dernier moyen d'appel invoqué par l'appelante se rapportait au fondement du rejet de l'allégation d'abus des droits dérivant du brevet fondée sur des motifs généraux, indépendamment des motifs prévus aux alinéas 65(2)c) et d), l'appelante alléguant que Merck se fondait sur les droits dérivant du brevet sans aucune fin légitime.
[17]J'examinerai ci-dessous chacun de ces motifs.
Examen fondé sur le paragraphe 68(2)
[18]L'appelante affirme que, sur réception d'une requête concernant un abus des droits d'un breveté fondée sur le paragraphe 68(2), le commissaire devrait uniquement procéder à une évaluation préliminaire de la question de savoir s'il existe une preuve soutenable. Selon l'argument invoqué par l'appelante, le commissaire a appliqué d'une façon erronée la norme pertinente et a commis des erreurs de droit en appréciant la preuve. L'appelante affirme que la norme appliquée exigeait [traduction] qu'«une preuve permettant d'accorder un recours soit présentée», soit une norme qui n'est pas énoncée dans la loi.
[19]La jurisprudence n'établit pas la norme que le commissaire doit appliquer en vertu du paragraphe 68(2) et l'appelante soutient que, compte tenu du régime de la Loi, la norme doit servir à éliminer les requêtes clairement futiles qui ne soulèvent aucune véritable question et qui n'ont aucune chance de succès. Torpharm affirme que la norme appropriée est analogue à celle qui s'applique à une requête visant l'obtention d'une injonction interlocutoire en ce qui concerne le critère préliminaire qui s'applique au fond, à savoir si une question sérieuse est soulevée, et que dans la mesure où la requête n'est pas futile ou vexatoire, on devrait passer à l'étape suivante. De l'avis de l'appelante, une requête qui soulève une question sérieuse ne devrait pas être tranchée sans que la requête et les oppositions soulevées à son encontre ne soient examinées, au besoin après la tenue d'une audience.
[20]L'intimé se reporte à la version française de la Loi pour déterminer la norme qu'il convient d'appliquer à la décision en vertu du paragraphe 68(2). Selon l'intimé, l'expression «de prime abord» est analogue à l'expression «prima facie»; l'intimé utilise un dictionnaire anglais pour démontrer qu'en anglais, l'expression «prima facie» est synonyme de l'expression «at first glance», soit l'expression que le commissaire a utilisée pour traduire en anglais les mots de la version française. Il est soutenu que, par conséquent, si les versions française et anglaise du paragraphe 68(2) de la Loi sont examinées ensemble, cette disposition exige que le demandeur présente une preuve prima facie à l'appui du recours. Je ne suis pas convaincu que cet argument soit pertinent étant donné que la décision du commissaire ne portait pas sur la question de savoir si l'appelante avait présenté une preuve prima facie. Le commissaire s'est uniquement reporté à la version française du paragraphe 68(2) pour dire qu'à son avis l'emploi des mots «de prime abord, la preuve a été établie pour obtenir un recours» montrait clairement qu'il devait déterminer si «at first glance» la requête était fondée.
[21]Même s'il était pertinent, et à mon avis il ne l'est pas, l'argument de l'intimé n'est pas utile car il ne tient pas compte du fait que dans la loi, telle qu'elle était libellée avant la refonte de 1985, les versions française et anglaise de la disposition pertinente, qui figurait alors au paragraphe 70(2) [S.R.C. 1970, ch. P-4], énonçaient l'exigence selon laquelle «une preuve prima facie a été établie pour obtenir un recours» («a prima facie case for relief has been made out») et que les deux versions ont été modifiées lors de la refonte de 1985 de façon à omettre la mention de la norme de la preuve prima facie.
[22]Le paragraphe 68(2) prévoit que, sur réception de la requête, le commissaire prend en considération les faits allégués dans la requête et, s'il est convaincu que le demandeur possède un intérêt légitime et que, «de prime abord, la preuve a été établie pour obtenir un recours» («a case for relief has been made» dans la version anglaise), il enjoint le demandeur de signifier des copies de la requête au breveté et d'annoncer la requête dans la Gazette du Canada et dans la Gazette du Bureau des brevets. Le paragraphe 68(1) impose au demandeur l'obligation d'«expose[r] complètement [. . .] les faits sur lesquels [il] fonde sa requête, ainsi que le recours qu'il recherche». En d'autres termes, le demandeur doit fournir un nombre suffisant d'éléments de preuve pour permettre au commissaire de statuer sur les faits qui, en l'absence d'une objection convaincante, pourraient donner lieu à l'octroi du recours recherché. La décision prise par le commissaire conformément à l'article 68 est donc une décision préliminaire selon laquelle la requête est fondée, de sorte qu'elle devrait passer à l'étape suivante. À mon avis, cette décision est comparable à celle qui est rendue à la suite d'une demande d'autorisation d'interjeter appel ou d'autorisation de demander le contrôle judiciaire devant la présente Cour: il s'agit de savoir si une cause soutenable est soulevée sur le plan juridique. Je reconnais que les avocats des deux parties n'ont pas accepté cette analogie lorsqu'elle leur a été proposée à l'audience.
[23]Quoi qu'il en soit, toute mention en l'espèce de la présentation d'une preuve prima facie n'est pas pertinente puisque, selon mon interprétation de la décision du commissaire, telle n'est pas la norme que celui-ci a appliquée en examinant la requête de Torpharm. Le commissaire s'est demandé si, de prime abord, une preuve permettant d'accorder un recours avait été établie. Je ne suis pas convaincu que le commissaire ait commis une erreur en énonçant le critère qu'il convient d'appliquer en vertu du paragraphe 68(2). Si le commissaire a commis une erreur, il l'a fait en appliquant ce critère lorsqu'il a examiné chacun des motifs énoncés dans la requête, car sa décision était fondée sur son appréciation de la question de savoir si une preuve permettant d'accorder un recours avait été établie selon les motifs invoqués à l'appui du présumé abus.
Abus censément commis en vertu de l'alinéa 65(2)c)
[24]L'appelante affirme que, contrairement à ce que le commissaire semble avoir jugé, l'alinéa 65(2)c) n'exige pas que, pour établir qu'il n'est pas satisfait à la demande, il faut prouver qu'une demande précise a été faite au breveté pour qu'il fournisse l'article breveté et que celui-ci a refusé de le fournir. En outre, il est affirmé que le commissaire a commis une erreur en statuant que la demande alléguée par l'appelante, aux fins de la fabrication des comprimés destinés à être exportés, ne pouvait pas constituer une demande au sens de l'alinéa 65(2)c).
[25]L'appelante soutient que la Loi exige simplement qu'il existe sur le marché une demande à laquelle il n'est pas satisfait dans une mesure adéquate et à des conditions équitables. Elle affirme que le commissaire a commis une erreur en indiquant qu'il n'était pas convaincu qu'il n'était pas satisfait dans une mesure adéquate à la demande de lisinopril au Canada; en effet, Torpharm soutient qu'il existe une demande pour le lisinopril en vrac au Canada aux fins de la fabrication au Canada de comprimés destinés à être vendus à l'étranger et, qu'à l'heure actuelle, il n'est pas du tout satisfait à cette demande.
[26]L'intimé soutient qu'il était loisible au commissaire de rejeter la requête compte tenu des faits portés à sa connaissance. Plus précisément, en ce qui concerne la conclusion du commissaire selon laquelle on ne pouvait pas dire que Merck ne satisfait pas à la demande de lisinopril en vrac au Canada, l'intimé soutient que le commissaire n'a pas commis d'erreur en tirant la conclusion à laquelle il est arrivé; en effet, une simple assertion ou une simple opinion exprimée par un demandeur ne constitue pas une preuve des faits qu'il faut établir en vertu de la disposition en question. Il est affirmé que si l'on jugeait que ce n'était pas le cas, cela voudrait dire que chaque fois qu'une licence est demandée au breveté à l'égard d'un article breveté et que celui-ci refuse de l'accorder, il pourrait être présumé qu'il y a eu abus des droits dérivant du brevet. Ce dernier argument ne tient pas compte de toutes les exigences auxquelles il faut satisfaire pour qu'il soit possible de conclure à l'existence d'un abus en vertu de la Loi, exigences qui peuvent uniquement être pleinement appréciées après qu'il a été décidé, à titre préliminaire, que le demandeur a soulevé en vertu de l'article 65 une question sérieuse, en ce sens qu'il existe une preuve soutenable du présumé abus.
[27]Quant à la décision que le commissaire a rendue au sujet de l'alinéa 65(2)c), je suis convaincu qu'il a commis une erreur de droit en appréciant la preuve mise à sa disposition. Il est vrai que Torpharm n'a pas expressément demandé que le breveté lui fournisse du lisinopril en vrac, et que celui-ci n'a pas expressément refusé de fournir le produit. Cependant, aucune appréciation n'a été effectuée au sujet de la question de savoir si la demande que Torpharm a faite à maintes reprises en vue d'obtenir une licence volontaire peut constituer une demande à l'égard du produit dans le cas qui nous occupe, Torpharm ayant dans ce cas-ci besoin d'une licence du breveté pour utiliser le produit désiré au Canada. À mon avis, l'absence de demande expresse n'est pas plus importante en soi que l'absence d'une offre expresse de la part du breveté de fournir le lisinopril en vrac à la personne qui cherche à obtenir une licence en vue d'utiliser le produit breveté au Canada pour servir les marchés à l'étranger, dans des pays où le breveté ne possède pas de droits dérivant d'un brevet.
[28]En outre, la décision du commissaire est à mon avis erronée, lorsque celui-ci conclut [traduction] qu'«une demande visant l'obtention de lisinopril en vrac destiné à être utilisé aux fins de la fabrication de comprimés uniquement destinés à être exportés depuis le Canada ne constitue pas en réalité une demande au Canada». À coup sûr, la demande d'un produit en vrac destiné à être utilisé aux fins de la fabrication de comprimés au Canada, ce qui exige une licence accordée par le breveté, comme c'est ici le cas, est une demande au Canada à l'égard du produit en vrac breveté. Il ne s'agit pas d'une demande équivalant à la demande de comprimés fabriqués à partir de ce produit pour des marchés étrangers ou pour le marché canadien.
[29]Je suis d'accord avec l'appelante pour dire que le commissaire a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas de demande au Canada à l'égard du lisinopril en vrac étant donné que le commissaire n'a pas tenu compte de certains éléments de preuve mis à sa disposition et qu'il a conclu que le fait d'approvisionner les marchés d'exportation à l'étranger en fabriquant des comprimés au Canada ne peut pas constituer une demande visant l'obtention de lisinopril en vrac au Canada en tant que produit brut destiné à être utilisé aux fins de la fabrication. Avec égards, le commissaire a commis des erreurs de droit sur ces deux points.
[30]À mon avis, le commissaire a commis une erreur en concluant qu'il n'était pas établi que Merck ne satisfait pas à la demande de lisinopril au Canada en tant que produit chimique en vrac. En disant ne pas être convaincu [traduction] qu'«il n'est pas satisfait dans une mesure adéquate» à la demande de lisinopril au Canada, le commissaire a omis de tenir compte du fait que la demande visant l'obtention du produit chimique en vrac à l'aide duquel Torpharm envisage de fabriquer le produit pour les marchés étrangers constituait une preuve.
[31]L'appréciation que le commissaire a effectuée au sujet de l'absence de preuve de conditions équitables concernant la fourniture de lisinopril en vrac faisait intégralement partie de la décision qu'il a rendue au sujet des alinéas 65(2)c) et d); je traiterai de cet aspect de la question lorsque j'examinerai l'alinéa 65(2)d) étant donné que le résultat de la décision que le commissaire a rendue au sujet du présumé abus commis en vertu de cette disposition était entièrement fondé sur la conclusion selon laquelle les conditions proposées par Torpharm n'étaient pas équitables.
Abus censément commis en vertu de l'alinéa 65(2)d)
[32]En ce qui concerne le caractère équitable des conditions dont la licence serait assortie, l'appelante soutient que le commissaire a commis une erreur car il n'existait aucun élément de preuve à l'appui de la conclusion selon laquelle les conditions proposées par Torpharm n'étaient pas équitables. L'appelante soutient que sa requête n'aurait pas dû être rejetée sans qu'une audience ait lieu.
[33]L'alinéa 65(2)d) prévoit que les droits exclusifs sont réputés avoir donné lieu à un abus si, par défaut de la part du breveté d'accorder une ou des licences à des conditions équitables, le commerce ou l'industrie du Canada, ou le commerce d'une personne ou d'une classe de personnes exerçant un commerce au Canada, ou l'établissement d'un nouveau commerce ou d'une nouvelle industrie au Canada subissent quelque préjudice, et qu'il est d'intérêt public qu'une ou des licences soient accordées. Dans sa décision, le commissaire n'a pas tenu compte des effets du refus d'accorder une licence pour le commerce ou l'industrie au Canada ou pour une personne au Canada, ou de la question de savoir s'il était d'intérêt public qu'une licence soit accordée.
[34]L'intimé soutient qu'en l'absence de tout autre renseignement de la part de l'appelante au sujet du caractère équitable de la proposition qu'elle avait faite à Merck à l'égard de la licence, il était loisible au commissaire de conclure que les conditions n'étaient pas équitables.
[35]À mon avis, la décision du commissaire selon laquelle les conditions proposées par Torpharm n'étaient pas équitables n'était pas fondée sur la preuve dont celui-ci disposait. Les conditions que le commissaire a examinées se rapportaient uniquement à la redevance proposée, qu'il jugeait inéquitable parce qu'on omettait de tenir compte de [traduction] «la valeur du lisinopril en vrac ou sous forme de comprimés [et] du prix auquel ce produit serait vendu à des acquéreurs n'ayant aucun lien de dépendance avec Torpharm». Le commissaire ne disposait d'aucun élément de preuve sur ces questions. Certaines estimations fondées sur les facteurs dont le commissaire a fait mention étaient incluses dans la lettre de refus de Merck en date du 18 novembre 1999, mais le fondement de ces estimations a subséquemment été contesté par l'appelante dans la réponse qu'elle a donnée à la lettre de Merck le 22 novembre 1999.
[36]À mon avis, la conclusion selon laquelle les conditions proposées par Torpharm n'étaient pas équitables n'est pas étayée selon le dossier mis à la disposition du commissaire, lequel faisait état en résumé d'une redevance proposée par Torpharm sur une base qui ne convenait pas à Merck, alors que les motifs de rejet des conditions invoqués par Merck ne convenaient pas de leur côté à Torpharm. L'alinéa 65(2)c) exige que le commissaire soit convaincu de l'omission du breveté de satisfaire à une demande au Canada «dans une mesure adéquate et à des conditions équitables», mais le caractère équitable des conditions, en particulier en ce qui concerne les redevances proposées, ne pouvait pas, à mon avis, être déterminé eu égard aux circonstances de l'affaire sans qu'il soit tenu compte d'arguments directement soumis au commissaire par l'appelante et par le breveté.
Abus présumé concernant l'exercice de droits de la nature d'un monopole sans aucune fin légitime
[37]L'appelante soutient que, même si le troisième motif allégué à l'égard de l'abus n'est pas énoncé au paragraphe 65(2), cette disposition n'est pas réputée constituer une liste exhaustive des motifs d'abus qui peuvent donner lieu à un recours, y compris peut-être la concession d'une licence obligatoire. Je suis d'accord pour dire que la disposition est une disposition déterminative énumérant les circonstances qui doivent être considérées comme donnant lieu à un abus, et ce, indépendamment de la question de savoir si ces circonstances semblent être visées par les termes généraux du paragraphe 65(1). Le paragraphe (2) ne renferme pas simplement une définition des termes généraux du paragraphe 65(1). Comme le juge Beetz l'a fait remarquer au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838, à la page 845, une disposition déterminative a une portée étendue plutôt que de limiter la portée d'une clause générale à laquelle elle fait référence. Cette interprétation d'une disposition déterminative a été mentionnée dans des arrêts de la Cour d'appel fédérale: Cie des chemins de fer nationaux c. Handyside et autres (1994), 170 N.R. 353 (C.A.F.) (le juge Hugessen, J.C.A., au paragraphe 6) et Sero c. Canada, [2004] 2 C.N.L.R. 333 (C.A.F.) (juge Sharlow, J.C.A., au paragraphe 40).
[38]En l'espèce, aucun fondement n'a été avancé à l'appui d'une interprétation différente de la disposition déterminative figurant au paragraphe 65(2). Je suis d'accord avec Torpharm lorsqu'elle affirme que le commissaire s'est trompé en s'appuyant uniquement sur la décision Celotex Corp. et al. v. Donnacona Paper Co. Ltd., [1939] R.C.É. 128, pour conclure que les motifs d'abus visés à l'article 65 sont limités à ceux qui sont énoncés au paragraphe 65(2). Cette décision portait sur un présumé abus du genre des abus énoncés dans la disposition qui s'appliquait avant que le paragraphe 65(2) soit édicté, telle qu'elle a été modifiée par ce qui était alors le paragraphe 65(3) [Loi de 1935 sur les brevets, S.C. 1935, ch. 32], qui a depuis lors été abrogé, à savoir que lorsqu'un présumé abus est examiné, les brevets doivent être interprétés de façon à pouvoir, dans la mesure du possible, être exploités à l'échelle commerciale au Canada sans retard excessif. Dans la décision Celotex, il a été jugé qu'un abus avait été commis, le breveté n'ayant pas exploité le brevet à l'échelle commerciale au Canada. Les circonstances et la législation en cause dans cette affaire étaient différentes de celles que le commissaire examinait en l'espèce. Les remarques qui ont été faites dans la décision Celotex, dans la mesure où elles peuvent être considérées comme se rapportant à la portée de l'article 65 en général, à part les cas prévus à l'alinéa 65(2)c), étaient des remarques incidentes. En concluant que les seuls abus inclus dans la Loi actuelle sont ceux qui sont décrits dans les cas énumérés au paragraphe 65(2), le commissaire a énoncé le droit, à mon avis, d'une façon erronée.
[39]Néanmoins, à mon avis, en exposant les questions qu'elle soulevait dans la requête présentée au commissaire dans laquelle l'abus était allégué, Torpharm n'a pas énoncé de motifs autres que ceux qui sont visés aux alinéas 65(2)c) et d), sauf pour soutenir que le refus de Merck de lui accorder une licence lui causait un préjudice, que ce refus ne présentait aucun avantage pour Merck et que compte tenu de la preuve qu'elle soumettait, il était d'intérêt public qu'une licence lui soit accordée. Autrement, Torpharm envisageait d'acquérir le produit aux États-Unis et de renoncer à fabriquer les comprimés au Canada, ce qui aurait permis de créer des emplois. Le commissaire n'a pas fait de remarques au sujet du présumé intérêt public, un intérêt qu'il aurait été tenu d'apprécier en se demandant si une licence devait être accordée s'il était par ailleurs jugé qu'un abus avait été commis en vertu de l'alinéa 65(2)d). Le commissaire disposait de peu d'éléments de preuve du préjudice subi par Torpharm ou du fait que le refus allait à l'encontre de l'intérêt public.
[40]Je ne suis donc pas convaincu que le commissaire ait commis une erreur en concluant que Torpharm n'avait pas établi l'abus allégué à cause de circonstances autres que celles qui sont énoncées aux alinéas 65(2)c) et d). Une perte de possibilité pour Torpharm de fabri-quer le produit au Canada plutôt que de l'acquérir aux fins de la fabrication sur des marchés étrangers, ou une perte de redevances possibles pour Merck si aucune licence n'était accordée, ne peuvent pas en tant que telles constituer un abus des droits exclusifs de Merck.
Conclusion
[41]Étant donné que j'ai conclu, comme je l'ai dit dans ces motifs, que le commissaire aux brevets a commis une erreur dans sa décision, qui est fondée sur des conclusions concernant le droit ou son application à l'égard des présumés abus commis en vertu des alinéas 65(2)c) et d) de la Loi sur les brevets, une ordonnance sera rendue en vue d'annuler la décision du 28 septembre 1999.
[42]L'appel est accueilli. La décision contestée est annulée. L'affaire est renvoyée au commissaire pour qu'il la réexamine compte tenu du fait que la requête de Torpharm justifie qu'il soit conclu à titre préliminaire qu'une preuve permettant d'accorder un recours a été présentée et que la requête doit être examinée conformé-ment au paragraphe 68(2) et aux dispositions connexes de la Loi. Un jugement distinct en ce sens est maintenant rendu. Ce jugement prévoit que l'appelante doit signifier une copie de ces motifs et du jugement connexe à Merck & Co. Inc., qui n'a pas comparu comme partie devant le commissaire ou dans la présente instance.