A-108-03
2003 CAF 488
Merck & Co., Inc., Merck Frosst Canada & Co., Syngenta Limited, AstraZeneca UK Limited et AstraZeneca Canada Inc. (appelantes) (demanderesses)
c.
Apotex Inc. (intimée) (défenderesse)
Répertorié: Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc. (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juge en chef Richard et juges Décary et Létourneau, J.C.A.--Ottawa, 4 et 22 décembre 2003.
Pratique -- Actes de procédure -- Modifications -- Appel d'une décision de la C.F. 1re inst. rejetant un appel d'une ordonnance d'un protonotaire qui autorisait le dépôt d'une nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée dans une action en contrefaçon de brevet -- La défenderesse dit maintenant que des faits nouveaux importants sont apparus par suite de la divulgation de documents par les demanderesses et des interrogatoires préalables -- Elle prétend que le médicament des demanderesses est un composé non divulgué et non revendiqué dans le brevet -- L'affidavit à l'appui souscrit par l'avocat de la défenderesse ne mentionne pas que la défenderesse n'était pas au courant de la différence entre les produits -- Appel accueilli -- Examen et exposé du droit relativement à la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires -- Les modifications s'éloigneraient considérablement de la position qu'a fait valoir jusqu'à présent la défenderesse et commanderaient des preuves d'experts non prévues lors des interrogatoires préalables -- La défenderesse (intimée) n'a pas raison de dire qu'il existe une présomption selon laquelle on a le droit de faire des modifications si la nouvelle cause d'action ou le nouveau moyen de défense peuvent être instruits -- Le critère énoncé par la C.A.F. dans l'arrêt Canderel Ltd. c. Canada a été explicité dans l'arrêt Andersen Consulting c. Canada -- Ce jugement ne veut toutefois pas dire que les procédures de rétractation d'aveux doivent être à tel point flexibles que presque toutes les rétractations seront autorisées -- Le fardeau qui incombe à la partie qui sollicite les modifications est plus lourd lorsque celles-ci visent la rétractation d'aveux importants -- Il ne faut toutefois pas généraliser des prononcés judiciaires faits dans des contextes précis -- Il faut faire preuve d'équité et de sens commun pour que justice soit faite -- Les arrêts de la C.A.F. Visx Inc. c. Nidek Co. et Bande Enoch des Indiens de Stony Plain c. Canada sont expliqués -- Le défaut de la part de la partie adverse d'alléguer un préjudice n'est pas déterminant pour le litige -- L'intérêt de la justice pourrait militer contre le fait d'autoriser une modification même lorsqu'aucun préjudice n'est allégué -- Analyse des lacunes de l'affidavit de l'avocat -- La Cour n'aurait pas autorisé les modifications même si on avait démontré l'existence d'une question pouvant être instruite -- Ces modifications constituent un changement radical par rapport à la position tenue par la défenderesse au cours de la dernière décennie de procédures -- Elles désavouent des aveux faits dans des actes de procédure et au cours des interrogatoires préalables -- Elles mettent en cause le processus par lequel la défenderesse a obtenu l'avis de conformité -- Elles remettent en question l'interprétation du brevet après de longues procédures et la fin des interrogatoires préalables -- Elles rendraient le procès plus long et plus complexe -- L'affidavit est dénué de crédibilité et de valeur -- L'avocat n'était pas bien placé pour faire des déclarations scientifiques au sujet du brevet et sur ce que la défenderesse savait avant qu'il n'ait commencé à travailler sur le dossier -- La Cour est préoccupée par l'absence d'un souscripteur d'affidavit qualifié qui pourrait attester de ce que la défenderesse savait et qui pourrait expliquer pourquoi le brevet devrait maintenant être interprété de la façon maintenant proposée par la défenderesse -- Une inférence défavorable est tirée -- Il ne s'agit pas d'un cas de négligence d'un avocat, et même si c'était le cas, les tribunaux ne peuvent plus se permettre de témoigner la même indulgence que celle possible à une époque moins fébrile -- Il s'agissait d'une tentative de dévier une procédure judiciaire en ajoutant un moyen de défense qui ne faisait pas apparaître les véritables questions en litige.
Juges et tribunaux -- Protonotaires -- Norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires -- Le critère établi par la C.A.F. dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. est légèrement reformulé -- L'utilisation du terme «déterminant» dans l'arrêt Aqua-Gem est importante: le législateur n'avait pas l'intention que les procédures devant les protonotaires ne soient qu'une «étape» avant d'arriver au juge des requêtes -- La Cour doit cependant se garder de s'abstenir de trancher de novo une question déterminante en raison de la tendance naturelle à s'en remettre aux protonotaires pour les questions de procédure -- Les modifications qui ajoutent un nouveau moyen de défense sont déterminantes pour l'issue de l'affaire et le juge de la C.F. 1re inst. a commis une erreur en concluant que la révision de novo était inappropriée -- La règle énoncée dans l'arrêt Bande de Sawridge selon laquelle la Cour ne devrait intervenir dans les décisions en matière de gestion de l'instance que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire a manifestement été mal exercé ne s'applique pas lorsque le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de novo ou lorsqu'une ordonnance porte sur une nouvelle question sur laquelle le protonotaire responsable de la gestion de l'instance n'avait pas de connaissances particulières -- Ces fonctionnaires sont souvent appelés à statuer sur des requêtes qui excèdent leur expertise acquise dans une affaire particulière.
Brevets -- Pratique -- Appel d'une décision de la C.F. 1re inst. confirmant une ordonnance d'un protonotaire qui autorisait, dans une action en contrefaçon de brevet au sujet d'un médicament, la défenderesse à déposer une défense et demande reconventionnelle modifiée -- Le moyen de défense était que le médicament vendu par la défenderesse provenait d'un stock acquis avant la délivrance du brevet -- La défenderesse a admis qu'il y aurait eu, sans cela, contrefaçon -- La défenderesse a cherché à faire les modifications en disant que des renseignements nouveaux sont apparus par suite de la divulgation de documents par les demanderesses et des interrogatoires préalables -- Elle affirme maintenant que le composé n'est pas celui qui est divulgué et revendiqué dans le brevet -- Examen et exposé du droit relativement à la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires -- Les modifications proposées s'éloignent considérablement de la position antérieure de la défenderesse -- L'interprétation du brevet et la composition chimique du médicament n'ont jamais été contestées jusqu'à présent -- Le nouveau moyen de défense touche le coeur de la revendication du brevet -- Examen et exposé du droit en matière de modifications d'actes de procédures -- L'affidavit fourni à l'appui souscrit par un avocat tentait d'expliquer la composition chimique du brevet, sujet hors du domaine d'expertise de l'avocat -- Les modifications mettraient en cause l'intégrité du processus par lequel la défenderesse a obtenu son AC, processus qui a nécessité une démonstration de la bioéquivalence -- Elles rendraient le procès plus long et plus complexe -- L'affidavit est dénué de crédibilité et de valeur -- La Cour a tiré une inférence défavorable de l'omission par la défenderesse de présenter un souscripteur d'affidavit qui pourrait attester de ce que savait la défenderesse et expliquer pourquoi le brevet devrait être interprété de la façon préconisée par la défenderesse.
Il s'agit d'un appel d'une décision par laquelle le juge de la Section de première instance a rejeté l'appel d'une ordonnance d'un protonotaire qui autorisait Apotex, défenderesse et intimée en l'espèce, à déposer encore une nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée. Les appelantes n'ont contesté que les modifications ayant trait au composé chimique lisinopril dihydrate.
Dans la présente procédure en contrefaçon introduite par Merck, Apotex n'a pas nié que son apo-lisinopril est bioéquivalent au lisinopril, protégé par un brevet. Son moyen de défense était que le composé vendu sous le nom d'apo-lisinopril provenait d'un stock de lisinopril acquis par Apotex avant la délivrance du brevet de Merck ou par l'entremise d'un tiers autorisé à le vendre en vertu d'une licence obligatoire. Apotex a reconnu que ses ventes d'apo-lisinopril contreferaient le brevet de Merck si ce n'était de l'article 56 de la Loi sur les brevets.
En 1993, Apotex a envoyé à Zeneca Pharma Inc. (ancienne propriétaire du brevet) un avis d'allégation à l'égard des comprimés de lisinopril. Apotex a allégué qu'aucune revendication visant le médicament en soi et aucune revendication concernant son utilisation ne seraient violées pour le motif qu'elle détenait un stock de lisinopril acquis avant la délivrance du brevet `350 et qu'elle avait l'intention de vendre des comprimés fabriqués à partir de son stock. Zeneca a ensuite cherché à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC. Le juge a noté que les avocats ont convenu que la quantité de lisinopril acquise par Apotex ne durerait même pas la moitié du reste de la période de validité du brevet 350, qui expirera en 2007. Le juge a rendu une ordonnance d'interdiction, mais cette ordonnance a été annulée par la Cour d'appel fédérale qui a estimé que même si le stock acquis avant la délivrance du brevet pouvait s'épuiser pendant la durée du brevet, il fallait présumer que l'article 56 serait respecté, donc que seul le stock acquis avant la délivrance du brevet serait vendu. On ne devrait pas refuser de délivrer un AC, et empêcher ainsi la vente d'un médicament qui ne constitue pas par ailleurs une contrefaçon, pour le motif qu'un droit pourrait, dans l'avenir, être violé.
Merck a ensuite intenté une action en contrefaçon de brevet contre Apotex. Sa déclaration a été modifiée quatre fois, mais aucune des modifications n'avait trait aux allégations qu'elle a fait valoir dans le présent appel.
La défenderesse a plaidé avoir acheté, à la fin 1989 et au début 1990, à Delmar Chemicals Inc. du lisinopril en vrac qui avait été fabriqué avant 1990 (avant la délivrance du brevet 350) et avoir ensuite acheté au même fournisseur un autre lot, également fabriqué avant la délivrance du brevet. Apotex a fait valoir que, puisque Delmar avait un droit de vente en vertu de l'article 56, la défenderesse avait le droit, en tant d'acquéreur, de vendre ce lisinopril supplémentaire antérieur au brevet. La défenderesse a plaidé que comme les demanderesses savaient que le lisinopril antérieur au brevet n'emportait pas contrefaçon, l'action était frivole et vexatoire et constituait un abus des procédures de la Cour. Apotex a de plus fait valoir que Delmar était un porteur de licence autorisé en vertu du brevet 350 et que Delmar avait fabriqué le lisinopril en vrac avant l'extinction de la licence obligatoire par la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets.
Apotex souhaitait modifier à nouveau sa défense et demande reconventionnelle parce que des faits nouveaux importants étaient apparus par suite de la production de documents et des interrogatoires préalables. Apotex a découvert que le composé actif du produit de Merck, bien que couramment désigné sous le nom de lisinopril, était en réalité du lisinopril dihydrate, composé ni divulgué ni revendiqué dans le brevet 350. L'affidavit à l'appui de la requête de la défenderesse, souscrit par un de ses avocats, Ivor Hughes (qui conseillait l'avocat principal, M. Radomski, sur les questions techniques et scientifiques) n'indique cependant nulle part qu'Apotex n'était pas elle-même au courant de la différence qu'elle fait maintenant valoir entre le lisinopril et le lisinopril dihydrate. À son interrogatoire, M. Hughes a admis que M. Radomski et lui n'ont pris que les documents qu'ils ont estimé susceptibles d'étayer leur position et a reconnu qu'il était au courant de la confusion autour du lisinopril et du dihydrate. Une monographie du produit préparée par Apotex en 1996 mentionne que le lisinopril était le nom courant et dihydrate, le nom chimique.
Arrêt (le juge en chef Richard étant dissident): l'appel est accueilli.
Le juge Décary, J.C.A. (le juge Létourneau, J.C.A., souscrivant à ces motifs): Le juge MacGuigan, J.C.A. a énoncé la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd.: on ne doit pas toucher à l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire à moins qu'elle ne soit manifestement erronée parce qu'elle est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits ou qu'elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, auquel cas le juge saisi du recours doit exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début. Le juge a ajouté que la question de savoir si une question est déterminante pour l'issue de l'affaire devait être tranchée sans égard à la réponse que le protonotaire y a donnée. L'utilisation des mots «porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal» plutôt que «a une influence déterminante sur l'issue du principal» met l'accent sur le sujet des ordonnances, et non sur leur effet. Pour éviter la confusion qui découle parfois du choix des termes utilisés par le juge MacGuigan, le critère devrait être légèrement reformulé comme suit: on ne doit pas toucher à l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire à moins a) qu'elle ne porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal ou b) qu'elle ne soit manifestement erronée parce qu'elle est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.
En ce qui concerne le critère devant être appliqué par la Cour à l'égard d'une décision d'un juge de première instance, la Cour suprême a statué récemment, dans l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., que la Cour ne peut intervenir que si le juge «n'avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l'existence d'un tel motif, si la décision du juge [. . .] était mal fondée ou manifestement erronée».
Le premier argument soulevé par les appelantes était que le juge a commis une erreur en concluant que les modifications proposées n'étaient pas déterminantes pour l'issue de l'affaire et, par conséquent, en n'exerçant pas son pouvoir discrétionnaire de novo. L'utilisation du terme «déterminant» dans l'arrêt Aqua-Gem était importante. Le législateur ne souhaitait pas que la procédure devant un protonotaire ne soit rien de plus qu'une «étape» sur le chemin de la procédure qui mène au juge des requêtes. On ne devrait pas conclure trop rapidement qu'une question, si importante soit-elle, est déterminante. La Cour devrait cependant se garder de s'abstenir de trancher de novo une question déterminante parce qu'on a naturellement tendance à s'en remettre aux protonotaires pour les questions de procédure. La question de savoir si une modification est courante ou déterminante doit être tranchée au cas par cas. Les modifications qui ajoutent de nouvelles demandes ou causes d'action ont été jugées déterminantes aux fins de l'application du critère énoncé dans l'arrêt Aqua-Gem. Apotex a plaidé que les modifications qu'elle propose n'introduiraient pas un nouveau moyen de défense, mais ne feraient qu'ajouter des faits subsidiaires à l'appui d'un moyen de défense existant fondé sur l'absence de contrefaçon. Les appelantes ont cependant répondu que ces modifications seraient déterminantes puisqu'elles visaient la rétractation d'un aveu et pourraient donc avoir une incidence importante sur l'issue de l'affaire. Ces modifications s'éloigneraient considérablement de la position qu'a fait valoir jusqu'à présent Apotex dans ses actes de procédures. L'interprétation du brevet et la composition chimique du lisiniprol n'ont jamais été contestées. Les modifications proposées ajouteraient donc un moyen de défense entièrement nouveau qui toucherait le coeur de la revendication du brevet 350 et commanderait des preuves d'experts qui n'ont pas été prévues lors des interrogatoires préalables. Puisqu'elles étaient déterminantes pour l'issue de l'affaire, le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la révision de novo de la décision du protonotaire n'était pas appropriée. La Cour doit par conséquent exercer le pouvoir discrétionnaire de novo que le juge de première instance n'a pas exercé.
La Cour n'est pas d'accord avec l'intimée qui a prétendu qu'il existe une présomption selon laquelle une partie a le droit de faire des modifications si la nouvelle cause d'action ou le nouveau moyen de défense peuvent être instruits. Dans l'arrêt Canderel Ltd. c. Canada, la Cour a dit que la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses pourvu que cette autorisation ne cause pas d'injustice que des dépens ne pourraient réparer et qu'elle serve les intérêts de la justice. Concernant les modifications visant la rétractation d'aveux, la Cour a explicité le critère de l'arrêt Canderel dans ses motifs de l'arrêt Andersen Consulting c. Canada où elle a dit qu'on devrait faire en sorte que la procédure de rétractation d'aveu ne devienne pas tellement complexe et tellement stricte que les défendeurs ne feront pratiquement plus d'aveux. La Cour ne devrait toutefois pas interpréter cette affirmation comme voulant dire que les procédures doivent être à tel point flexibles que presque toutes les rétractations d'aveux seront autorisées. Le fardeau de la preuve qui incombe à la partie qui sollicite les modifications est plus lourd quand les modifications sollicitées visent la rétractation d'aveux importants et auraient pour conséquence un changement radical de la nature des questions en litige. Cela dit, les circonstances entourant chaque modification proposée sont différentes et on ne devrait pas généraliser des prononcés judiciaires faits dans des contextes précis. Autrement dit, il s'agit de tenir compte de la simple équité et du sens commun pour que justice soit faite.
Les arguments invoqués par l'intimée reflétaient une tendance qui semble prendre de l'ampleur, à savoir que l'ajout d'un nouveau moyen de défense de quelque façon que ce soit est permis s'il est raisonnable et, dans un tel cas, il incombe à la partie qui s'oppose à la modification de démontrer que celle-ci ne devrait pas être autorisée. On a allégué que cette tendance trouvait appui dans les arrêts de la Cour Visx Inc. c. Nidek Co. et Bande Enoch des Indiens de Stony Plain c. Canada. Ces arrêts ont été mal interprétés et interprétés hors contexte. Il est clair que si une modification proposée peut être radiée en vertu de l'article 221 des Règles, elle ne devrait pas être autorisée. Et, bien sûr, si la nouvelle cause d'action ou le nouveau moyen de défense proposé ne peut être instruit, il n'y a aucune raison d'autoriser la modification. En l'absence de substance, le juge n'a même pas à appliquer le critère énoncé dans les arrêts Canderel ou Andersen.
On a aussi fait valoir que la Cour devrait appliquer la règle énoncée dans l'arrêt Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346, où le juge Rothstein a dit que la Cour ne devrait intervenir dans les décisions relatives à la gestion de l'instance que «dans les cas où un pouvoir discrétionnaire a manifestement été mal exercé». Cette règle ne s'applique bien sûr pas lorsque le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de novo. Dans l'arrêt Apotex, le Strayer a d'ailleurs refusé de restreindre le droit d'une partie de recevoir une réponse à l'interrogatoire préalable pour toute question appropriée posée, et ce pour accélérer le processus et améliorer le système de gestion de l'instance. Encore une fois, la règle de l'arrêt Sawridge ne s'applique pas lorsque l'ordonnance porte sur une nouvelle question sur laquelle le protonotaire responsable de la gestion de l'instance n'avait pas de connaissances particulières. Les protonotaires et les juges responsables de la gestion de l'instance sont souvent appelés à statuer sur des requêtes portant sur des questions qui excèdent leur expertise acquise en matière de gestion de l'instance dans une affaire particulière.
Le défaut de la part de la partie adverse d'alléguer un préjudice n'est pas non plus déterminant. Des facteurs tels que l'intérêt de la justice pourraient militer contre le fait d'autoriser une modification même lorsqu'un préjudice n'est pas expressément allégué. De plus, des préjudices peuvent être évidents au vu du dossier.
En ce qui concerne l'existence d'une question pouvant être instruite, il n'était pas certain que la Cour avait été saisie en bonne et due forme des faits allégués et qu'elle pouvait les considérer comme étant avérés pour les besoins de la requête en modification. L'affidavit de l'avocat faisait état d'une découverte récente, non d'Apotex elle-même, mais de l'avocat, et présentait également une explication scientifique liée à la nature chimique du brevet, sujet sur lequel l'avocat n'avait pas de connaissance personnelle et ne possédait pas d'expertise. Il s'agissait plus d'arguments de faits et de droit que d'allégations de faits. Apotex n'avait même pas rempli la condition préliminaire peu sévère de démonter que le nouveau moyen de défense était raisonnable.
Mais même si on avait démontré l'existence d'une question pouvant être instruite, les modifications auraient été refusées. Elles constituaient un changement radical par rapport à la position tenue par Apotex au cours de la dernière décennie de procédures devant la Cour. De plus, elles désavouaient des aveux faits dans des actes de procédure ainsi qu'à l'interrogatoire préalable. Elles mettaient aussi en cause l'intégrité du processus d'obtention de l'AC par Apotex, processus qui avait nécessité la démonstration de la «bioéquivalence». Les modifications remettraient également pour la première fois en question l'interprétation du brevet six ans après le début des procédures et après la fin des interrogatoires préalables. Cela rendrait fort probablement le procès plus long et plus complexe.
L'affidavit de l'avocat était dénué de crédibilité et de valeur. La Cour n'accorde que peu de poids aux affidavits portant sur des questions de fond en litige souscrits par des avocats. En l'espèce, l'avocat n'était pas un expert bien placé pour faire des déclarations scientifiques au sujet du brevet. Il ne savait pas ce qu'Apotex savait les années où il ne travaillait pas encore sur le dossier. Il est préoccupant de constater l'absence d'un souscripteur d'affidavit qui pourrait attester de ce que savait véritablement Apotex et qui pourrait expliquer pourquoi le brevet 350 devrait être interprété de la façon proposée par Apotex. On devrait tirer une inférence défavorable de cette omission. Un représentant qualifié d'Apotex aurait reconnu, à l'interrogatoire, qu'Apotex savait depuis au moins 1996 ce qu'elle dit maintenant n'avoir appris qu'en 2001 lors de l'interrogatoire préalable.
Une question d'intérêt public était également en cause dans la présente affaire. Apotex avait obtenu un AC sur le fondement de la bioéquivalence, et avait ainsi dit tant au public qu'au corps médical qu'il s'agissait de lisinopril désigné sous un autre nom. La Cour aurait besoin d'une meilleure explication que celle fournie par l'intimée pour permettre cette réécriture de l'histoire.
Dans les circonstances, les intérêts de la justice favorisaient le rejet de ces modifications qui soulèveraient un moyen de défense entièrement nouveau. Il ne s'agissait pas d'un cas de conduite négligente par l'avocat, mais même si c'était le cas, les tribunaux ne peuvent plus se permettre de témoigner la même indulgence à l'égard des procès que celle possible à une époque moins fébrile. Il s'agissait plutôt d'une tentative visant à faire dévier une procédure judiciaire en cherchant à ajouter un moyen de défense qui ne faisait pas apparaître les véritables questions en litige.
Le juge en chef Richard (dissident): Il y a accord avec la partie des motifs majoritaires concernant le critère énoncé dans l'arrêt Aqua-Gem et les affidavits portant sur des questions techniques souscrits par des avocats.
Il y a cependant désaccord avec le dispositif du présent appel. Il ne convenait pas de dire que les modifications proposées n'établiraient pas un moyen de défense susceptible d'être instruit. C'était en effet la substance des modifications plutôt que le fait que l'affidavit a été souscrit par un avocat qui était important. De plus, tant la jurisprudence que les Règles de la Cour établissent le principe que les conditions pour autoriser les modifications, notamment la rétractation d'aveux, sont larges. Selon l'article 3, les Règles doivent être interprétées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.
Les appelantes n'ont pas allégué qu'elles subiraient un préjudice si les modifications étaient autorisées. Elles n'ont pas non plus cherché à être indemnisées par l'octroi de dépens. Il est de l'intérêt de la justice d'autoriser ces modifications en permettant de juger cette procédure sur le fond, et le présent appel devrait être rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.
lois et règlements
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 56 (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 194, 199).
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 5(1) (mod. par DORS/99-379, art. 2). |
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 419, 420. |
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 3, 75, 82, 221. |
jurisprudence
décisions appliquées:
Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450; (2003), 224 D.L.R. (4th) 577; 30 C.P.C. (5th) 1; Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3; [1993] 2 C.T.C. 213; (1993), 93 DTC 5357; 157 N.R. 380 (C.A.); Ketteman v. Hansel Properties Ltd, [1988] 1 All ER 38 (H.L.); Andersen Consulting c. Canada, [1998] 1 C.F. 605; (1997), 220 N.R. 35 (C.A.); Scottish & York Insurance Co. c. Canada (1999), 239 N.R. 131 (C.A.F.); Blatch v. Archer (1774), 1 Cowp. 63; 98 E.R. 969; R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751; (2000), 185 D.L.R. (4th) 626; 144 C.C.C. (3d) 97; 33 C.R. (5th) 1; 254 N.R. 1; Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1996] 3 C.F. 40; (1996), 65 C.P.R. (3d) 167; 191 N.R. 244 (C.A.).
distinction faite d'avec:
Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346; (2001), 283 N.R. 107 (C.A.).
décisions examinées:
Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.); Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2306; (1993), 93 DTC 298 (C.C.I.); Visx Inc. c. Nidek Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19; 209 N.R. 342 (C.A.F.); Bande Enoch des Indiens de Stony Plain c. Canada, [1994] 3 C.N.L.R. 41; (1993), 164 N.R. 301 (C.A.F.); Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438; [2002] A.C.F. no 1725 (C.A.) (QL).
décisions citées:
Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 190; 96 F.T.R. 189 (C.F. 1re inst.); inf. par (1996), 140 D.L.R. (4th) 574; 69 C.P.R. (3d) 451; 206 N.R. 1 (C.A.F.); Evans v. Bartham, [1937] 2 All E.R. 646 (H.L.); Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436; 43 C.P.C. 178 (C.A.); Trevor Nicholas Construction Co. c. Canada (Ministre des Travaux publics), 2003 CFPI 255; [2003] A.C.F. no 357 (1re inst.) (QL); conf. par 2003 CAF 428; [2003] A.C.F. no 1706 (C.A.) (QL); Scannar Industries Inc. (syndic) c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 215; (1993), 69 F.T.R. 319 (C.F. 1re inst.); conf. par [1994] 2 C.T.C. 185; (1994), 94 DTC 6505; 172 N.R. 313 (C.A.F.); Bande indienne de Louis Bull c. Canada, 2003 CFPI 732; [2003] A.C.F. no 961 (1re inst.) (QL); Glisic c. Canada, [1988] 1 C.F. 731; (1987), 80 N.R. 39 (C.A.); Bande indienne de Montana c. Canada, 2002 CAF 331; [2002] A.C.F. no 1257 (C.A.) (QL); International Business Machines Corp. c. Printech Ribbons Inc., [1994] 1 C.F. 692; (1993), 52 C.P.R. (3d) 78; 69 F.T.R. 197 (1re inst.); Charette c. Delta Controls, 2003 CAF 425; [2003] A.C.F. no 1696 (C.A.) (QL); Camoplast Inc. c. Soucy International Inc., 2003 CAF 211; [2003] A.C.F. no 743 (C.A.) (QL).
doctrine
Sgayias, David et al., Federal Court Practice 2003. Toronto: Carswell, 2002.
APPEL de la décision du juge Noël ((2003), 24 C.P.R. (4th) 240) confirmant la décision d'un protonotaire d'autoriser la modification d'une défense et demande reconventionnelle ((2002), 19 C.P.R. (4th) 354) dans une procédure en contrefaçon de brevet. Appel accueilli.
ont comparu:
Gunars A. Gaikis et Nancy P. Pei pour l'appelante (demanderesse) AstraZeneca Canada Inc.
Judith M. Robinson et Frédérique Amrouni pour l'appelante (demanderesse) Merck & Co., Inc.
Personne n'a comparu pour l'appelante (demanderesse) Syngenta Limited.
David M. Scrimger pour l'intimée (défenderesse).
avocats inscrits au dossier:
Smart & Biggar, Toronto, pour l'appelante (demanderesse) AstraZeneca Canada Inc.
Ogilvy Renault, Montréal, pour l'appelante (demanderesse) Merck & Co., Inc.
Goodmans, LLP, Toronto, pour l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Décary, J.C.A.: Le litige porte sur la décision (répertoriée sous (2003), 24 C.P.R. (4th) 240 (C.F. 1re inst.)) par laquelle le juge de première instance a rejeté l'appel d'une ordonnance d'un protonotaire (répertoriée sous (2002), 19 C.P.R. (4th) 354 (C.F. 1re inst.)) qui autorisait l'intimée Apotex Inc. (Apotex) à déposer une nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée. Dans le présent appel, les appelantes ne contestent que les modifications que le protonotaire a décrites comme formant «le premier groupe de modifications», c'est-à-dire celles qui ont trait au composé chimique connu sous le nom de lisinopril dihydrate.
Faits pertinents et procédure
[2]Apotex n'a jamais mis en doute, ni avant ni depuis l'introduction de la présente procédure en contrefaçon par Merck, la bioéquivalence du composé qu'elle vend sous le nom «apo-lisinopril» et du composé désigné sous le nom lisinopril, protégé par le brevet 1275350 (le brevet 350). Le moyen de défense d'Apotex n'est pas que l'apo-lisinopril n'est pas le lisinopril désigné sous un autre nom, mais que le composé vendu sous le nom d'«apo-lisinopril» provient d'un stock de lisinopril acquis par Apotex avant la délivrance du brevet 350 ou par l'entremise d'un tiers autorisé à le vendre en vertu d'une licence obligatoire. Les parties n'ont jamais eu de litige quant à l'interprétation du brevet 350 et Apotex a toujours reconnu que ses ventes d'apo-lisinopril contreferaient le brevet de Merck si ce n'était de l'article 56 [mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 194, 199] de la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4].
[3]La présente procédure tire son origine en 1993. Dans une lettre datée du 29 avril 1993, Apotex a envoyé à ICI Pharma Canada, ancienne propriétaire du brevet--elle s'appelle maintenant Zeneca Pharma Inc. (Zeneca)--, un avis d'allégation (AA) à l'égard des comprimés de lisinopril. Dans son avis, Apotex a allégué qu'aucune revendication visant le médicament en soi et aucune revendication concernant son utilisation ne seraient violées pour le motif qu'Apotex [traduction] «détenait des stocks de lisinopril acquis avant la délivrance du brevet 350 [. . .] et qu'elle avait l'intention de vendre, dès la délivrance de son avis de conformité (AC), des comprimés fabriqués à partir de son stock. La Loi sur les brevets prévoit que l'utilisation d'un tel inventaire ne constitue pas de la contrefaçon». (Ces faits sont exposés dans la décision Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 190 (C.F. 1re inst.), décision infirmée dans (1996), 140 D.L.R. (4th) 574 (C.A.F.). Le juge de première instance a noté, à la page 194, que «[l]'allégation concernant le brevet 350 repose uniquement sur le fait qu'Apotex dispose d'un stock de lisinopril en vrac, acquis avant la délivrance du brevet 350, et sur son intention de vendre ces comprimés fabriqués à même ses stocks dès la délivrance de l'avis de conformité».)
[4]Le 15 juin 1993, Zeneca a commencé une procédure visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le ministre) de délivrer un AC. Le juge de première instance a noté, à la page 195, que «[l]'avocat d'Apotex [a] reconn[u] qu'il y aurait contrefaçon des deux brevets si ce n'était de la protection assurée par l'article 56 de la Loi sur les brevets». Dans ses motifs, le juge de première instance a également mentionné, à la page 196, que l'affidavit de M. Sherman, président et président-directeur général d'Apotex, «établit clairement la date à laquelle le composé de lisinopril a été acquis par la société, ainsi que la quantité ainsi acquise, factures à l'appui». Les deux avocats ont également convenu qu'Apotex «a[vait], à sa disposition, une quantité de produit qui ne lui durera[it] même pas la moitié du reste de la période de validité du brevet 350» (à la page 197). Le brevet 350 expire le 16 octobre 2007.
[5]Le juge de première instance a ensuite interdit au ministre de délivrer un AC à Apotex pour le motif qu'il était évident que le stock dont disposait Apotex ne durerait qu'une partie de la période de validité du brevet. La Cour d'appel fédérale, à la page 576 a accueilli l'appel et a donné les motifs suivants:
[. . .] nous ne pouvons pas refuser à une partie qui dépose un avis d'allégations fondé sur la non-contrefaçon en vertu de l'article 56 les avantages du Règlement pour la simple raison que les stocks acquis avant la délivrance du brevet peuvent s'épuiser pendant la durée du brevet. Il faut présumer que cette partie respectera les limites des droits que lui confère l'article 56 de vendre uniquement des stocks acquis avant la délivrance du brevet. Nous ne voyons pas pourquoi le Règlement, tel qu'il est actuellement conçu, devrait être utilisé, par le refus d'accorder un avis de conformité, pour empêcher une partie de vendre n'importe quelle quantité d'un médicament qui, par ailleurs, ne constitue pas une contrefaçon simplement parce qu'il existe une possibilité théorique que cette partie puisse se servir de cet avis de conformité pour vendre une substance constituant une contrefaçon à un moment donné dans l'avenir.
[6]Il est bien établi, et Apotex l'a, de fait, admis dans sa défense, que [traduction] «l'apo-lisinopril est une marque nominale d'Apotex pour une composition pharmaceutique servant à réduire l'hypertension, laquelle composition renferme une quantité efficace de lisinopril et constitue un véhicule acceptable en pharmacie» (D.A., aux pages 146 et 70).
[7]Merck a fini par intenter une action en contrefaçon de brevet contre Apotex. Elle a déposé sa déclaration le 19 décembre 1996. Même si Merck a, depuis cette date, modifié quatre fois sa déclaration, aucune des modifications n'avait trait aux allégations qu'elle fait valoir dans le présent appel. Dans les présents motifs, je renvoie aux allégations figurant à la dernière déclaration modifiée, c.-à-d. celle qui a été déposée le 22 août 2000 (D.A., à la page 143). J'ai indiqué entre parenthèses les paragraphes correspondants de la déclaration initiale.
[8]Merck a allégué ce qui suit dans sa dernière déclaration modifiée (D.A., aux pages 145 et 146):
[traduction]
13. Le lisinopril est une N-a-[(1(S)-1-carboxy- 3-phénylpropyl]-L-lysyl-L-proline dihydrate. [anciennement 12]
14. Le lisinopril est le composé décrit et revendiqué aux revendications 1 et 2 du brevet 350. [anciennement 13]
LES ACTIVITÉS DE LA DÉFENDERESSE
15. Apotex a obtenu, le 18 octobre 1996, un avis de conformité pour l'APO-LISINOPRIL. [anciennement 14]
16. APO-LISINOPRIL est une marque nominale d'Apotex qui vise une composition pharmaceutique servant à réduire l'hypertension, laquelle composition renferme une quantité efficace de lisinopril et constitue un véhicule acceptable en pharmacie. [anciennement 15]
17. Apotex a fabriqué ou fait fabriquer, au Canada ou à l'étranger, a importé ou fait importer, au Canada, et a utilisé le lisinopril et l'APO-LISINOPRIL au Canada. [anciennement 16]
18. Apotex a mis en vente l'APO-LISINOPRIL au Canada. [anciennement 17]
19. En début janvier 1997, Apotex a commencé à vendre le lisinopril et l'APO-LISINOPRIL au Canada. [modification ajoutée avant 2002, modifie l'ancienne allégation 19]
20. Apotex continue d'offrir en vente et vend le lisinopril et l'APO-LISINOPRIL au Canada pour répondre à la demande pour ce produit. [modification ajoutée avant 2002, modifie l'ancienne allégation 20]
21. Les activités susmentionnées d'Apotex ont été menées sans licence ou sans le consentement d'une ou de toutes les demanderesses. [anciennement 21]
22. En raison des activités susmentionnées, Apotex viole et continuera à violer les revendications 1, 2 et 5 du brevet 350. [anciennement 22]
[9]Dans sa défense et demande reconventionnelle déposée le 31 juillet 1997, Apotex a admis toutes les allégations susmentionnées à l'exception des paragraphes 17, 20, 21 et 22, et a maintenu cette position jusqu'au dépôt, le 17 novembre 2000, de sa défense et demande reconventionnelle modifiée à nouveau. Le moyen de défense qu'Apotex a fait valoir relativement à la violation alléguée était, et a toujours été, celui qui se trouve au paragraphe 4 de sa défense en date du 17 novembre 2000 (D.A., aux pages 150 et 161):
[traduction] Dans la mesure où les revendications 1, 2 ou 5 du [. . .] (brevet 350) sont valides, allégation qui n'est pas admise mais expressément niée, [Apotex] invoque l'article 56 de la Loi sur les brevets, tel qu'il était libellé à toutes les périodes pertinentes.
Apotex a ajouté ce qui suit dans sa dernière défense et demande reconventionnelle (D.A., aux pages 161 à 163):
[traduction]
5. L'article 56 prévoit que quiconque, avant la délivrance d'un brevet, achète, construit ou acquiert une invention à l'égard de laquelle un brevet est par la suite obtenu, peut utiliser et vendre l'article, la machine, l'objet manufacturé ou la composition de matières brevetés ainsi achetés, exécutés ou acquis avant cette date sans encourir de responsabilité envers le breveté ou ses représentants légaux.
6. Le brevet 350 a été délivré le 16 octobre 1990 entre autres à l'égard de l'invention du composé chimique connu sous le nom de lisinopril.
7. Le composé chimique connu sous le nom de lisinopril est visé par les revendications 1, 2 et 5 du brevet 350.
8. En décembre 1989 et en janvier 1990, la défenderesse a acheté à Delmar Chemicals Inc. (Delmar) du lisinopril en vrac que Delmar avait fabriqué avant 1990, et donc avant la délivrance du brevet 350 (lisinopril antérieur au brevet).
9. La défenderesse a acheté à Delmar le lisinopril antérieur au brevet, lequel lui a été livré en décembre 1989 et en janvier 1990, par conséquent avant la délivrance du brevet 350.
10. Vu ce qui précède, l'article 56 s'applique à l'acquisition du lisinopril antérieur au brevet par la défenderesse, de sorte que cette dernière peut utiliser et vendre ce produit sans encourir de responsabilité envers les demanderesses.
11. De plus, la défenderesse a acheté à Delmar un autre lot de lisinopril fabriqué par Delmar avant la délivrance du brevet 350 (lisinopril supplémentaire antérieur au brevet). En vertu de l'article 56, Delmar était libre de vendre, en tout temps après sa fabrication, le lisinopril supplémentaire antérieur au brevet sans encourir de responsabilité envers les demanderesses.
12. Comme Delmar pouvait utiliser et vendre le lisinopril supplémentaire antérieur au brevet sans encourir de responsabilité envers les demanderesses, la défenderesse pouvait également, en tant d'acquéreur, utiliser et vendre le lisinopril supplémentaire antérieur au brevet sans encourir de responsabilité envers les demanderesses.
13. La défenderesse déclare que les demanderesses savent qu'elle a acquis le lisinopril antérieur au brevet sans qu'il y ait contrefaçon et qu'elle ne contrefait aucune des revendications du brevet 350 en mettant en vente et en vendant ce produit, ou, subsidiairement, qu'elle est exonérée de toute responsabilité quant à la contrefaçon de telles revendications. Par conséquent, la présente action est frivole et vexatoire et constitue un abus des procédures de la Cour.
14. De plus, selon la licence obligatoire no 52324-39(4)-1000 (la licence obligatoire) délivrée par le commissaire aux brevets conformément au paragraphe 39(4) de la Loi sur les brevets tel qu'il était libellé à toutes les périodes pertinentes, Delmar était un porteur de licence autorisé en vertu du brevet 350. La licence obligatoire permettait entre autres à Delmar de fabriquer, d'utiliser ou de vendre l'invention divulguée dans le brevet 350 pour des médicaments ou pour la préparation ou la production de médicaments. Plus précisément, la licence obligatoire permettait à Delmar de fabriquer et de vendre en vrac le composé lisinopril.
15. Avant l'extinction de la licence obligatoire en vertu de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets (la LMLB), Delmar a fabriqué et vendu en vrac des lots de lisinopril en vrac conformément aux termes de la licence obligatoire (le lisinopril visé par la licence).
16. La défenderesse a acheté des lots du lisinopril visé par la licence.
17. Selon le paragraphe 12(2) de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, aucune action en contrefaçon de brevet ne peut être intentée relativement à un acte posé avant le jour d'entrée en vigueur de la LMLB en vertu d'une licence obligatoire accordée à partir du 20 décembre 1991. La LMLB est entrée en vigueur le 14 février 1993.
18. En conséquence, comme le lisinopril visé par la licence acquis par Apotex a été fabriqué et vendu en vertu d'une licence obligatoire antérieure au 14 février 1993, la défenderesse peut utiliser et vendre le lisinopril visé par la licence ainsi acquis sans qu'il y ait contrefaçon.
[10]Dans sa réponse et défense reconventionnelle modifiée déposée le 31 mars 2001, Merck a admis les allégations des paragraphes 6 et 7 ainsi que la première phrase du paragraphe 11 de la dernière défense et demande reconventionnelle, et a soit nié les autres allégations soit fait abstraction de celles-ci.
[11]Les interrogatoires préalables ont eu lieu d'août 2001 à mars 2002 (D.A., aux pages 63 et 64) et des témoins experts ont fait des dépositions. M. Radomski, avocat d'Apotex, a alors admis que le lisinopril de sa cliente était visé par les revendications 1, 2 et 5 du brevet 350 et que la seule question à trancher, mis à part celle de l'invalidité, était de savoir si Apotex avait oui ou non acquis le lisinopril conformément à l'article 56 de la Loi (D.A., aux pages 209 et 210).
[12]Le 22 avril 2002, Apotex a déposé la requête contestée en modification de sa défense et demande reconventionnelle (D.A., à la page 58). Elle explique ce qui suit, à la page 64 et suiv.:
[traduction]
31. Apotex cherche maintenant à faire modifier sa défense modifiée pour expliciter et clarifier les allégations existantes relatives aux questions de l'invalidité et de l'absence de contrefaçon dont font état les actes de procédure. Les modifications proposées par Apotex se fondent sur des faits nouveaux importants découlant des documents produits et des interrogatoires préalables conduits [par Merck]. Les modifications proposées sont nécessaires pour garantir la résolution adéquate et réelle de l'ensemble des questions en litige.
[. . .]
33. En particulier, Apotex a compris lors de l'interrogatoire préalable que le composé actif du médicament de Merck, qui est couramment désigné dans l'industrie sous le nom de lisinopril, est en réalité le lisinopril dihydrate, composé non divulgué ou revendiqué dans le brevet 350.
[. . .]
39. Les faits sur lesquels reposent ces groupes de modifications proposées ne sont apparus que récemment par suite de la divulgation [par Merck] de certains documents nouveaux et des récents interrogatoires préalables des représentants [de Merck].
[13]En pratique, [traduction] «les modifications visées par l'appel font essentiellement valoir que le composé lisinopril dihydrate n'est pas couvert par le brevet 350 et que l'utilisation et la vente par Apotex de formulations pharmaceutiques contenant du lisinopril dihydrate ne contrefont donc pas le brevet 350 [. . .]. Ces modifications clarifient également que le composé chimique contenu dans les médicaments de "lisinopril" d'Apotex est en fait le lisinopril dihydrate et non le lisinopril» (mémoire d'Apotex, au paragraphe 6).
[14]La requête en modification est uniquement étayée par l'affidavit d'un avocat d'Apotex, M. Ivor M. Hughes. Celui-ci reconnaît, au paragraphe 1 de son affidavit (D.A., à la page 100) que c'est «en qualité» d'avocat d'Apotex qu'il a eu connaissance de l'affaire pour laquelle il témoigne. Au paragraphe 2 de son affidavit, il déclare qu'en sa qualité d'avocat d'Apotex, il conseille et aide M. Radomski, avocat principal d'Apotex, «sur les questions techniques et scientifiques et les questions de brevets qui découlent de la présente action» (D.A., page 100). Il explique ensuite pourquoi le médicament commercialisé décrit est en fait du lisinopril dihydrate et déclare que, [traduction] «dans l'industrie, le nom courant "lisinopril" vise généralement le dihydrate» (paragraphe 15, page 105). Au paragraphe 19, il dit qu'Apotex affirme que le lisinopril dihydrate n'est pas revendiqué ou divulgué dans le brevet 350 (D.A., page 106), et, au paragraphe 20, qu'Apotex n'est pas d'accord avec les affirmations de Merck, aux paragraphes 13 et 14 de la déclaration, selon lesquelles [traduction] «le lisinopril est [. . .] dihydrate et que le lisinopril est un composé décrit aux revendications 1 et 2 du brevet 350» (D.A., page 106). Les paragraphes 21 et 22 ne font pas état de ce qu'Apotex a appris au cours de l'interrogatoire préalable, mais de ce que «l'avocat d'Apotex» a appris, confirmé ou examiné (D.A., page 107). Nulle part il n'est mentionné qu'Apotex n'était pas elle-même au courant, avant l'interrogatoire préalable, de la différence qu'elle fait maintenant valoir entre le lisinopril et le lisinopril dihydrate.
[15]À son interrogatoire, M. Hughes a admis qu'on lui a demandé de rédiger l'affivadit parce qu'il avait travaillé sur un grand nombre des modifications proposées (D.A., page 242) et que c'est au cours de l'année 1999 qu'il a commencé à travailler sur le dossier (D.A., page 246). Il a déclaré qu'«ils», c'est-à-dire lui-même et M. Radomski, se sont contentés de prendre les documents qu'ils ont estimé susceptibles d'étayer leur position (D.A., page 243). Il a affirmé qu'il n'a pas vraiment dit dans son affidavit que ni lui ni M. Radomski ne connaissaient l'existence du lisinopril dihydrate avant l'interrogatoire préalable de M. Wyvratt (D.A., page 249), et a ajouté qu'il régnait une certaine confusion autour du «lisinopril» et du «dihydrate», et qu'il en avait eu connaissance (D.A., page 250). Il a reconnu qu'une monographie de produit préparée par Apotex en 1996 concernant l'apo-lisinopril mentionne que lisinopril est le nom correct courant et dihydrate, le nom chimique (D.A., pages 253 et 301).
[16]Le 2 mai 2002, le protonotaire Morneau a accueilli la requête en modification. Le juge Noël a confirmé cette décision le 13 février 2003.
La norme de contrôle
[17]Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), la Cour énonce dans les termes suivants la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires (le juge MacGuigan, J.C.A., à la page 463):
Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. Div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:
a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,
b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.
Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début. [Renvoi omis.]
[18]Le juge MacGuigan a ensuite expliqué, aux pages 464 et 465, que la question de savoir si une question est déterminante pour l'issue de l'affaire doit être tranchée sans égard à la réponse que le protonotaire y a donnée:
Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de «l'influence déterminante sur l'issue du principal» à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).
C'est probablement pourquoi, selon moi, il utilise les mots «[l'ordonnance] porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal», plutôt que «[l'ordonnance] a une influence déterminante sur l'issue du principal». L'accent est mis sur le sujet des ordonnances et non sur leur effet. Dans un cas comme celui de l'espèce, la question à se poser est de savoir si les modifications proposées sont en soi déterminantes, qu'elles soient ou non autorisées. Si elles sont déterminantes, le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire de novo.
[19]Afin d'éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu'il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l'occasion pour renverser l'ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d'abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l'issue de l'affaire. Ce n'est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J'énoncerais le critère comme suit: «Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants: a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.»
[20]En ce qui concerne le critère que la Cour doit appliquer à l'égard d'une décision d'un juge, la Cour suprême du Canada a statué, dans l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18, que la Cour d'appel fédérale ne peut modifier la décision d'un juge de première instance que si celui-ci «n'avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l'existence d'un tel motif, si la décision du juge [. . .] était mal fondée ou manifestement erronée».
Les modifications proposées sont-elles déterminantes pour l'issue de l'affaire?
[21]Le premier argument soulevé par les appelantes est que le juge a commis une erreur en concluant que les modifications sollicitées n'étaient pas déterminantes pour l'issue de l'affaire et, par conséquent, en n'exerçant pas son pouvoir discrétionnaire de novo.
[22]Le critère du «caractère déterminant» élaboré dans l'arrêt Aqua-Gem, est strict. L'utilisation du terme «déterminant» est importante. Elle donne effet à l'intention du législateur si bien décrite par le juge en chef Isaac dans ses motifs minoritaires de l'arrêt Aqua-Gem, aux pages 454 et 455 (j'ouvre une parenthèse pour faire remarquer que le juge MacGuigan ne conteste pas fondamentalement, dans ses motifs majoritaires, l'analyse du juge en chef quant au rôle des protonotaires de la Cour fédérale):
[. . .] [cette norme de contrôle] est conforme à la volonté du législateur qu'exprime l'article 12 de la Loi [sur la Cour fédérale], savoir que les fonctions des protonotaires visent à contribuer à «l'exécution des travaux de la Cour».
À mon avis, on ne saurait raisonnablement dire qu'est compatible avec l'objectif de la loi, la norme de révision qui soumet toutes les décisions de protonotaire attaquées à l'instruction de novo quelles que soient les questions concernées et peu importe si ces décisions statuent au fond sur les droits des parties. Pareille norme n'économise ni les ressources judiciaires ni le temps des juges. Dans chaque cas, elle obligerait le juge des requêtes à reprendre l'affaire depuis le début. En outre, elle réduirait la fonction de protonotaire à un rôle d'«étape» préliminaire sur le chemin de la procédure qui mène au juge des requêtes. Je ne pense pas que ce soit là le résultat voulu par le législateur.
[23]On ne devrait par conséquent pas conclure trop rapidement qu'une question, si importante soit-elle, est déterminante. On doit cependant se garder de s'abstenir de trancher de novo une question déterminante simplement parce qu'on a naturellement tendance à s'en remettre aux protonotaires pour les questions de procédure.
[24]Dans l'arrêt Aqua-Gem, le juge MacGuigan a, à la page 464, fait la distinction entre, d'une part, les «questions de procédure courantes»--termes utilisés par lord Wright dans l'arrêt Evans v. Bartham, [1937] 2 All E.R. 646 (H.L.), à la page 653--et la «modification sans importance des actes de procédure»--termes utilisés par le juge Lacourcière dans l'arrêt Stoicevski c. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C.A.), à la page 438--, et, d'autre part, les «questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause principale, c'est-à-dire sa solution».
[25]Quand peut-on qualifier une modification de «courante» par opposition à «déterminante»? Il serait imprudent d'essayer de leur donner une classification formelle. Il est de loin préférable de trancher cette question au cas par cas (voir la décision Trevor Nicholas Construction Co. c. Canada (Ministre des Travaux publics), 2003 CFPI 255; [2003] A.C.F. no 357 (1re inst.) (QL), juge O'Keefe, au paragraphe 7, confirmée à 2003 CAF 428; [2003] A.C.F. no 1706 (C.A.) (QL)). Je remarque que la Cour fédérale du Canada a constamment conclu que les modifications susceptibles d'ajouter de nouvelles demandes ou causes d'action sont déterminantes aux fins de l'application du critère formulé dans l'arrêt Aqua-Gem (voir les décisions suivantes: Scannar Industries Inc. (syndic) c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 215 (C.F. 1re inst.), juge Denault, confirmée à [1994] 2 C.T.C. 185 (C.A.F.); Trevor Nicholas Construction Co., précitée; Bande indienne de Louis Bull c. Canada, 2003 CFPI 732; [2003] A.C.F. no 961 (1re inst.) (QL), juge Snider).
[26]En l'espèce, l'avocat d'Apotex a émis l'opinion que les modifications proposées sont des modifications courantes puisqu'elles n'introduisent pas un nouveau moyen de défense: elles ne font qu'ajouter des faits subsidiaires à l'appui d'un moyen de défense existant fondé sur l'absence de contrefaçon. Par ailleurs, l'avocat des appelantes invite la Cour à conclure que les modifications proposées étaient déterminantes puisqu'elles visaient la rétractation d'un aveu susceptible d'avoir une incidence importante sur l'issue de l'affaire et l'introduction d'un nouveau moyen de défense.
[27]Je suis d'avis que les modifications proposées s'éloignent considérablement de la position qu'avait fait valoir jusqu'à présent Apotex dans ses actes de procédure. Son moyen de défense fondé sur l'absence de contrefaçon reposait essentiellement sur les faits suivants: elle avait acquis le lisinopril avant la délivrance du brevet 350, le 16 octobre 1990, et elle l'avait fait conformément à la licence obligatoire délivrée à son fournisseur, Delmar. Apotex a toujours admis, dans les présents actes de procédure et autres procédures, qu'il y aurait eu violation du brevet 350 si ces faits n'avaient pas existé. L'interprétation du brevet et la composition chimique du lisinopril n'ont jamais été contestées.
[28]Il est évident que les modifications proposées ajouteraient un moyen de défense entièrement nouveau à la défense qui toucherait le coeur de la revendication du brevet 350 et commanderait des preuves d'experts, lesquelles n'auraient pas pu être prévues par les appelantes au stade des interrogatoires préalables, vu les aveux déjà faits dans les actes de procédure et les procédures. Elles sont, à mon avis, déterminantes pour l'issue de l'affaire. La révision de novo de la décision du protonotaire était par conséquent justifiée et le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu'elle ne l'était pas. Je dois donc exercer de novo le pouvoir discrétionnaire que le juge de première instance n'a pas exercé.
Principes généraux concernant les modifications
[29]Je comprends des arguments invoqués par l'avocat d'Apotex qu'il existe une présomption selon laquelle une partie a le droit de faire des modifications si la nouvelle cause d'action ou le nouveau moyen de défense peuvent être instruits, et qu'il incombe à la partie adverse de la renverser. Je ne partage pas cet avis.
[30]Les principes généraux en matière de modifications d'actes de procédure sont résumés comme suit dans l'arrêt Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.), à la page 10:
[. . .] même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.
Parmi les nombreuses décisions invoquées dans l'arrêt Canderel, on trouve l'arrêt Ketteman v Hansel Properties Ltd, [1988] 1 All ER 38 (H.L.), où lord Griffiths a écrit, à la page 62:
[traduction] Il appartient au juge de première instance de décider s'il y a lieu d'autoriser une modification, et il doit se laisser guider, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, par sa perception de la justice. De nombreux et divers facteurs influeront sur l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Je ne crois pas possible ni sage de tenter de les énumérer tous. Mais la justice ne peut toujours se mesurer en fonction d'une somme d'argent, et à mon sens un juge est en droit de mettre dans la balance la tension que le procès impose aux plaideurs, particulièrement s'il s'agit de particuliers plutôt que de sociétés commerciales, l'inquiétude de faire face à de nouvelles questions litigieuses, les vains espoirs soulevés, et l'attente légitime que le procès réglera les questions dans un sens ou dans l'autre. De plus, autoriser une modification avant le début du procès est tout à fait différent de l'autoriser à la fin, pour donner à un défendeur qui ne semble pas avoir gain de cause la possibilité de reprendre la lutte avec une défense entièrement nouvelle.
Un autre facteur dont le juge doit tenir compte est la pression exercée sur les tribunaux par l'augmentation considérable des procès, et donc la nécessité que, dans l'intérêt public, les procédures soient conduites efficacement. Nous ne pouvons plus nous permettre de témoigner la même indulgence à l'égard de la conduite négligente des procès que celle peut-être possible à une époque moins fébrile. Dans certaines affaires, la justice sera mieux servie si les avocats doivent assumer les conséquences de leur incurie plutôt que d'être autorisés à faire une modification à une étape très tardive de la procédure.
et la décision Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2306 (C.C.I.), où le juge Bowman a écrit, à la page 2310:
[. . .] je préfère tout de même examiner la question dans une perspective plus large: les intérêts de la justice seraient-ils mieux servis si la demande de modification ou de rétraction était approuvée ou rejetée? Les critères mentionnés dans les affaires entendues par d'autres tribunaux sont évidemment utiles, mais il convient de mettre l'accent sur d'autres facteurs également, y compris le moment auquel est présentée la requête visant la modification ou la rétractation, la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l'instruction expéditive de l'affaire, la mesure dans laquelle la thèse adoptée à l'origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu'il serait difficile, voire impossible, de modifier, et la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l'examen par la Cour du véritable fond du différend. Il n'existe aucun facteur qui soit prédominant, ou dont la présence ou l'absence soit nécessairement déterminante. On doit accorder à chacun des facteurs le poids qui lui revient dans le contexte de l'espèce. Il s'agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l'intérêt qu'ont les tribunaux à ce que justice soit faite.
[31]Concernant plus précisément les modifications visant la rétractation d'aveux, la Cour a explicité, dans l'arrêt Andersen Consulting c. Canada, [1998] 1 C.F. 605 (C.A.), aux paragraphes 13 et 14, le critère exposé dans l'arrêt Canderel:
À l'autre extrémité, les juridictions de Colombie-Britannique, adoptant une conception plus souple, ne posent pas pour condition essentielle de rétractation que l'aveu contenu dans la défense ait été fait par inadvertance ou de façon hâtive. Le critère qu'elles observent pose que dans toutes les circonstances de la cause, il doit y avoir un point jugeable, qui devrait passer en jugement dans l'intérêt de la justice et qui ne devrait pas se résoudre par une admission de fait. Selon ce critère, l'inadvertance, l'erreur, la précipitation, l'ignorance des faits, la découverte de faits nouveaux, et l'introduction en temps opportun de la requête sont autant de facteurs à prendre en considération pour examiner s'il ressort des circonstances qu'il y a un point jugeable, lequel devrait passer en jugement dans l'intérêt de la justice.
Nous préférons la voie empruntée par les tribunaux de Colombie-Britannique, qui assure à la juridiction saisie d'une requête en modification des plaidoiries, même lorsque la modification vise à rétracter un ou des aveux, la souplesse nécessaire pour faire en sorte que les points jugeables passent en jugement, sans que les parties n'aient à subir d'injustice. [Renvois omis.]
[32]Je souscris entièrement à l'affirmation du paragraphe 15 de l'arrêt Andersen:
Nous devons faire en sorte que la procédure de rétractation d'aveu ne devienne pas tellement complexe et tellement stricte que les défendeurs ne feront pratiquement plus d'aveux.
À mon avis, cette affirmation ne veut toutefois pas dire que les procédures doivent être à tel point simples et flexibles que presque toutes les rétractations d'aveux seront autorisées. Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui sollicite les modifications et, s'il faut essentiellement tenir compte des mêmes facteurs pour toutes les modifications, le fardeau devrait être plus lourd quand les modifications en cause visent la rétractation d'un aveu important et auraient pour conséquence un changement radical de la nature des questions en litige.
[33]La nature, le moment choisi et les circonstances varient d'une modification à l'autre et on doit faire attention à ne pas généraliser des prononcés judiciaires faits dans des contextes précis. Le protonotaire ou le juge saisi d'une requête en modification a l'obligation d'examiner tous les facteurs pertinents. En effet, comme l'a fait remarquer lord Griffiths dans l'arrêt Ketteman, à la page 62, il existe [traduction] «une claire distinction entre les modifications ayant pour but de rendre plus claires les questions en litige, et celles qui permettent de soulever une défense différente pour la première fois». Il existe aussi une différence claire entre le fait d'autoriser des modifications au procès et le fait de le faire avant l'instruction de l'affaire (voir les arrêts Glisic c. Canada, [1988] 1 C.F. 731 (C.A.), à la page 740; Ketteman, précité). J'estime qu'il existe également une différence claire entre le fait d'autoriser des modifications qui équivalent à une rétractation d'aveu et d'autoriser des modifications qui ne le font pas, et une différence claire entre le fait de permettre des modifications qui équivalent à la rétractation d'un aveu important et entraînent une modification de la cause d'action et une modification portant sur une simple admission de fait.
[34]Tout cela pour dire que, pour reprendre les termes utilisés par le juge Bowman dans la décision Continental Bank Leasing, précitée, à la page 2310:
On doit accorder à [chaque modification] le poids qui lui revient dans le contexte de l'espèce. Il s'agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l'intérêt qu'ont les tribunaux à ce que justice soit faite.
Flexibilité et ouverture, qui sont la règle pour les requêtes en modification, ne doivent pas être confondues avec complaisance. Plus tôt une modification non justifiée sera rejetée, mieux ce sera pour le système judiciaire.
[35]Les prétentions de l'avocat d'Apotex reflètent, à mon avis, une tendance qui semble prendre de l'ampleur: l'ajout d'un nouveau moyen de défense de quelque façon que ce soit est permis si cet ajout est raisonnable; dans un tel cas, la partie demandant la modificiation n'a pas à démontrer que la modification devrait être acceptée, mais la partie qui s'oppose à la modification doit plutôt démontrer que cette modification ne devrait pas être autorisée.
[36]On allègue à l'appui de cette tendance les arrêts de la Cour Visx Inc. c. Nidek Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19 (C.A.F.) et Bande Enoch des Indiens de Stony Plain c. Canada, [1994] 3 C.N.L.R. 41 (C.A.F.). L'intimée a tort. À mon humble avis, elle a mal interprété ces arrêts et n'a pas tenu compte de leurs contextes.
[37]Dans l'arrêt Nidek, le juge en chef Isaac a fait, à la page 24, le commentaire incident suivant: «Pour déterminer s'il convient d'autoriser la modification d'une défense, il est souvent utile que la Cour se demande si la modification, si elle faisait déjà partie de l'acte de procédure proposé, serait un moyen susceptible d'être radié en vertu de la règle 419. Dans l'affirmative, la modification ne devrait pas être autorisée.» (Non souligné dans l'original.). Il est clair que si une modification peut être radiée pour le motif qu'elle ne démontre pas l'existence d'une cause d'action raisonnable, elle ne devrait en aucune circonstance être autorisée. La Cour ne dit cependant pas que si une modification n'est pas radiée en vertu de la Règle 419 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], maintenant la règle 221 [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106], la Cour doit examiner la demande de modification d'un oeil favorable.
[38]Dans l'arrêt Bande Enoch, la Cour a déclaré ce qui suit à l'audience: «Nous avons entendu les appels en supposant fondamentalement que, dans ces domaines, la Cour radie les plaidoiries ou ne refuse les modifications que dans les cas clairs et évidents où il n'existe aucun doute» (à la page 42). La seule question à trancher était de savoir si les nouvelles allégations étaient «dénuées de pertinence ou de fondement» dans le contexte d'une obligation fiduciaire qu'on aurait imposée à Sa Majesté. Les motifs invoqués à l'encontre des modifications s'apparentaient donc à ceux liés aux requêtes en radiation. On ne peut tirer de cet arrêt aucune autre conclusion quant à la radiation d'actes de procédure ou au refus d'autoriser des modifications.
[39]Bien sûr, lorsqu'on cherche à introduire une nouvelle cause d'action ou un nouveau moyen de défense par une modification, il faut, de façon préliminaire, se demander si cette cause d'action ou ce moyen de défense peuvent être instruits. Dans la négative, il n'y a aucune raison d'autoriser la modification. On doit examiner la substance de la modification, et non ses circonstances. En l'absence de substance, c'est-à-dire lorsque la nouvelle cause d'action ou le nouveau moyen de défense ne peuvent être instruits, le juge n'a même pas à appliquer le critère énoncé dans les arrêts Canderel ou Andersen puisqu'aucun des facteurs à examiner ne pourrait remédier à l'absence de substance de la modification proposée. Par conséquent, dire que l'existence d'une nouvelle cause d'action ou d'un nouveau moyen de défense pouvant être instruits est un argument convaincant, pour ne pas dire décisif, pour autoriser la modification équivaut à dire que si une condition essentielle du critère à appliquer a été remplie, le critère est respecté. À mon avis, il convient plutôt de suivre le raisonnement de la Cour dans l'arrêt Andersen Consulting, au paragraphe 17, qui a conclu:
[. . .] il n'y a aucun doute que les modifications proposées se rapportent à un point jugeable, qui devrait être tranché au procès [. . .] [Non souligné dans l'original.]
[40]Je souhaite également traiter d'un autre argument soulevé par l'avocat de l'intimée. Ce dernier a invité la Cour à appliquer la règle énoncée dans l'arrêt Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346 (C.A.), au paragraphe 11, où le juge Rothstein a exprimé l'opinion que la Cour ne devrait intervenir dans les décisions rendues par les protonotaires ou les juges responsables de la gestion de l'instance que «dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé» (voir aussi les arrêts Bande indienne de Montana c. Canada, 2002 CAF 331; [2002] A.C.F. no 1257 (C.A.) (QL); Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438; [2002] A.C.F. no 1725 (C.A.) (QL)).
[41]Cette règle ne s'applique bien sûr que lorsqu'il y a lieu de faire preuve de déférence; elle ne s'applique pas lorsque le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de novo, par exemple quand, comme en l'espèce, la question est déterminante pour l'issue de l'affaire ou quand le protonotaire ou le juge responsable de la gestion de l'instance a commis une erreur de principe (voir l'arrêt Apotex). En fait, dans l'arrêt Apotex, le juge Strayer a refusé de restreindre le droit légal d'une partie de recevoir une réponse à l'interrogatoire préalable pour toute question pertinente posée, et ce pour améliorer le système de gestion de l'instance et accélérer l'ensemble du processus. De plus, comme l'a fait remarquer le juge Snider dans la décision Bande indienne de Louis Bull, précitée, toutes les ordonnances d'un juge ou protonotaire responsable de la gestion de l'instance ne sont pas rendues «dans le cadre de la fonction de gestion d'instance» (paragraphe 16): lorsqu'une ordonnance porte sur «une nouvelle question sur laquelle [le protonotaire responsable de la gestion de l'instance] n'avait pas de connaissances particulières», la règle de l'arrêt Sawridge ne s'applique pas. En fait, les protonotaires et les juges responsables de la gestion de l'instance sont souvent appelés à statuer sur des requêtes qui excèdent de loin leur expertise en matière de gestion de l'instance acquise dans une affaire.
[42]Enfin, contrairement à ce que soutient l'avocat, le défaut de la part de la partie adverse d'alléguer expressément un préjudice n'est pas déterminant. Le juge Strayer a d'ailleurs noté, dans l'arrêt Scottish & York Insurance Co. c. Canada (1999), 239 N.R. 131 (C.A.F.), l'existence d'un «principe selon lequel, en l'absence de préjudice causé à la partie adverse, une modification doit être accordée si elle est par ailleurs appropriée» (paragraphe 6) (non souligné dans l'original). D'autres facteurs, notamment l'intérêt de la justice, pourraient militer contre le fait d'autoriser une modification même lorsqu'aucun préjudice n'est allégué. De plus, des préjudices peuvent être évidents au vu du dossier sans que la partie adverse n'ait besoin de les invoquer expressément.
Existe-t-il une question pouvant être instruite?
[43]Le nouveau moyen de défense qu'Apotex cherche à introduire repose essentiellement sur l'interprétation du brevet 350. Pour savoir s'il s'agit d'un moyen de défense raisonnable, la Cour doit considérer que les faits allégués sont avérés, et elle ne trouvera le moyen de défense déraisonnable que si cela est clair et évident au vu de l'acte de procédure.
[44]En l'espèce, les faits en litige sont ceux qui sont allégués dans un affidavit souscrit par un avocat d'Apotex. Dans la mesure où cet avocat n'est pas qualifié pour faire les affirmations de faits qu'il a faites --j'expliquerai plus loin dans les présents motifs pourquoi il n'est pas qualifié--, je me demande si la Cour est de fait saisie de ces faits et peut les considérer comme étant avérés pour les besoins de la requête en modification.
[45]Les faits allégués dans l'affidavit sont de deux ordres: ceux qui ont trait à la récente découverte par Apotex de la différence entre le lisinopril et le lisinopril dihydrate, et ceux qui expliquent cette différence. En ce qui concerne le premier groupe de faits, on peut tout au plus dire que les allégations, par ailleurs contestables, visent la récente découverte de l'avocat d'Apotex, et non d'Apotex elle-même. Quant au deuxième groupe, l'explication porte sur la composition chimique de composés concurrents et l'interprétation scientifique du brevet 350, sujets sur lesquels le souscripteur de l'affidavit, en tant qu'avocat d'Apotex, peut difficilement avoir une connaissance personnelle ou posséder une expertise. Comme il n'y a jamais eu de différend entre les parties au sujet de l'interprétation du brevet 350, il n'y a eu, tout au plus, que peu de témoignages à cet égard au cours des interrogatoires préalables--l'avocat ne nous en a mentionné aucun--et le témoignage de l'avocat d'Apotex à ce sujet constitue plus une argumentation quant aux faits et au droit que des allégations de faits.
[46]Il s'agit, en l'espèce, d'une tentative visant à faire rétracter un aveu de violation d'un brevet pharmaceutique. Il s'agit d'une demande importante. Il incombe à Apotex de démontrer le caractère raisonnable du nouveau moyen de défense qu'elle cherche à introduire en conséquence de la rétractation de l'aveu. La démonstration, si on peut l'appeler ainsi, ne remplit pas la condition préliminaire, aussi peu sévère soit-elle.
La Cour doit-elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser les modifications?
[47]Même en supposant, aux fins de l'analyse, qu'il existe une question pouvant être instruite, je n'autoriserais pas les modifications proposées. Comme je l'ai fait remarquer précédemment, ces dernières constituent un changement radical par rapport à la position tenue par Apotex au cours de la dernière décennie de procédures devant la Cour. Elles désavouent des aveux faits dans les actes de procédure dans le cadre de la présente instance et au cours de l'interrogatoire préalable, ainsi que des aveux de l'avocat dans une instance antérieure étroitement liée à la présente instance. Elles ont des répercussions négatives sur l'intégrité du processus d'obtention de l'AC d'Apotex en 1996, processus qui a entre autres nécessité, en vertu du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133 (mod. par DORS/99-379, art. 2)], une démonstration de la «bioéquivalence» pour l'obtention de l'AC, et qui a permis à Apotex de commercialiser un produit au cours des sept dernières années. Pour la première fois, elles mettent en cause l'interprétation d'un brevet sur lequel Apotex s'est fondée pour obtenir gain de cause en cour, et ce six ans après le début des procédures et la fin des interrogatoires préalables, rendant ainsi le procès plus complexe et probablement plus long, et ce uniquement sur le fondement des allégations faites dans un affidavit souscrit par un avocat d'Apotex. Cette situation est de fait très particulière et commande un examen très attentif.
[48]À mon avis, l'affidavit de l'avocat d'Apotex est totalement dénué de valeur et de crédibilité. La Cour n'accorde tout au plus que peu de poids aux affidavits portant sur des questions de fond en litige souscrits par les avocats (voir l'article 82 des Règles de la Cour fédérale (1998) et les décisions énumérées dans Federal Court Practice 2003 de David Sgayias et al. (Toronto: Carswell, 2002), à la page 387; International Business Machines Corp. c. Printech Ribbons Inc., [1994] 1 C.F. 692 (1re inst.), juge Nadon). En l'espèce, l'avocat n'était pas un expert en la matière; il n'était pas bien placé pour faire des déclarations scientifiques et pour expliquer d'un point de vue scientifique le brevet, par opposition à des déclarations portant sur son interprétation juridique. Il n'était pas non plus bien placé pour faire des commentaires au sujet du «caractère familier» du nom lisinopril. L'avocat n'a commencé à travailler sur le dossier qu'à partir de la fin 1999 et il ne sait pas ce qu'Apotex avait appris les années antérieures, pas plus qu'il ne peut expliquer la soudaine volte-face de la position d'Apotex. L'avocat mentionne une série de documents déposés au cours de l'interrogatoire préalable sans indiquer leur contexte, et il ne mentionne aucun témoignage d'expert à l'appui de son interprétation de ces documents. Autrement dit, l'avocat n'est pas bien placé pour faire valoir la position d'Apotex dans sa requête en modification.
[49]Je suis également préoccupé par l'absence d'un souscripteur d'affidavit qui pourrait témoigner pour le compte d'Apotex et attester de ce que savait ou a déjà su Apotex, et qui pourrait expliquer pourquoi le brevet 350 devrait maintenant être interprété de la nouvelle façon souhaitée par Apotex. À cet égard, il convient de reprendre les termes de lord Mansfield dans l'arrêt Blatch v. Archer (1774), 1 Cowp. 63, à la page 65; 98 E.R. 969, à la page 970, que la Cour suprême du Canada a cités en les approuvant dans l'arrêt R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, au paragraphe 25:
[traduction] Il est certes bien établi qu'un témoignage doit être soupesé en fonction de la preuve qu'une partie pouvait produire et que l'autre partie pouvait contredire.
Je tire une inférence défavorable de l'omission, de l'abstention ou du défaut de la part d'Apotex de déposer des affidavits souscrits par des personnes compétentes, ce qu'elle était en mesure de faire. Je conclus que si un représentant qualifié d'Apotex avait déposé un affidavit, il aurait reconnu, lors de son interrogatoire, qu'Apotex savait depuis au moins 1996 ce qu'elle dit maintenant avoir appris en 2001 lors de l'interrogatoire préalable. Je conclus aussi que si un expert avait déposé un affidavit pour le compte d'Apotex, il aurait reconnu à son interrogatoire que l'interprétation du brevet 350 proposée dans l'affidavit de M. Hughes n'est pas une interprétation qu'un expert aurait donnée.
[50]Une question d'intérêt public est également en cause dans la présente affaire. Depuis 1996, Apotex a, pour obtenir un AC, démontré la bioéquivalence du lisinopril et de l'apo-lisinopril, et a, par conséquent, dit au public canadien, particulièrement aux médecins, aux pharmaciens et aux patients, qu'ils prescrivaient, vendaient ou consommaient effectivement du lisinopril désigné différemment lorsqu'ils prescrivaient, vendaient ou consommaient des composés d'apo-lisinopril. Maintenant, en 2002, quelques lignes suffisent-elles pour remettre en question, du jour au lendemain, tout cela? Apotex devrait fournir des explications plus poussées à la Cour à l'appui de sa requête pour justifier ce qui semble être une soudaine réécriture de l'histoire.
[51]Invoquant l'arrêt Canderel, à la page 14, l'avocat des appelantes fait également valoir que même si les modifications étaient permises, Apotex se heurterait toujours au fait qu'on ne peut rétracter l'aveu de son avocat lors de l'interrogatoire préalable qu'avec l'autorisation de la Cour, autorisation qui n'a pas été demandée en l'espèce. Cela est vrai, mais je n'accorde pas beaucoup de poids à cet argument étant donné qu'on cherche à faire la modification avant l'instruction de l'affaire et non, comme c'était le cas dans l'arrêt Canderel, vers la fin du procès.
[52]Paraphrasant le juge Bowman de la Cour canadienne de l'impôt dans la décision Continental Bank Leasing, précitée, j'arrive à la conclusion que les intérêts de la justice seraient mieux servis par le rejet des demandes de rétractation et de présentation d'un moyen de défense entièrement nouveau. Il me semble qu'il ne s'agit pas d'un cas de conduite négligente de l'instance par l'avocat--et même si c'était le cas, on ne devrait pas oublier ce qu'a dit lord Griffiths dans l'arrêt Ketteman, précité, à la page 62: que les tribunaux ne peuvent plus se «permettre de témoigner la même indulgence à l'égard de la conduite négligente des procès que celle peut-être possible à une époque moins fébrile». Il s'agit plutôt d'un cas où une partie essaie de dévier une procédure judiciaire qui dure depuis plusieurs années en ajoutant un moyen de défense qui, elle le sait très bien, ne fait pas apparaître les véritables questions en litige.
[53]Pour terminer, je désire citer les juges Stone et Linden dans l'arrêt Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1996] 3 C.F. 40 (C.A.), à la page 62:
Il est un principe établi de longue date selon lequel le rôle du tribunal consiste à statuer sur les droits des parties au litige et non à sanctionner les erreurs commises dans le déroulement de la procédure, sauf circonstances exceptionnelles. Ce principe est énoncé comme suit par le lord juge Bowen dans Cropper v. Smith ((1884), 26 Ch. D. 700 (C.A.), à la page 710):
[traduction] Je crois qu'il est un principe bien établi selon lequel le rôle du tribunal consiste à statuer sur les droits des parties et non à punir celles-ci pour les erreurs qu'elles commettent dans le déroulement d'une affaire en prenant des décisions défavorables à la reconnaissance de leurs droits. Pour ma part, et conformément à ce qui a été établi par l'autre section de la Cour d'appel et par moi-même en tant que juge de celle-ci, je ne vois pas pourquoi une erreur qui n'est ni frauduleuse ni délibérément trompeuse ne devrait pas être corrigée par la Cour si cela peut être fait sans commettre d'injustice à l'endroit de l'autre partie. La raison d'être d'un tribunal n'est pas de faire régner la discipline mais bien de trancher des litiges [. . .] [Non souligné dans l'original.] |
Les circonstances de l'espèce sont exceptionnelles. On ne m'a pas convaincu que les aveux qu'Apotex cherche maintenant à rétracter ont été faits «en prenant des décisions défavorables à la reconnaissance de [ses] droits» et je ne suis pas convaincu que les modifications qu'elle cherche à faire visent à «trancher des litiges».
[54]En fin de compte, après avoir exercé de novo mon pouvoir discrétionnaire, je parviens à la conclusion que les modifications proposées soulèvent des questions qui sont déterminantes pour l'issue finale de l'affaire ainsi qu'un nouveau moyen de défense dont la Cour n'est pas en mesure de déterminer s'il est raisonnable sur la base des documents dont elle dispose, et, fait plus important, que les intérêts de la justice seraient de toutes façons mieux servis si elles étaient refusées.
[55]J'accueillerais l'appel avec dépens dans la présente instance et devant les deux instances inférieures. J'annulerais les ordonnances du juge de première instance et du protonotaire dans la mesure où elles visent le premier groupe de modifications et je refuserais d'autoriser les modifications décrites au paragraphe 32 de l'avis de requête d'Apotex, à savoir celles portant sur le composé chimique connu sous le nom de lisinopril dihydrate.
Le juge Létourneau, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[56]Le juge en chef Richard (dissident): J'ai eu l'avantage des motifs du juge Décary, J.C.A. Je souscris à son analyse utile et à sa clarification du critère énoncé dans l'arrêt Aqua-Gem. Je partage également ses préoccupations concernant les affidavits souscrits par les avocats à l'appui des requêtes sur des questions techniques.
[57]Même si je partage son avis sur ces points, je ne puis être d'accord avec le dispositif du juge Décary dans le présent appel. Pour les motifs suivants, j'autoriserais les modifications et je rejetterais l'appel.
[58]Réduites à l'essentiel, les modifications énoncent que le lisinopril dihydrate est un composé chimique différent du lisinopril qui possède des propriétés chimiques différentes, qu'il n'est pas expressément revendiqué dans le brevet 350, qu'il n'est ni divulgué ni décrit dans la demande ou dans le mémoire descriptif du brevet 350, et qu'il n'est pas autrement couvert par ce brevet. Les modifications en cause apportent donc un moyen de défense supplémentaire à la présente instance.
[59]Comme l'a clairement expliqué le juge Décary, un moyen de défense sera rejeté s'il ne peut être «instruit». Quant aux allégations exposées au paragraphe précédent, on ne peut dire que les modifications n'établissent pas un moyen de défense susceptible d'être instruit.
[60]Pour faire cette affirmation, je me reporte à la substance des modifications plutôt qu'au fait qu'elles se trouvent dans un affidavit souscrit par un avocat de l'intimée. Celle-ci a fait valoir les faits substantiels requis et la Cour doit, dans le cadre de la présente requête, les accepter comme étant avérés à l'appui du moyen de défense fondé sur l'absence de contrefaçon.
[61]Pour parvenir à la conclusion que cette modification doit être autorisée, je me suis aussi reporté aux Règles et à la jurisprudence de la Cour. Celles-ci établissent des conditions larges pour autoriser les modifications, notamment la rétractation d'aveux. La règle 75 des Règles de la Cour fédérale, (1998) est libellé comme suit:
75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.
(2) L'autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas:
a) l'objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l'audience;
b) une nouvelle audience est ordonnée;
c) les autres parties se voient accorder l'occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.
[62]Alors que l'article qui a précédé cet article, la Règle 420, permettait à la Cour d'autoriser les modifications nécessaires «pour déterminer la ou les véritables questions en litige», la règle 75 ne mentionne pas de critère pour autoriser une modification. Cette règle devrait cependant être lu avec la règle 3 qui prévoit que les Règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.
[63]La jurisprudence reflète cet esprit libéral. Dans l'arrêt Andersen Consulting c. Canada, précité, la Cour a statué qu'une requête en modification d'un acte de procédure, même si on doit la considérer comme une rétraction d'aveu, doit être interprétée conformément à la Règle 420 des Règles de la Cour fédérale, maintenant la règle 75. L'arrêt Andersen Consulting énonce le critère servant à déterminer quand un aveu fait dans un acte de procédure peut être rétracté. La Cour doit se demander si au paragraphe 13:
[. . .] dans toutes les circonstances de la cause, il doit y avoir un point jugeable, qui devrait passer en jugement dans l'intérêt de la justice et qui ne devrait pas se résoudre par une admission de fait. Selon ce critère, l'inadvertance, l'erreur, la précipitation, l'ignorance des faits, la découverte de faits nouveaux, et l'introduction en temps opportun de la requête sont autant de facteurs à prendre en considération pour examiner s'il ressort des circonstances qu'il y a un point jugeable, lequel devrait passer en jugement dans l'intérêt de la justice.
Le juge Rothstein a récemment confirmé ce principe dans l'arrêt Charette c. Delta Controls, 2003 CAF 425; [2003] A.C.F. no 1696 (C.A.) (QL).
[64]Le courant jurisprudentiel en la matière met aussi en garde contre les autorisations de modifications à des actes de procédure si elles entraînent de l'injustice ou causent un préjudice à une partie auxquels il ne peut être remédié par l'octroi de dépens appropriés (voir par exemple les arrêts Canderel Ltd. c. Canada, précité, et Camoplast Inc. c. Soucy International Inc., 2003 CAF 211; [2003] A.C.F. no 743 (C.A.) (QL)).
[65]En l'espèce, toutefois, les appelantes n'ont pas allégué que les modifications leur feraient subir un préjudice et elles n'ont pas non plus demandé d'être indemnisées par l'octroi de dépens. En fait, l'ordonnance du protonotaire Morneau assure une protection contre les préjudices du fait qu'elle contient une disposition selon laquelle l'intimée n'aurait pas le droit de poursuivre l'interrogatoire préalable au sujet des modifications qu'elle a introduites, ce qui protège contre les délais inutiles.
[66]Par conséquent, rien ne prouve que les appelantes subiront un préjudice en raison de ces modifications à ce stade des procédures.
[67]Tout aussi important est le fait que les modifications servent l'intérêt de la justice car cette procédure pourra être jugée sur le fond. Les modifications proposées portent sur une question pouvant être instruite qui devrait être tranchée par le juge du procès; ainsi, il est de l'intérêt de la justice d'autoriser ces modifications.
[68]Par conséquent, je rejetterais l'appel avec dépens en faveur de l'intimée.