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A-400-03

2003 CAF 487

Apotex Inc. (appelante) (défenderesse)

c.

AstraZeneca Canada Inc. (intimée) (demanderesse)

et

Takeda Chemical Industries Ltd. et Le ministre de la Santé (intimés) (défendeurs)

Répertorié: AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc. (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Rothstein, Sharlow et Malone, J.C.A.--Ottawa, 10 et 22 décembre 2003.

Preuve -- Appel d'une décision d'une juge confirmant le rejet par un protonotaire d'une requête visant la radiation 1) d'une déclaration dans le mémoire des faits et du droit et 2) du renvoi à des ouvrages scientifiques dans le cahier des lois, règlements, jurisprudence et doctrine -- La juge et le protonotaire ont considéré que la question en était une d'admissibilité de la preuve et ont laissé au juge qui entendra la demande le soin de la trancher -- La déclaration contestée et les ouvrages de référence ne sont pas appuyés par les affidavits -- Appel accueilli -- Les ouvrages scientifiques ne sont pas des «lois, règlements, jurisprudence et doctrine» (textes législatifs, jurisprudence et écrits juridiques) -- Normalement, les ouvrages de référence sont joints en tant que pièces aux affidavits des scientifiques qui confirment leur exactitude -- L'autre partie subirait un préjudice si la décision quant à l'admissibilité était laissée au juge des faits -- Le rejet de la requête en radiation équivaudrait à permettre à une partie de présenter des éléments de preuve attaquant la crédibilité d'un témoin sans que ce témoin puisse y répondre -- Dans les circonstances, la Cour ne pouvait admettre d'office les ouvrages de référence.

Dans le contexte d'une demande visant à faire interdire au ministre de délivrer un avis de conformité, il s'agit d'un appel d'une ordonnance interlocutoire rejetant l'appel de la décision d'un protonotaire rejetant une requête visant à faire radier du mémoire des faits et du droit de l'intimée la phrase «[p]lus précisément, les comprimés d'Apotex contiennent du carboxyméthylcellulose sodique et de la croscarmellulose sodique, qui sont des sels de sodium», ainsi qu'à faire radier du cahier des lois, règlements, jurisprudence et doctrine des renvois aux ouvrages cités à l'appui de cette déclaration.

La question était de savoir si le protonotaire ou la juge avaient mal interprété la question qu'ils devaient trancher. En considérant qu'il s'agissait d'une question d'admissibilité de la preuve, ils ont choisi de laisser au juge qui entendra la demande en interdiction le soin de se prononcer sur la requête.

L'avis d'allégation indiquait que le produit d'Apotex ne contreferait pas le brevet de l'intimée (qui utilise un sel inorganique basique) parce que les comprimés que produirait Apotex contiendraient un sel de sodium. Aucun des affidavits déposés par AstraZeneca ne contient la phrase qu'on veut faire radier ni les documents de référence. La position prise par Apotex dans sa requête en radiation était qu'aucun élément de preuve n'étayait la déclaration contestée et que les documents de référence n'avaient pas été régulièrement admis en preuve.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Ces documents de référence n'étaient pas des «lois, règlements, jurisprudence et doctrine» au sens classique de l'expression puisque celle-ci est limitée aux textes législatifs, à la jurisprudence et aux écrits juridiques explicatifs. AstraZeneca a admis au cours de la plaidoirie que ces documents avaient été présentés dans le but d'«étayer» la déclaration selon laquelle les comprimés d'Apotex contiendront un sel de sodium, de potassium ou d'aluminium. Il s'agissait d'un fait clé relatif à une question controversée. On produit normalement, en pièces jointes aux affidavits, les ouvrages de référence, et les souscripteurs des affidavits attestent de leurs compétences scientifiques et confirment l'exactitude de ces documents sur le fondement de leur opinion d'expert. En l'espèce, le juge serait saisi d'éléments de preuve non appuyés par les affidavits ou non testés au moyen d'un contre-interrogatoire.

Les principes applicables en l'espèce sont ceux qui ont été appliqués dans l'affaire en radiation de marques de commerce P.S. Partsource Inc. c. Canadian Tire Corp., où la Cour a radié des éléments de preuve qui constituaient du ouï-dire, portaient sur une question controversée et causeraient un préjudice à l'autre partie si on laissait au juge des faits le soin de trancher cette question. Dans la présente affaire, le préjudice causé à Apotex était évident. Si on reportait la décision quant à l'admissibilité, Apotex se présenterait à l'audience sans savoir si la preuve sera admise et sans pouvoir y répondre ou mener un contre-interrogatoire à cet égard. Le rejet de la requête en radiation équivaudrait à permettre à une partie de présenter des éléments de preuve attaquant la crédibilité d'un témoin sans que celui-ci puisse y répondre.

Tant le protonotaire que la juge de première instance ont commis une erreur de droit en raison de leur mauvaise appréciation des faits. Il n'était pas, dans les circonstances, loisible à la Cour d'admettre d'office ces documents de référence. Cela ne veut cependant pas dire qu'il ne pourrait pas y avoir des cas où les tribunaux pourraient légitimement reconnaître d'office des documents de référence scientifique.

lois et règlements

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-122.

jurisprudence

décisions appliquées:

P.S. Partsource c. Canadian Tire Corp. (2001), 11 C.P.R. (4th) 386; 200 F.T.R. 94; 267 N.R. 135 (C.A.F.); Pfizer Co. Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 456; (1975), 68 D.L.R. (3d) 9; 24 C.P.R. (2d) 195; 6 N.R. 440.

décision citée:

Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.).

doctrine

Handbook of Pharmaceutical Excipients, 3rd ed. Washington, D.C.: American Pharmaceutical Assn., 2000.

Merck Index: An Encyclopedia of Chemicals, Drugs and Biologicals, 13th ed. Whitehouse Station N.J.: Merck, 2001.

Sopinka, John et al. The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1999.

APPEL d'une ordonnance interlocutoire (2003 CF 981; [2003] A.C.F. no 1254 (1re inst.) (QL)) rejetant un appel d'une ordonnance d'un protonotaire qui rejetait une requête en radiation d'une déclaration dans un mémoire des faits et du droit ainsi que certains renvois dans le cahier des lois, règlements, jurisprudence et doctrine. Appel accueilli.

ont comparu:

Andrew R. Brodkin et Julie M. Perrin pour l'appelante (défenderesse).

Gunnars A. Gaikis pour l'intimée (demanderesse) AstraZeneca Canada Inc.

Personne n'a comparu pour les intimés (défendeurs) Takeda Chemical Industries Ltd. et le ministre de la Santé.

avocats inscrits au dossier:

Goodmans, s.r.l., Toronto, pour l'appelante (défenderesse).

Smart & Biggar, Toronto, pour l'intimée (demanderesse) AstraZeneca Canada Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1] Le juge Malone, J.C.A.: Il s'agit d'un appel, interjeté par Apotex, d'une ordonnance interlocutoire, en date du 25 août 2003, rendue par la Cour fédérale dans le cadre d'une demande présentée par AstraZeneca en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-122. Par sa demande, AstraZeneca cherche à faire interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex à l'égard des comprimés Apo-Oméprazole avant l'expiration du brevet canadien 1338377 (brevet 377). L'audition de la demande est prévue pour les 17 et 18 février 2004.

[2]Dans son ordonnance, la Cour fédérale a rejeté l'appel de l'ordonnance d'un protonotaire qui avait lui-même rejeté la requête d'Apotex visant à faire radier du mémoire des faits et du droit d'AstraZeneca la déclaration suivante, qui se trouve au paragraphe 47:

[traduction] Plus précisément, les comprimés d'Apotex contiennent du carboxyméthylcellulose sodique et de la croscarmellulose sodique, qui sont des sels de sodium.

ainsi qu'à faire radier du cahier des lois, règlements, jurisprudence et doctrine soumis par AstraZeneca des extraits de deux ouvrages de référence cités à l'appui de cette déclaration. Les motifs du juge sont exposés dans la décision AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2003 CFP 981; [2003] A.C.F. no 1254 (1re inst.) (QL).

[3]Personne ne conteste la norme de contrôle que la Cour doit appliquer ni n'avance que la juge de première instance a appliqué à la décision du protonotaire une norme de contrôle erronée. La question à examiner dans le présent appel est de savoir si la juge et le protonotaire ont tous deux mal interprété la question qu'ils devaient trancher. Ils se sont uniquement penchés sur la question de l'admissibilité de la preuve, laissant ainsi au juge qui entendra la demande en interdiction le soin de se prononcer sur la requête en annulation.

[4]La demande découle d'un avis d'allégation qu'Apotex a envoyé à AstraZeneca. Elle y déclarait notamment que le produit proposé ne contreferait pas le brevet 377. Ce brevet mentionne certaines composi-tions, notamment un sel inorganique basique. Un des fondements de la demande en interdiction est l'allégation d'AstraZeneca selon laquelle il y aurait contrefaçon parce que les comprimés qu'Apotex voudrait produire contiendraient un sel de sodium.

[5]Dans sa réponse à la demande d'AstraZeneca, Apotex a déposé l'affidavit de M. Bernard Sherman, sur lequel ce dernier a été contre-interrogé. Les contre-interrogatoires semblent avoir laissé ouverte la question de savoir si M. Sherman a ou n'a pas admis que les comprimés d'Apotex contiendraient un sel de sodium. Il reviendra au juge qui entendra la demande de trancher cette question.

[6]Le 26 mai 2002, AstraZeneca a déposé son dossier de demande ainsi qu'un mémoire du droit, qui incluait le paragraphe 47 précité. Ce paragraphe est étayé par trois sources, la première étant les documents relatifs à la formulation d'Apotex, qui dressent la liste des ingrédients, et les deuxième et troisième étant les pages 308 et 454 de The Merck Index: An Encyclopedia of Chemicals, Drugs and Biologicals, 13e éd., et la page 160 de The Handbook of Pharmaceutical Excipients, 3e éd. On trouve des copies de ces pages dans le cahier des lois, règlements, jurisprudence et doctrine d'AstraZeneca.

[7]Aucun des affidavits soumis par AstraZeneca ne contient la déclaration figurant au paragraphe 47 ni ne mentionne les deux extraits (les documents de référence).

[8]Apotex a présenté une requête en vue de faire radier le paragraphe 47 et les documents de référence pour le motif qu'aucun élément de preuve n'étayait la déclaration. Apotex a également fait valoir que les documents de référence n'avaient pas régulièrement été admis en preuve et ne pouvaient par conséquent pas appuyer la déclaration, et qu'AstraZeneca essayait, sous le couvert de la présentation d'un cahier des lois, règlements, jurisprudence et doctrine, d'introduire de façon irrégulière des éléments de preuve.

[9]Les documents de référence ne sont pas des lois, règlements, jurisprudence et doctrine au sens classique de l'expression. On entend généralement par ces termes les textes législatifs, la jurisprudence et les autres écrits juridiques qui énoncent ou expliquent les règles de droit ou les principes juridiques. Au cours de la plaidoirie, l'avocat d'AstraZeneca a reconnu que cette présentation tardive des documents de référence visait à «étayer» ou à «mettre sur papier» l'admission factuelle que, selon AstraZeneca, M. Sherman aurait faite lors de son contre-interrogatoire, à savoir que les comprimés contiendront un sel de sodium, de potassium ou d'aluminium. Ainsi, il ne peut donc s'agir que d'une chose: une preuve à l'égard d'un fait clé relatif à une question controversée entre les parties.

[10]On produit normalement, en pièces jointes aux affidavits, les ouvrages de référence. Les souscripteurs des affidavits attestent de leurs compétences scientifiques ainsi que de la pertinence et de l'authenticité des ouvrages, et confirment l'exactitude de ces documents sur le fondement de leur opinion d'expert. Ils peuvent être contre-interrogés selon la procédure normale. Le juge des faits doit ensuite trancher les questions de la pertinence, de l'admissibilité et du poids à accorder aux ouvrages. En l'espèce, la procédure adoptée par AstraZeneca aura cependant la conséquence suivante: le juge des faits sera saisi d'éléments de preuve non appuyés par les affidavits ou par les plaidoiries et n'ayant pas été testés au moyen d'un contre-interrogatoire.

[11]La juge de première instance a accepté l'argument de l'avocat d'AstraZeneca suivant lequel les documents de référence peuvent constituer une source de renseignements relativement à un fait dont un tribunal peut légitimement prendre connaissance d'office. L'admission d'office peut viser des faits non prouvés par une partie, mais qui sont notoires au point de ne pouvoir être contestés, ou des faits dont l'existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l'exactitude est incontestable, comme les traités, les dictionnaires, les almanachs et autres ouvrages de référence (voir Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (Toronto: Butterworths, 1999), à la page 1058). La prudence s'impose cependant lorsqu'on utilise de telles sources à l'égard d'un fait contesté, particulièrement s'il s'agit d'un fait dont l'importance est cruciale pour l'affaire.

[12]À mon avis, les principes applicables en l'espèce sont les mêmes que ceux qui ont été appliqués dans l'arrêt P.S. Partsource Inc. c. Canadian Tire Corp. (2001), 11 C.P.R. (4th) 386 (C.A.F.), où la Cour a statué sur une procédure en radiation de marques de commerce sur le fondement d'une preuve par affidavits. Une des parties a cherché à faire radier des éléments de preuve qui constituaient du ouï-dire. La Cour a reconnu que les requérants ont rarement gain de cause dans leurs requêtes interlocutoires visant à faire radier des éléments de preuve parce qu'il était préférable que le juge des faits tranche ces questions. On peut toutefois faire exception à cette règle. On l'a fait en l'espèce parce qu'on a démontré que la preuve constituait du ouï-dire sur une question controversée et que l'autre partie subirait un préjudice si on laissait au juge des faits le soin de trancher cette question.

[13]Dans la présente affaire, le préjudice causé à Apotex est évident. Si la décision quant à l'admissibilité de la preuve contestée est laissée au juge qui entendra la demande d'interdiction, Apotex devra se présenter à l'audience sans savoir si le dossier contiendra cette preuve et sans pouvoir y répondre ou contre-interroger les témoins à cet égard. Le rejet de la requête en radiation équivaudrait à permettre à une partie de présenter des éléments de preuve attaquant la crédibilité ou la fiabilité d'un témoin sans que celui-ci puisse répondre à ces éléments de preuve ou sans qu'il ait la possibilité de s'expliquer: voir Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.).

[14]Je ne vois aucune distinction pertinente entre cet arrêt et l'arrêt Pfizer Co. Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 456 (qui n'a pas été, dans la présente affaire, invoqué devant la juge ou le protonotaire). Dans cet arrêt, la Commission du tarif avait mentionné deux ouvrages de référence et s'était fondée sur ces documents pour rendre une décision. Ces ouvrages n'avaient pas été présentés en preuve et n'avaient pas été mentionnés à l'audience. Le juge Pigeon a écrit, dans les motifs unanimes de la Cour, ce qui suit, à la page 463:

À mon avis, cette objection est fondée. Bien que la loi autorise la Commission à obtenir des renseignements autrement que sous la sanction d'un serment ou d'une affirmation [. . .], elle n'est pas pour autant autorisée à s'écarter des règles de justice naturelle. Il est nettement contraire à ces règles de s'en rapporter à des renseignements obtenus après la fin de l'audience sans en avertir les parties et leur donner la possibilité de les réfuter. [Non souligné dans l'original.]

[15]Je conclus que les ordonnances du protonotaire et de la juge étaient fondées sur une mauvaise appréciation des faits ayant causé une erreur de droit. Mon analyse démontre que les documents de référence constituent des éléments de preuve et rien ne permet d'arriver à une conclusion différente. En ce qui concerne la doctrine de la connaissance d'office, rien n'appuie la conclusion selon laquelle la Cour peut, dans les circonstances de l'espèce, admettre d'office ces documents.

[16]Je m'empresse d'ajouter que, dans certains cas, les tribunaux peuvent légitimement reconnaître d'office des documents de référence scientifiques. Toutefois, les faits du présent appel n'étayent pas une telle conclusion en l'espèce.

[17]L'appel devra être accueilli et l'ordonnance de la juge des requêtes, en date du 25 août 2003, et celle du protonotaire, en date du 8 juillet 2003, devront être annulées. Une ordonnance devra radier les documents de référence du cahier des lois, règlements, jurisprudence et doctrine d'AstraZeneca, et la phrase contestée de son mémoire. Apotex aura droit à ses dépens dans toutes les instances.

Le juge Rothstein, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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