[2017] 1 R.C.F. 480
A-244-15
2016 CAF 193
Credit Counselling Services of Atlantic Canada Inc. (appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (intimé)
Répertorié : Credit Counselling Services of Atlantic Canada Inc. c. Canada (Revenu national)
Cour d’appel fédérale, juges Webb, Scott et de Montigny, J.C.A.—Fredericton, 28 avril; Ottawa, 24 juin 2016.
Impôt sur le revenu — Sociétés — Organismes de bienfaisance enregistrés — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de l’intimé ayant confirmé l’avis d’annulation de l’enregistrement de l’appelante parce que l’intimé a déterminé que les objectifs et les activités de l’appelante n’étaient pas exclusivement des activités de bienfaisance, puisque la prévention de la pauvreté n’est pas une activité de bienfaisance reconnue — L’appelante a été constituée en société en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes en 1993; certains des objectifs de l’appelante étaient de prévenir la pauvreté et de fournir à la collectivité des conseils financiers professionnels et des conseils sur les dettes — Après s’être constituée en société, l’appelante a été informée par Revenu Canada, Accise, Douanes et Impôt qu’elle était admissible à titre d’organisme de bienfaisance enregistré au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) — L’appelante a exercé ses activités de conseils sur les dettes et a mené des programmes de sensibilisation et de gestion des dettes pendant plusieurs années — Dans la décision initiale, l’intimé a annulé l’enregistrement, car il était d’avis que les objectifs et les activités de l’appelante n’étaient pas exclusivement des activités de bienfaisance et a insisté sur le principal objectif de l’appelante, soit prévenir la pauvreté — Il s’agissait de déterminer si les activités liées à la prévention de la pauvreté sont des activités de bienfaisance au sens de la Loi — Seules les œuvres de bienfaisance et les fondations de bienfaisance peuvent être enregistrées comme des organismes de bienfaisance au sens de la Loi — L’appelante ne répondra à ce critère que si les activités liées à la prévention de la pauvreté sont des activités de bienfaisance — Il est bien reconnu que les fins de bienfaisance englobent le soulagement de la pauvreté et certaines autres fins utiles à la société — Pour satisfaire au critère du soulagement de la pauvreté, la personne recevant l’aide doit être pauvre à ce moment — En l’espèce, il ne faisait aucun doute que l’appelante aide de nombreux consommateurs ayant un emploi et des actifs et qui, par conséquent, ne seraient pas forcément considérés comme étant pauvres au moment de recevoir l’aide — Les activités de l’appelante sont mieux décrites comme étant liées à la prévention de la pauvreté — Il faudrait une loi fédérale pour ajouter la prévention de la pauvreté aux objets de bienfaisance — La prévention de la pauvreté n’est pas une fin de bienfaisance; pour cette raison, l’appelante ne pouvait avoir gain de cause à cet égard — L’appelante a soutenu aussi qu’elle devrait avoir gain de cause en vertu de la catégorie des autres fins utiles à la société — Pour répondre à ce critère, la fin doit être utile à la société d’une façon que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance — L’appelante n’a pas prouvé que ses services, visant à prévenir la pauvreté, seraient utiles à la société d’une façon que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance — Par conséquent, l’appelante n’a pas réussi à établir que l’intimé a erré en annulant l’enregistrement de l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance — Appel rejeté.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charities Act 2011 (R.-U.), ch. 25.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 149.1(1) « fondation privée », « fondation publique », « œuvre de bienfaisance », 248(1) « organisme de bienfaisance enregistré ».
Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C-32.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Prescient Foundation c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 120; A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 R.C.S. 217; Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. M.R.N., [1999] 1 R.C.S. 10.
APPEL interjeté à l’encontre d’une décision du ministre du Revenu national ayant confirmé l’avis d’annulation de l’enregistrement émis à l’encontre de l’appelante parce que le ministre a déterminé que les objectifs et les activités de l’appelante n’étaient pas exclusivement des activités de bienfaisance, puisque la prévention de la pauvreté n’est pas une activité de bienfaisance reconnue. Appel rejeté.
ONT COMPARU
J. Paul M. Harquail, ACIArb, pour l’appelante.
Joanna Hill pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Stewart McKelvey, Saint John, Nouveau-Brunswick, pour l’appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Webb, J.C.A. : La question soulevée en l’espèce consiste à déterminer si les activités liées à la [traduction] « prévention de la pauvreté » sont des activités de bienfaisance au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi).
[2] Credit Counselling Services of Atlantic Canada Inc. interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le ministre) du 21 avril 2015 confirmant l’avis d’annulation de l’enregistrement (l’avis) du 12 juillet 2013.
[3] L’avis a été établi car le ministre a déterminé que les objectifs et les activités de l’appelante n’étaient pas exclusivement des activités de bienfaisance, puisque la prévention de la pauvreté n’est pas une activité de bienfaisance reconnue.
[4] Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais le présent appel.
I. Les faits
[5] L’appelante a été constituée en société en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C-32, en 1993. Les objectifs énoncés de l’appelante étaient les suivants :
[traduction]
a) prévenir la pauvreté;
b) fournir à la collectivité des conseils financiers professionnels et des conseils sur les dettes;
c) concevoir et promouvoir des programmes éducatifs à l’intention du public sur les finances familiales, les budgets et le recours au crédit;
d) effectuer et financer des recherches sur les préoccupations liées au crédit;
e) recueillir et diffuser au public des données et de l’information sur les questions liées aux dettes des particuliers.
[6] Par une lettre du 21 octobre 1993, Revenu Canada, Accise, Douanes et Impôt, a informé l’appelante qu’elle était admissible à titre d’organisme de bienfaisance enregistré au sens de la Loi.
[7] Au cours des quelques années suivantes, l’appelante a exercé ses activités de conseils sur les dettes et a mené des programmes de sensibilisation et de gestion des dettes.
[8] Le programme de gestion des dettes est offert aux consommateurs aux prises avec de graves problèmes financiers, mais qui ont un emploi et des actifs. L’appelante négocie le remboursement des dettes avec les créanciers du consommateur.
II. La décision du ministre
[9] L’avis de confirmation du 21 avril 2015 confirme la décision antérieure du ministre d’annuler l’enregistrement de l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance enregistré.
[10] Dans la décision antérieure du 12 juillet 2013, le ministre a annulé l’enregistrement de l’appelante car il était d’avis que les objectifs et les activités de l’appelante n’étaient pas exclusivement des activités de bienfaisance. Le ministre a insisté sur le principal objectif de l’appelante, soit prévenir la pauvreté, et a conclu qu’il ne s’agit pas d’une fin de bienfaisance reconnue. Le ministre a indiqué que les conseils sur les dettes peuvent, dans certains cas, [traduction] « contribuer à des fins de bienfaisance, soit le soulagement de la pauvreté ». Toutefois, comme les services de l’appelante ne visent pas exclusivement les personnes pauvres, ses services sont plus justement définis comme des services de prévention de la pauvreté que des services de soulagement de la pauvreté.
III. La norme de contrôle
[11] Dans l’arrêt Prescient Foundation c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 120, la Cour a confirmé ce qui suit (au paragraphe 12) :
[…] En matière d’appels interjetés en vertu du paragraphe 172(3) de la Loi à l’encontre d’une décision par laquelle le ministre confirme son intention de révoquer l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance, les questions de droit isolables, y compris en ce qui concerne l’interprétation de la Loi, doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte. Par ailleurs, les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit, dont l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre au regard de ces faits et du droit correctement interprété, doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable […]
[12] Rien ne justifie que les normes de contrôle soient différentes lorsque le ministre annule un enregistrement. Par conséquent, les questions de droit isolables seront contrôlées selon la norme de la décision correcte. La question de savoir si les activités liées à la prévention de la pauvreté sont des activités de bienfaisance au sens de la Loi est une question de droit.
IV. Analyse
[13] Seules les œuvres de bienfaisance et les fondations de bienfaisance peuvent être enregistrées comme des organismes de bienfaisance au sens de la Loi (voir la définition du terme « organisme de bienfaisance enregistré » au paragraphe 248(1) ainsi que des termes « fondation privée » et « fondation publique » au paragraphe 149.1(1) de la Loi). Au paragraphe 149.1(1) de la Loi, on définit en partie une « œuvre de bienfaisance » comme suit :
149.1 (1)
[…]
œuvre de bienfaisance Est une œuvre de bienfaisance à un moment donné l’oeuvre, constituée ou non en société :
a) dont la totalité des ressources est consacrée à des activités de bienfaisance qu’elle mène elle-même;
[14] L’appelante ne répondra à ce critère que si les activités liées à la prévention de la pauvreté sont des activités de bienfaisance. Bien que cette disposition soit exprimée en termes d’activités et non d’objets, les décisions où il est question de déterminer ce qui constitue un objet de bienfaisance sont tout à fait pertinentes, car une activité ne peut être une activité de bienfaisance si elle n’a pas été réalisée pour une fin de bienfaisance.
[15] Il est bien reconnu que les fins de bienfaisance englobent ce qui suit (A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 R.C.S. 217 (A.Y.S.A.), au paragraphe 26) :
- le soulagement de la pauvreté;
- la promotion de l’éducation;
- la promotion de la religion;
- les autres fins utiles à la société ne relevant pas des catégories précitées.
[16] L’appelante n’a fait référence à aucune décision où l’on a conclu que le soulagement de la pauvreté englobe la prévention de la pauvreté. Pour satisfaire au critère du soulagement de la pauvreté, la personne recevant l’aide doit être pauvre à ce moment. La pauvreté est un terme relatif. Par conséquent, il est possible dans certaines situations que le fait d’aider des personnes ayant de graves problèmes financiers en donnant des conseils ou en les aidant d’autres façons soit considéré comme faisant partie du soulagement de la pauvreté, même si les personnes en question ne sont pas dans l’indigence (Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. M.R.N., [1999] 1 R.C.S. 10 (Vancouver Society), au paragraphe 185).
[17] Toutefois, il ne fait aucun doute que l’appelante aide de nombreux consommateurs ayant un emploi et des actifs et qui, par conséquent, ne seraient pas forcément considérés comme étant pauvres au moment de recevoir l’aide. En 2010, l’appelante a aidé des consommateurs à verser plus de 10 millions de dollars à leurs créanciers grâce au programme de gestion des dettes. Rien ne montre que l’appelante a trié ces clients pour n’offrir ses services qu’à ceux qui seraient considérés comme étant « pauvres » au sens de l’objet de bienfaisance qu’est le soulagement de la pauvreté. Les activités de l’appelante sont mieux décrites comme étant liées à la prévention de la pauvreté.
[18] Au Royaume-Uni, le législateur a adopté la loi intitulée Charities Act 2011 (R.-U.), ch. 25 (Loi de 2011 sur les organismes de bienfaisance), et, ce faisant, a inclus la prévention de la pauvreté (en plus du soulagement de la pauvreté) parmi les objets de bienfaisance. En fait, l’appelante demande à la Cour de faire ce qu’une loi a dû faire au Royaume-Uni. Je suis d’avis que, tout comme au Royaume-Uni, il faudrait une loi fédérale pour ajouter la prévention de la pauvreté aux objets de bienfaisance.
[19] Par conséquent, je suis d’avis que la prévention de la pauvreté n’est pas une fin de bienfaisance et que, pour cette raison, l’appelante ne peut avoir gain de cause à cet égard.
[20] L’appelante soutient aussi qu’elle devrait avoir gain de cause en vertu de la quatrième catégorie des fins de bienfaisance, soit celle des autres fins utiles à la société.
[21] Dans la décision Vancouver Society, la Cour suprême a énoncé les exigences de cette quatrième catégorie des fins de bienfaisance (aux paragraphes 175 à 177) :
Dans l’arrêt Native Communications Society, précité, aux pp. 479 et 480, la Cour d’appel fédérale a énoncé certaines « conditions préalables » pour déterminer si une fin particulière peut être considérée comme une fin de bienfaisance visée par la quatrième catégorie de la classification de lord Macnaghten. Pour reprendre les propos du juge Stone, la fin doit être utile à la société « d’une façon que la loi considère comme charitable » en étant conforme à « l’esprit » du préambule de la Loi d’Elizabeth, si ce n’est à sa lettre, et c’est en se fondant sur le dossier dont elle dispose et en exerçant sa compétence en equity en matière d’organismes de bienfaisance que la cour doit déterminer si une fin servirait ou pourrait servir l’intérêt du public.
Autrement dit, le seul « intérêt du public », au sens ordinaire de cette expression, ne suffit pas pour qu’une fin relève de la quatrième catégorie énoncée dans Pemsel. Dans Positive Action Against Pornography, précité, à la p. 352, le juge Stone a souligné que la tâche de la cour dans l’application de cette catégorie est relativement limitée; elle n’a pas à décider « ce qui est utile à la collectivité dans un sens large, mais simplement ce qui lui est utile d’une façon à laquelle la loi reconnaît un caractère charitable » (je souligne). Par conséquent, il ne suffit pas d’affirmer, comme l’a fait l’association, qu’en aidant les immigrantes et les femmes appartenant à une minorité visible à trouver du travail, elle rend les [traduction] « règles du jeu équitables », et sert ainsi l’intérêt du public, parce qu’il est dans [traduction] « l’intérêt des immigrantes et, de fait, de tous les Canadiens, que les premières trouvent du travail le plus rapidement possible ». Plutôt que d’invoquer seulement l’intérêt du public dans un sens large ou commun, l’association doit expliquer en quoi au juste les fins qu’elle poursuit sont utiles d’une façon que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance.
Dans D’Aguiar, précité, on a reconnu que les indications de la common law dans ce domaine n’étaient pas particulièrement claires. Je suis d’accord avec cette affirmation. La condition voulant que les fins soient utiles à la société « d’une façon que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance » est de toute évidence circulaire, et les exemples énumérés dans le préambule de la Loi d’Elizabeth semblent dépourvus de tout dénominateur ou fil commun susceptible d’étayer une argumentation par analogie qui soit cohérente. Malgré cela, toutefois, le Conseil privé a énoncé dans cette décision ce qui est à mon sens une méthode utile d’appréciation, au regard de la quatrième catégorie, des fins poursuivies par un organisme (à la p. 33) :
[traduction] Premièrement, [le tribunal] doit considérer la tendance qui se dégage des décisions qui ont reconnu certaines fins comme étant des fins de bienfaisance au sens de la quatrième catégorie et se demander si, par extension ou analogie raisonnable, le cas à l’étude est semblable aux précédents. Deuxièmement, il doit examiner certaines anomalies acceptées pour voir si elles couvrent les fins en cause. Troisièmement, — et c’est vraiment un contrôle par recoupement des autres — il doit se demander si, en conformité avec les fins déclarées, le revenu et les biens en question peuvent être affectés à des fins clairement étrangères à la notion de bienfaisance; dans l’affirmative, l’argument qu’il s’agit de fins de bienfaisance ne peut être retenu.
À cela, j’ajouterais la condition générale, énoncée dans l’arrêt Verge c. Somerville, précité, à la p. 499, que la fin doit également servir « l’intérêt de la communauté ou d’un groupe d’une certaine importance » plutôt que des intérêts privés. [Souligné dans l’original.]
[22] Pour répondre au quatrième critère, la fin doit être utile à la société d’une façon que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance. L’appelante n’a pas prouvé que ses services, visant à prévenir la pauvreté, seraient utiles à la société d’une façon que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance. Il semble clair que les personnes ayant reçu de l’aide pour rembourser leurs dettes et mieux s’occuper de leurs finances ont profité des services, mais rien n’indique que cela ne serve pas les intérêts privés de ces personnes ou que cela serve l’intérêt de la communauté d’une façon que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance.
[23] Par conséquent, je suis d’avis que l’appelante n’a pas réussi à établir que le ministre a erré en annulant l’enregistrement de l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance et je rejetterais l’appel avec dépens.
Le juge Scott, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge de Montigny, J.C.A. : Je suis d’accord.