NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.
SANTÉ ET BIEN-ÊTRE SOCIAL
Demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler le critère relatif à la date de naissance prévu par le Décret sur le Programme canadien de soutien aux survivants de la thalidomide, C.P. 2019-0271 (Décret de 2019) au motif que ce critère était déraisonnable — Le demandeur est né avec de nombreuses malformations congénitales qui correspondent à l’exposition in utero à la thalidomide — Trois programmes gouvernementaux ont été créés en 1991, 2015 et 2019 en vue d’offrir un soutien financier aux survivants de la thalidomide — Le demandeur ne figure pas au registre gouvernemental des victimes de la thalidomide et il n’a jamais conclu de règlement à l’amiable avec une entreprise pharmaceutique en lien avec son état de santé — Le Programme canadien de soutien aux survivants de la thalidomide (PCSST) a été établi par le Décret de 2019 — Une personne est admissible au PCSST si elle remplit l’une des trois conditions énoncées dans le Décret de 2019 : a) elle a été jugée admissible au Régime d’aide de 1991 ou au Programme de 2015, b) son nom figure au registre gouvernemental de victimes de la thalidomide, c) elle est jugée admissible par le tiers administrateur — Il était question en l’espèce de la troisième condition du PCSST — L’admissibilité au PCSST est déterminée d’après la probabilité que les malformations congénitales d’une personne soient le résultat de la prise de thalidomide par la mère au cours du premier trimestre de grossesse — Pour que le tiers administrateur juge une personne admissible conformément à la troisième condition du PCSST, le Décret de 2019 prévoit trois étapes à l’évaluation d’admissibilité, dont une évaluation préliminaire effectuée par le tiers administrateur afin de déterminer qu’il est vraisemblable que les malformations congénitales découlent de la prise de thalidomide par la mère au cours du premier trimestre de grossesse — Concernant l’évaluation préliminaire, le demandeur devait démontrer, entre autres choses, que sa date de naissance tombait durant la période débutant le 3 décembre 1957 et se terminant le 21 décembre 1967 — Le demandeur a été jugé inadmissible au PCSST parce qu’il est né en 1969 — Il s’agissait principalement de déterminer si la décision du gouverneur en conseil d’adopter le critère relatif à la date de naissance était raisonnable — Le critère relatif à la date de naissance prévu au sous-alinéa 3(5)a)(i) du Décret de 2019 était déraisonnable — La date du 21 décembre 1967 permettait une période de grâce de cinq ans après le retrait de la thalidomide du marché canadien le 2 mars 1962 — Compte tenu du fait que le médicament demeurait disponible sous forme d’échantillons, il y a une certaine logique inhérente à la décision prise par le gouvernement de prévoir une période de grâce après la date du retrait du médicament du marché — La question qui s’imposait était de savoir si la date limite postérieure du 21 décembre 1967, soit cinq ans après le retrait officiel de la thalidomide du marché canadien, était raisonnable, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles — Le médicament a été réintroduit sur le marché canadien progressivement et soumis à des contrôles stricts à partir de 1963 — La date du 21 décembre 1967 ne tient aucunement compte du fait que le ministère de la Santé avait de bonnes raisons de croire que des mères continuaient peut-être à prendre de la thalidomide après que le ministère de la Santé eut ordonné officiellement le retrait du médicament du marché canadien — Compte tenu du fait que les mères ont continué à utiliser le médicament après le début de l’année 1962, que le produit est très certainement demeuré disponible sur le marché canadien après cette date et que la durée de conservation du produit à l’époque est inconnue, il semble que si le gouvernement a effectivement choisi un algorithme fondé sur les probabilités, la limite temporelle doit être compatible avec les principes qui sous-tendent cet algorithme — La date limite du 21 décembre 1967 ne permettait pas d’atteindre cet objectif — Le gouverneur en conseil s’est fié à une généralisation non fondée — Ceci constituait une erreur manifeste sur le plan rationnel — Il n’y avait aucune preuve dans le dossier de la période après laquelle les effets tératogénétiques du médicament seraient suffisamment atténués et qu’ils ne poseraient plus de risque — Par conséquent, la référence à la durée de conservation de cinq ans pour la thalidomide moderne ne pouvait pas raisonnablement aider à établir le délai de grâce approprié après la date officielle de retrait du produit du marché canadien — Le choix des limites temporelles n’était pas une décision politique, mais bien une décision fondée sur des considérations factuelles — En l’espèce, le choix de la date limite n’était pas raisonnable — La preuve indiquait que cette limite n’était pas justifiée au regard des contraintes factuelles — Il a été ordonné que le critère relatif à la date de naissance prévu au sous-alinéa 3(5)a)(i) du Décret de 2019 soit annulé et que le tiers administrateur du PCSST ne pouvait en tenir compte — Demande accueillie.
Richard c. Canada (Procureur général) (T-1321-21, 2024 CF 657, juge Pamel, jugement en date du 29 avril 2024, 43 p.)