NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.
Citoyenneté et Immigration
Statut au Canada
Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger
Demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) rejetant l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rejetant la demande d’asile du demandeur — Le demandeur, un citoyen mexicain âgé de 30 ans, a demandé l’asile au Canada au motif qu’il craignait d’être persécuté en raison de son homosexualité — La SPR a estimé que le demandeur avait établi son orientation sexuelle à l’aide de preuves dignes de foi, ainsi que le traitement défavorable qu’il a raconté avoir subi pendant son enfance dans l’État de Colima (y compris de la part de son père) et pendant qu’il vivait à Guadalajara à l’âge adulte — La SPR a toutefois aussi constaté que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Mexico; la demande de protection du demandeur a par conséquent été rejetée — La question déterminante pour la SPR et la SAR était la disponibilité d’une PRI viable pour le demandeur à Mexico — Une PRI existe dans le pays de nationalité où la partie demandant la protection ne serait pas en danger et où il ne serait pas déraisonnable pour elle de se reloger — Lorsqu’une PRI viable existe, le demandeur n’a pas droit à la protection d’un autre pays — Le demandeur a soutenu que les conclusions de la SAR en ce qui concerne les deux volets du critère relatif à la PRI étaient déraisonnables — Il s’est appuyé sur des informations que son avocat en appel n’a pas mentionnées dans ses observations relatives à l’appel, en particulier sur des informations concernant la situation dans le pays en cause figurant dans la version de septembre 2022 du cartable national de documentation (CND) de la CISR pour le Mexique, mais qui ne figuraient pas dans la version du CND en vigueur au moment de la mise en état de l’appel — Le demandeur s’est également fondé sur deux décisions de la SAR qui ont donné lieu à des conclusions opposées quant à la question de savoir si Mexico est une PRI viable pour un homosexuel — Les deux décisions étaient antérieures à la décision faisant l’objet d’un contrôle en l’espèce, mais aucune n’a été portée à l’attention de la SAR par l’avocat en appel du demandeur — Les questions préliminaires étaient de savoir si le demandeur s’appuyait sur de nouveaux éléments de preuve; et si le demandeur soulevait une nouvelle question — La SAR a rendu sa décision sur l’appel du demandeur le 20 décembre 2022, date à laquelle le CND le plus récent pour le Mexique était celui de septembre 2022 — Ainsi, conformément à la politique de la CISR qui consiste à tenir compte du CND le plus récent pour évaluer le risque prospectif, le CND de septembre 2022 aurait dû être examiné par le membre de la SAR — Par conséquent, le demandeur avait la possibilité d’invoquer ces documents dans le cadre du contrôle judiciaire afin de contester le caractère raisonnable de la décision de la SAR — L’invocation par le demandeur de deux autres décisions de la SAR ne soulevait pas une nouvelle question, mais constituait plutôt un nouvel argument — La question de la viabilité de la PRI à Mexico a été posée à la SAR — Le demandeur ne tentait pas d’utiliser d’autres décisions pour contester la conclusion de la SPR concernant la PRI; il les utilisait plutôt pour contester le caractère raisonnable de la décision de la SAR relative à la PRI — Il aurait été préférable que la SAR ait eu la possibilité d’aborder ces autres décisions, mais le fait de permettre au demandeur de présenter un tel argument à ce stade ne porterait atteinte ni au rôle de la SAR dans la décision sur le bien-fondé du recours ni au rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire — La question principale était de savoir si la conclusion de la SAR relative à la PRI était déraisonnable — L’argument principal du demandeur reposait sur une mise à jour du CND; il faisait valoir que la conclusion de la SAR à l’égard du premier volet du critère relatif à la PRI était déraisonnable parce qu’elle n’avait pas tenu compte d’informations nouvelles et importantes susceptibles d’étayer la position du demandeur — En effet, la mise à jour du CND contenait de nouvelles informations importantes qui allaient à l’encontre de la conclusion de la SAR portant que, en dépit de certains problèmes, Mexico est dans l’ensemble un endroit sûr et sécuritaire pour les homosexuels — Ces informations supplémentaires étaient potentiellement probantes pour la question centrale de savoir s’il existait une réelle possibilité qu’un homosexuel comme le demandeur soit persécuté à Mexico — La SAR n’a toutefois tenu compte d’aucun de ces éléments dans sa décision — Pour cette raison, la décision de la SAR manquait de justification, de transparence et d’intelligibilité — L’argument du demandeur portant que la décision de la SAR était déraisonnable parce qu’elle n’expliquait pas pourquoi la SAR ne parvenait pas à la même conclusion que les deux autres décisions de la SAR citées par le demandeur, à savoir si Mexico était une PRI viable pour un homosexuel, a été rejeté — Si la cohérence dans la prise de décision et l’intérêt de traiter des affaires semblables de la même façon sont des objectifs importants qui favorisent la primauté du droit, l’absence d’unanimité est le prix à payer pour la liberté de décision et l’indépendance accordées aux décideurs administratifs — En matière de recherche des faits, une uniformité parfaite ne peut être attendue ou exigée — Il peut exister des résultats différents pour des affaires en apparence semblables considérant que les demandes d’asile découlent de circonstances personnelles uniques et qu’elles doivent toujours être examinées dans leur contexte particulier — En l’espèce, après un examen détaillé des éléments de preuve, la SAR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de réfuter le premier volet du critère relatif à la PRI — Le demandeur n’a pas établi que les deux décisions invoquées représentaient une pratique de longue date ou une jurisprudence interne constante de la CISR — Non plus qu’il y avait d’autres raisons de penser que la SAR aurait été ou aurait dû être au courant de ces décisions — Ainsi, les décisions antérieures n’étaient pas contraignantes pour le membre de la SAR — Il incombait au membre de déterminer lui-même si Mexico était une PRI viable pour un homosexuel comme le demandeur — Les conclusions différentes tirées par différents panels après l’examen des mêmes éléments de preuve n’indiquaient pas un défaut fondamental dans l’analyse de ces éléments de preuve par la SAR — La décision de la Section d’appel des réfugiés a été annulée et l’affaire a été renvoyée pour réexamen par un autre décideur — Demande accueillie.
Guzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (IMM-189-23, 2024 CF 433, juge Norris, motifs du jugement en date du 18 mars 2024, 24 p.)