[2022] 3 R.C.F. F-18
Citoyenneté et Immigration
Pratique en matière d’immigration
Demande de contrôle judiciaire de décisions prises par un agent de liaison (agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) annulant les demandes d’autorisation de voyage électronique (AVE) des demandeurs, les empêchant ainsi d’embarquer à bord de vols de Budapest à Toronto — Les demandeurs sont des citoyens de la Hongrie — Ils ont allégué que l’agent n’avait pas le pouvoir, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’annuler les AVE, et que les décisions de l’agent étaient discriminatoires — Les agents de l’ASFC ont été formés pour détecter des « indicateurs » révélant que les voyageurs pourraient avoir faussement présenté le véritable but de leur voyage au Canada — Les demandeurs ont soutenu que l’indicateur « associés à des réfugiés », appliqué aux voyageurs roms de Hongrie ou aux voyageurs associés aux Roms, était discriminatoire et contrevenait au droit international de la personne ainsi qu’au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés — Ils ont affirmé que l’utilisation de cet indicateur par les agents de liaison de l’ASFC a porté préjudice à un grand nombre de ressortissants hongrois et de voyageurs roms et ils espéraient créer un précédent pour mettre fin à cette pratique — Dans le dossier IMM-2967-19, les demandeurs sont un homme et son épouse — Les demandeurs dans ce dossier prévoyaient venir au Canada pour rencontrer la sœur de la demanderesse qui devait subir une chirurgie — La sœur de la demanderesse et les membres de sa famille ont tous le statut de réfugié au Canada — Lorsque les demandeurs sont arrivés à l’aéroport de Budapest, ils ont fait l’objet d’un contrôle effectué par le personnel de BUD Security Kft (BudSec), lequel a consulté un agent à Vienne en Autriche; on leur a ensuite refusé l’embarquement à bord du vol à destination du Canada — Les demandeurs ont été informés que leurs AVE étaient annulés parce que les hôtes chez qui ils devaient se rendre n’avaient pas de statut et étaient des réfugiés au sens de la Convention — Dans le dossier IMM-5570-19, les demandeurs sont également un homme et son épouse, et leurs enfants — La famille a obtenu des AVE pour voyager au Canada pendant 7 jours et ils ont acheté des billets aller-retour en partance de Budapest — On leur a également refusé l’embarquement à bord de leur vol à la suite d’un contrôle à l’aéroport, après que le personnel de BudSec a communiqué avec l’agent qui a découvert que le chauffeur des demandeurs au Canada était un réfugié au sens de la Convention — Les AVE des demandeurs ont donc été annulées et ils se sont vus refuser l’embarquement — Les deux demandes ont été entendues ensemble — Il s’agissait de déterminer si l’agent était légalement autorisé à annuler les AVE des demandeurs, si les décisions de l’agent étaient discriminatoires et de déterminer quels étaient les recours appropriés — L’obligation pour les ressortissants étrangers prescrits d’avoir une AVE valide pour entrer au Canada est en vigueur depuis novembre 2016 — En vertu de l’article 12.07 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, les agents de liaison sont autorisés à annuler des AVE sous réserve de certaines conditions, notamment si l’étranger est interdit de territoire ou s’il n’est plus habilité, aux termes de l’article 12.06, à en détenir une — Bien que le défendeur ait admis que les présentes demandes devaient être accueillies au motif qu’elles étaient déraisonnables et soulevaient un manquement à l’équité procédurale, les demandeurs ont soutenu que les décisions comportaient d’autres lacunes fondamentales — Selon les demandeurs, le pouvoir d’examen conféré à l’agent de l’ASFC se limite géographiquement aux points d’entrée au Canada — Les demandeurs ont fait valoir que la Loi ne peut pas être interprétée de manière à autoriser son application à l’étranger contre d’éventuels réfugiés et des personnes « associées à des réfugiés » — Il n’a pas été établi que l’agent avait procédé à un examen des demandeurs à l’étranger avant de décider d’annuler leurs AVE — L’agent se trouvait à Vienne, en Autriche et il n’avait aucun contact direct avec les demandeurs — L’employé de BudSec avait été embauché par Air Canada et non par l’ASFC — Les décisions de l’agent étaient fondées sur de l’information fournie par un agent de sécurité privé à l’emploi du transporteur et sur d’autres renseignements figurant dans le système — Il ne s’agissait pas d’un contrôle de ressortissants étrangers, mais plutôt d’une aide apportée à un transporteur aérien pour qu’il s’acquitte de son obligation de s’assurer que les voyageurs qu’il transporte ont le droit d’entrer au Canada — Bien que les parties aient convenu que les exigences prévues à l’article 12.07 de la Loi n’avaient été satisfaites dans aucun des deux cas, cela ne signifiait pas que l’agent était totalement dépourvu de pouvoirs légaux pour annuler les AVE — Quant à l’allégation de pratique discriminatoire, une décision discriminatoire est intrinsèquement déraisonnable parce qu’elle est fondée sur des considérations non pertinentes, ou elle est injuste sur le plan de la procédure parce qu’elle trahit une crainte raisonnable de partialité — Les motifs d’un décideur doivent être cohérents et justifiés à la lumière des contraintes juridiques et factuelles pertinentes — La preuve n’établissait pas l’existence d’un programme coordonné par l’ASFC pour interdire les voyageurs à l’étranger uniquement au motif qu’ils sont des Roms ou associés à des demandeurs d’asile roms au Canada — En l’espèce, l’agent n’a rendu aucune décision en lien avec l’origine ethnique des demandeurs — L’agent a plutôt mis l’accent sur le statut d’immigrant des hôtes qui devaient accueillir les demandeurs — Il incombait aux demandeurs de démontrer que l’utilisation par l’ASFC d’« indicateurs » en lien avec les voyageurs hongrois, y compris le statut d’immigrant de leurs hôtes au Canada, constituait de la discrimination en droit — Toutefois, les demandeurs ne se sont pas acquittés de ce fardeau — À la lumière de cette conclusion, il n’était pas nécessaire d’examiner l’argument des demandeurs portant que les décisions de l’agent contrevenaient au droit international de la personne ni d’examiner les arguments des demandeurs concernant la Charte — Les demandeurs demandaient un jugement déclaratoire afin de mettre un terme à la politique illégale et discriminatoire qui pourrait les viser à nouveau à l’avenir — Le jugement déclaratoire est un recours discrétionnaire restreint qui n’est accessible que dans les cas où la Cour a compétence pour entendre une question et où le conflit est réel et non théorique, où la partie qui soulève la question a un intérêt authentique pour sa résolution et où la déclaration aura une utilité concrète (en ce sens qu’elle règlera une controverse active entre les parties) — En l’espèce, aucune utilité concrète n’aurait été tirée d’un jugement déclaratoire — La Cour a conclu que l’agent était légalement autorisé à annuler les AVE des demandeurs, bien que les critères ayant servi à appliquer ces pouvoirs n’étaient pas satisfaits dans ni l’un ni l’autre des cas — Bien que la Cour ait conclu que l’utilisation par l’ASFC d’« indicateurs » ne constitue pas une pratique discriminatoire, le défendeur doit s’assurer que l’application d’indicateurs aux voyageurs roms, ou à ceux qu’on associe à des Roms, n’entraîne pas par mégarde une décision discriminatoire — Demandes accueillies et AVE rétablies.
Kiss c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (IMM-2967-19, IMM-5570-19, 2023 CF 1147, juge Fothergill, motifs du jugement en date du 24 août 2023, 32 p.)