[2022] 2 R.C.F. F-32
Forces armées
Contrôle judiciaire de la décision du chef d’état-major de la Défense par intérim à titre d’autorité de dernière instance (ADI) concernant un grief déposé par le demandeur — Le demandeur, maintenant retraité des Forces armées canadiennes (FAC), a été affecté en Afghanistan en 2012 en tant qu’officier principal du renseignement pour la Force opérationnelle canadienne — Il a été rapatrié de l’Afghanistan avant la fin prévue de l’affectation sur la base d’un rapport de son commandant qui faisait allusion à des évaluations négatives fondées sur des événements qui se sont produits dans le théâtre des opérations, à des allégations de harcèlement sexuel et à une infraction relative aux armes — Le demandeur a déposé un grief, alléguant que le processus était inéquitable et que le rapatriement n’était pas justifié — Le grief a été renvoyé au Comité externe d’examen des griefs militaires (CEEGM) — Le CEEGM a publié un rapport concluant que les allégations figurant dans le grief étaient fondées et recommandant diverses mesures de redressement — Ce rapport faisait référence au chef d’état-major de la Défense par intérim dont la décision reflétait en grande partie celle du CEEGM — Essentiellement, le chef d’état-major de la Défense par intérim a conclu que le rapatriement du demandeur était injuste, que le commandant et d’autres personnes ont généré plusieurs rapports négatifs contre le demandeur afin de présenter des arguments justifiant un rapatriement, que le processus approprié n’a pas été suivi concernant : la gestion du rendement du demandeur, la décision concernant le rapatriement, le traitement de la plainte pour harcèlement sexuel — Le demandeur n’étant pas heureux de cette décision, il a demandé un contrôle judiciaire sur la base que le processus fut injuste et que plusieurs des conclusions établies (ou pas) par le chef d’état-major de la Défense par intérim ne concordaient pas avec la preuve au dossier — Le demandeur se demandait aussi si le chef d’état-major de la Défense par intérim avait le pouvoir légal d’agir à titre d’autorité de dernière instance dans son cas — Plus précisément, le demandeur était d’avis que les FAC devraient être tenues de prendre les mesures nécessaires pour laver entièrement son nom de façon définitive, rétablir sa réputation, réparer une partie des torts causés, et tenir les coupables responsables de leurs actes — Il s’agissait de savoir si la décision était déraisonnable — Le demandeur a soutenu que le commandant avait agi avec malice et qu’une enquête sur son comportement aurait dû être lancée — Cependant, ce n’est pas le rôle de la Cour de rendre une telle décision dans un contrôle judiciaire — Au lieu de cela, la question consiste à déterminer si la décision du chef d’état-major de la Défense par intérim de ne pas ordonner d’enquête était déraisonnable — La décision repose sur les faits, compte tenu du droit, et le raisonnement est expliqué de façon logique — Le chef d’état-major de la Défense par intérim a tenu compte de la preuve — L’ADI disposait d’une grande latitude dans ce contexte — Pour ces raisons, la décision du chef d’état-major de la Défense par intérim de ne pas ordonner d’enquête n’était pas déraisonnable — Même s’il a fallu huit ans pour gérer le grief du demandeur , en ce qui concerne le droit, un retard dans les procédures administratives, en soi, ne rend pas ces procédures injustes — Ce n’est que lorsque la capacité d’une partie à participer à la procédure est minée, par exemple par la difficulté de recueillir ou présenter une preuve, que le retard peut justifier l’annulation d’une décision — En l’espèce, le demandeur n’a pas dit qu’il a subi ce type de préjudice — Ses arguments étaient davantage liés au bien-fondé de la décision — Par conséquent, c’est le caractère raisonnable de la décision qui devait être évalué — La décision du chef d’état-major de la Défense par intérim de tenir compte du temps écoulé dans l’évaluation des formes de redressement appropriées n’était pas déraisonnable — Au moment où le chef d’état-major de la Défense par intérim a examiné l’affaire, il ne pouvait pas remonter dans le temps, il n’aurait pas été approprié de faire fi du fait qu’une longue période s’était écoulée depuis les incidents en question, que la mission du Canada en Afghanistan avait pris fin, et que le demandeur avait pris sa retraite des FAC — Ces faits étaient pertinents en ce qui concerne la décision du chef d’état-major de la Défense par intérim, et il a expliqué comment et pourquoi il en a tenu compte au moment de rendre sa décision — Pour ces raisons, le retard dans cette affaire n’a pas entraîné de déni d’équité procédurale, pas plus qu’il était déraisonnable pour le chef d’état-major de la Défense par intérim de tenir compte du temps écoulé et des événements en cause pour déterminer le redressement — En ce qui concerne l’omission par le chef d’état-major de la Défense par intérim de fournir un redressement complet , deux omissions fatales dans la décision devaient être réexaminées — L’analyse et la justification de la plupart des aspects de la décision concernant le redressement sont expliquées de façon généralement claire et logique, à l’exception de la compensation financière et de la lettre d’excuse — À l’exception de ces deux éléments, la décision concernant le redressement était raisonnable — Depuis le tout début de la procédure, le demandeur a été clair : il voulait laver publiquement son nom, et il voulait une compensation pour les pertes financières tangibles qu’il a subies en conséquence d’une décision injustifiée de le rapatrier peu de temps après son déploiement — Toutefois, l’analyse contenue dans la décision ne contenait aucune excuse ni aucun moyen de fournir une certaine compensation financière — L’omission complète de discuter de la possibilité de fournir des excuses et de la possibilité d’un paiement à titre gracieux pour fournir une certaine compensation financière rendait la décision déraisonnable — L’absence de toute analyse de ces deux aspects centraux du grief du demandeur était suffisamment grave pour justifier l’annulation de la décision et son renvoi pour réexamen, mais seulement en lien avec ces deux points précis — Sur la question de l’équité procédurale, il n’y a pas eu de déni d’équité procédurale — Le demandeur a eu amplement l’occasion de connaître la nature de l’affaire dont le décideur était saisi, et il a eu la possibilité de présenter des observations avant que le chef d’état-major de la Défense par intérim rende la décision finale — Enfin, sur la question de savoir si le chef d’état-major de la Défense par intérim avait le pouvoir légal de rendre une décision , le demandeur a soutenu que rien n’indiquait que le chef d’état-major de la Défense souffrait d’un empêchement au sens où ce terme est généralement entendu comme supposant une incapacité physique ou psychologique et que, compte tenu de cela, les conditions préexistantes d’exercice du pouvoir par le ministre de la Défense nationale au titre de l'artilcle 18.2 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5 (LDN) n’étaient pas respectées — Cet argument a été rejeté — Aucun mot restrictif ou de définition des termes « absence ou empêchement » ne figure dans la LDN — Il n’y avait aucun fondement au dossier dans la présente affaire permettant d’aller au-delà de cette désignation ou de remettre autrement en question le pouvoir par le chef d’état-major de la Défense par intérim de rendre la décision à titre d’autorité de dernière instance — Demande accueillie en partie.
Beddows c. Canada (Procureur général) (T-1683-21, 2023 CF 919, juge Pentney, motifs du jugement en date du 4 juillet 2023, 58 p.)