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Dette fiscale — Appel interjeté à l’égard d’un jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) (2019 CCI 150), qui a confirmé la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) en application de l’art. 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, et rejeté l’appel au motif que la contrepartie offerte par l’appelante dans le cadre de la compensation n’était pas suffisante, de sorte que l’art. 160(1) s’appliquait — L’art. 160(1) dispose que, dans le cas d’un transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance, le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables de toute somme payable par l’auteur du transfert en application de la Loi pour l’année d’imposition au cours de laquelle le transfert a eu lieu et les années précédentes — Aux termes de l’art. 160(1)e), le bénéficiaire du transfert est responsable du paiement jusqu’à concurrence de l’excédent de la juste valeur marchande des biens transférés sur la juste valeur marchande de la contrepartie offerte — Cette disposition s’applique même si l’auteur ou le bénéficiaire du transfert ignoraient l’existence d’une dette fiscale au moment du transfert — L’appelante, une société affiliée ayant un lien de dépendance (l’ancienne société) et leur unique actionnaire, M. Piche, ont entrepris une réorganisation ayant mené, au terme de plusieurs opérations prédéterminées, au transfert des actifs de l’ancienne société à l’appelante — Selon l’intimée, ces opérations constituaient une série s’étant soldée par le paiement d’une contrepartie insuffisante à l’ancienne société par l’appelante en échange des biens transférés; l’appelante était donc responsable du paiement de l’obligation sous le régime de l’art. 160(1) — La C.C.I. a rejeté la prétention de l’intimée fondée sur le résultat global de la série — Cependant, la C.C.I. a conclu qu’une seule opération au cours de la réorganisation avait entraîné l’application de l’art. 160(1), et a confirmé la cotisation sur ce fondement — L’appelante a affirmé que la C.C.I. avait conclu à bon droit que le résultat global de la série d’opérations n’entraînait pas l’application de l’art. 160(1), mais elle a soutenu que la C.C.I. avait confirmé à tort la cotisation sur le fondement de l’opération qu’elle avait mentionnée — L’intimée a contesté la conclusion de la C.C.I. sur le résultat global de la série et a soutenu que l’art. 160(1) s’appliquait en raison d’une opération distincte de celle sur laquelle s’était fondée la C.C.I. — Les opérations de réorganisation ont toutes été effectuées en mars 2002 — En 2003, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’ancienne société pour ses années d’imposition 2000 et 2001; l’impôt à payer était de 13 368,48 $ — En 2004, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’ancienne société pour son année d’imposition 2002; l’impôt à payer s’élevait à 113 366,10 $ — En mars 2014, le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelante sous le régime de l’art. 160(1) de la Loi; le montant ainsi cotisé s’élevait à 287 223,51 $ — Aux termes de cette cotisation, l’appelante était solidaire de la dette fiscale de l’ancienne société établie pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2002, en plus des intérêts courus, du fait qu’elle n’avait pas offert une contrepartie suffisante pour les biens que lui avait transférés l’ancienne société le 19 mars 2002 — Il s’agissait de savoir si l’existence et la valeur de la contrepartie donnée par l’appelante à l’ancienne société doivent être déterminées au moment où les biens ont été transférés à l’appelante, comme l’a indiqué la C.C.I., ou au terme de la réorganisation à la lumière du résultat global, comme l’a affirmé l’intimée — L’intimée a fait valoir à titre de question préliminaire que l’actionnaire, M. Piche, était au courant de la possibilité d’obligations indéterminées, y compris des dettes fiscales, et que la réorganisation constituait un moyen de ne pas s’en acquitter — Le droit est sans équivoque : l’application de l’art. 160(1) n’est pas subordonnée à l’intention de se dérober au paiement d’une dette fiscale; toutefois, un mobile illicite peut jouer sur la manière dont la Cour évalue les opérations et leurs répercussions — Il n’était pas loisible à l’intimée d’invoquer cet argument à une étape avancée de la procédure, après avoir choisi de ne pas contester le témoignage de M. Piche au procès — L’art. 160(1) a pour objet de supprimer pour le fisc toute vulnérabilité découlant d’un transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance fondé sur une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande des biens transférés — Les quatre critères essentiels à l’application de l’art. 160(1) sont « clair[s] » et « se révèlent évidents » : 1) l’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert; 2) il doit y avoir eu transfert de biens; 3) le bénéficiaire du transfert doit être une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance ou un autre bénéficiaire désigné; 4) la juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert — En l’espèce, les trois premiers critères n’étaient pas sujets à controverse — La seule question était de savoir si l’appelante avait offert une contrepartie suffisante en échange des biens que lui avait transférés l’ancienne société — Le concept de la « série d’opérations » permet aux cours d’examiner le résultat global visé lorsqu’il s’agit de déterminer l’effet juridique de la série, mais ce concept ne s’applique que dans le cas où, comme en l’espèce, chacune des opérations avait un objet valable non fiscal — Ce concept est étranger à l’application de l’art. 160(1) — De même, l’énoncé liminaire de l’art. 160(1) (« [l]orsqu’une personne a [. . .] transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon ») vise toutes les formes de transferts, y compris ceux qui résultent de l’effet combiné de multiples opérations, que ces dernières soient prédéterminées ou non — En l’espèce, les actifs associés à la nouvelle société ont été transférés au moyen d’une simple opération à la troisième étape de la réorganisation; il n’était donc pas nécessaire de renvoyer au libellé général de l’énoncé liminaire de la disposition pour déterminer le transfert — Fait important, cet énoncé liminaire rédigé en termes généraux vise à élargir la notion de transfert; il n’intervient pas dans l’examen de la suffisance de la contrepartie offerte en échange des biens faisant l’objet du transfert, laquelle question tombe sous le coup de l’art. 160(1)e)(i) — À défaut d’un subterfuge ou d’une disposition légale à l’effet contraire – rien de tel ne jouait dans la présente affaire – l’intimée ne pouvait faire fi du transfert des biens de l’ancienne société à la nouvelle société réalisé en échange d’une contrepartie égale à la juste valeur marchande de ces biens au moment du transfert — Enfin, un transfert de biens intervient instantanément, tant en droit civil qu’en common law — Le moment précis et manifeste où le transfert a lieu sous le régime de chacun des systèmes juridiques fonde le choix du législateur qui a prévu, d’une part, que la valeur des biens est déterminée au moment du transfert et, d’autre part, que la valeur de la contrepartie est déterminée à ce moment — La C.C.I. a conclu à bon droit que la contrepartie doit être évaluée en fonction des biens faisant l’objet du transfert au moyen d’un « instantané » pris au moment du transfert — En l’espèce, personne n’a prétendu que l’appelante n’avait pas donné une contrepartie suffisante à l’ancienne société à ce moment — De son propre chef, la C.C.I. a conclu que la compensation réciproque des billets à ordre, à savoir la sixième étape de la réorganisation, constituait une opération distincte s’étant soldée par un transfert pour lequel une contrepartie insuffisante avait été donnée à l’ancienne société — Il n’était pas loisible à la C.C.I. de conclure que le billet à ordre émis par la nouvelle société avait une valeur « considérable » tandis que celui émis par l’ancienne société avait une valeur « symbolique », car les deux instruments étaient adossés aux mêmes biens — Quelle que soit la valeur du billet à ordre émis par la nouvelle société, les biens adossés au billet à ordre émis par l’ancienne société ne pouvaient valoir moins, et vice versa — Le billet à ordre émis par l’ancienne société représentait une véritable créance d’une valeur de 30 M$ — Le droit est sans équivoque : le règlement d’une véritable dette ne fait pas jouer l’art. 160(1), et c’est ce qui s’est produit lorsque les billets ont été éteints — Il s’en est suivi qu’il n’était pas loisible à la C.C.I. de confirmer la cotisation pour cet autre motif — En dernier ressort, le nouvel argument de l’intimée pour justifier la cotisation, à savoir que même si le billet à ordre d’une valeur nominale de 30 M$ a été émis afin d’effectuer le rachat des actions de catégorie C de l’ancienne société dans le cadre de la réorganisation, cette dernière n’a en réalité rien reçu en retour, a été rejeté — Appel accueilli.

Eyeball Networks Inc. c. Canada (A-308-19, 2021 CAF 17, juge en chef Noël, motifs du jugement en date du 29 janvier 2021, 24 p.)

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