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Référence :

Almrei (Re), 2008 CF 1216, [2009] 3 R.C.F. 497

DES-3-08

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR);

ET le dépôt de ce certificat devant la Cour fédérale en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR;

ET Hassan ALMREI

Répertorié : Almrei (Re) (C.F.)

Cour fédérale, juge en chef Lutfy—Toronto, 26 septembre et 1er octobre; Ottawa, 3 novembre 2008.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Certificat de sécurité — Requête contestant la règle énoncée aux art. 85.4(2) et 85.5b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) selon laquelle les communications entre les avocats spéciaux et d’autres personnes doivent être autorisées par le juge au motif que cette contrainte empiète sur les art. 2b) et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés — En 2008, une loi qui officialisait la participation d’avocats spéciaux dans les instances relatives aux certificats ministériels est entrée en vigueur — De nouveaux certificats ont été déposés devant la Cour fédérale au motif que le défendeur et les trois intervenants (les personnes désignées) étaient interdits de territoire au Canada pour raisons de sécurité — Comme la requête s’appuyait sur un nombre restreint de faits en litige ou d’éléments de preuve, il était prématuré de se demander si les dispositions contestées de la LIPR enfreignaient la Charte — Selon l’art. 85.1(4) de la LIPR, toute communication entre la personne désignée et l’avocat spécial est « réputée » être protégée — Cependant, le dossier factuel n’établissait pas que chaque demande d’autorisation de communiquer faite par les avocats spéciaux impliquera nécessairement des renseignements réputés protégés par l’art. 85.1(4) — Requête rejetée.

Droit constitutionnel — Charte des droits— Vie, liberté et sécurité — Le droit d’une personne de connaître la preuve produite contre elle n’est pas absolu — Il faut soit communiquer au résident permanent ou à l’étranger les renseignements nécessaires, soit trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel pour respecter l’art. 7 — L’obligation de l’avocat spécial, prévue à l’art. 85.4 de la LIPR, d’obtenir l’autorisation du juge avant de communiquer avec la personne désignée ou avec son avocat n’est pas une intrusion illicite dans les communications entre l’avocat et son client et dans le privilège relatif au litige — Le secret professionnel liant l’avocat et son client n’est pas absolu — La volonté d’éviter une atteinte à la sécurité nationale peut justifier une entorse aussi minimale que possible au privilège.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Les audiences à huis clos et les limites à l’aptitude des avocats spéciaux de communiquer librement empiètent sur le principe des audiences publiques et sur la liberté d’expression garantie par l’art. 2b) de la Charte — Cependant, la règle selon laquelle les renseignements confidentiels intéressant la sécurité nationale doivent être reçus dans des audiences à huis clos a été confirmée en vertu de l’article premier par la Cour suprême du Canada — Bien que la question en l’espèce soit nouvelle, la Cour n’a pas été convaincue que la possibilité d’obtenir du juge l’autorisation de communiquer ne portait pas le moins possible atteinte aux droits des personnes désignées ou des avocats spéciaux garantis par l’art. 2b) de la Charte.

Interprétation des lois — Le Parlement est présumé légiférer d’une manière qui n’entraîne pas de conséquences absurdes ou injustes — Il n’aurait pu vouloir que les art. 85.4(2) et 85.5b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoyant l’autorisation d’un juge avant de pouvoir communiquer empêchent les avocats spéciaux de communiquer avec leurs collègues et d’autres personnes dans certaines circonstances.

Il s’agissait d’une requête contestant la règle, énoncée au paragraphe 85.4(2) et à l’alinéa 85.5b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), selon laquelle les communications entre les avocats spéciaux et d’autres personnes doivent être autorisées par le juge au motif que cette contrainte empiète sur la liberté d’expression et sur les principes de justice fondamentale dont parlent l’alinéa 2b) et l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. En 2008, une loi qui officialisait la participation d’avocats spéciaux dans les instances relatives aux certificats ministériels, qui sont régies par la section 9 de la LIPR, est entrée en vigueur. L’avocat spécial protège, dans les audiences à huis clos, les intérêts de la personne désignée. Cette modification découle de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) portant que les procédures antérieures exposées dans la section 9 enfreignaient l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu’elles ne pouvaient pas être légitimées par l’article premier de la Charte. Lorsque la loi a été présentée, le ministre de la Sécurité publique et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ont signé puis déposé devant la Cour fédérale de nouveaux certificats précisant que le demandeur et les trois intervenants (collectivement, les personnes désignées) étaient interdits de territoire au Canada pour raisons de sécurité. Le défendeur (Almrei) a affirmé que le paragraphe 85.4(2) et l’alinéa 85.5b), les dispositions contestées, portent atteinte aux droits garantis par la Charte aux personnes désignées en leur niant une audience équitable, en portant atteinte à la liberté d’expression des avocats spéciaux et en contrevenant au principe des audiences publiques.

La question litigieuse était celle de savoir si les dispositions contestées de la LIPR contreviennent à l’article 7 et à l’alinéa 2b) de la Charte.

Jugement : la requête doit être rejetée.

La requête s’appuyait sur un nombre restreint de faits en litige ou d’éléments de preuve, voire aucun. Elle était, pour l’essentiel, fondée sur des faits législatifs. Il était donc prématuré de se demander si les dispositions contestées, telles qu’elles ont été appliquées dans les instances en cours, devraient survivre à un examen selon l’alinéa 2b) et l’article 7 de la Charte.

Le droit d’une personne, prévu à l’article 7 de la Charte, de connaître la preuve produite contre elle n’est pas absolu. Pour que l’article 7 soit respecté, il faut soit communiquer au résident permanent ou à l’étranger les renseignements nécessaires, soit trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel. La preuve en l’espèce ne suffisait pas à dire d’une manière définitive si les nouvelles dispositions offrent, au sens de l’arrêt Charkaoui, une « autre façon d’informer suffisante ».

L’obligation de l’avocat spécial d’obtenir l’autorisation du juge avant de pouvoir communiquer avec la personne désignée ou avec son avocat n’est pas une intrusion illicite dans les communications entre l’avocat et son client et dans le privilège relatif au litige, qui sont aussi visés par l’article 7 de la Charte. Selon le paragraphe 85.1(3) de la LIPR, la relation qui existe entre l’avocat spécial et la personne désignée n’est pas celle qui existe entre un avocat et son client. Cependant, selon le paragraphe 85.1(4), toute communication entre la personne désignée et l’avocat spécial est « réputée » relever du secret professionnel liant l’avocat et son client et est donc réputée être protégée. Néanmoins, le secret professionnel liant l’avocat et son client n’est pas absolu. La volonté d’éviter une atteinte à la sécurité nationale peut justifier une entorse au privilège dans la mesure où elle ne dépasse pas ce qu’exigent les circonstances. Qui plus est, le dossier factuel n’établissait pas que chaque demande d’autorisation de communiquer faite par les avocats spéciaux impliquera nécessairement des renseignements réputés protégés par le paragraphe 85.1(4).

Les audiences à huis clos ainsi que les limites à l’aptitude des avocats spéciaux de communiquer librement empiètent sur le principe des audiences publiques et sur la liberté d’expression qui est garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. Cependant, la règle selon laquelle les renseignements confidentiels intéressant la sécurité nationale doivent être reçus dans des audiences à huis clos a été confirmée en vertu de l’article premier par la Cour suprême du Canada. Bien que la question des communications entre les avocats spéciaux et les personnes désignées en cause en l’espèce ait été nouvelle, la Cour n’a pas été convaincue que la possibilité d’obtenir du juge l’autorisation de communiquer ne porte pas le moins possible atteinte aux droits des personnes désignées ou des avocats spéciaux garantis par l’alinéa 2b) de la Charte. Le point est donc resté en suspens jusqu’à présentation d’un contexte factuel approprié.

S’agissant de la réparation subsidiaire sollicitée, trois points de fait ne soulevaient pas de questions constitutionnelles et pouvaient être décidés selon les principes de l’interprétation des lois. Le Parlement est présumé légiférer d’une manière qui n’entraîne pas de conséquences absurdes ou injustes. Ainsi, il n’aurait pu vouloir que les dispositions contestées empêchent les avocats spéciaux de communiquer avec leurs collègues et leurs familles concernant l’endroit où ils se trouvent pendant l’audience, à propos du soutien administratif et des ressources dont ils bénéficient avec les fonctionnaires chargés de les leur procurer selon le paragraphe 85(3) de la LIPR et entre eux dans la même instance d’une manière sécuritaire, après qu’ils ont tous deux reçu les renseignements confidentiels.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2, 3, 7.

Civil Procedure (Amendment No. 2) Rules 2005, S.I. 2005/656, art. 76.25(3)(d).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 34.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 79 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), 82.3 (édicté, idem), 83(1)d) (mod., idem), 85(1) (mod., idem), (3) (mod., idem), 85.1 (édicté, idem), 85.2 (édicté, idem), 85.4 (édicté, idem), 85.5 (édicté, idem).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions différenciées :

Canada (Procureur général) c. Khawaja, [2008] 1 R.C.F. 621; 2007 CF 463; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3; 2002 CSC 75.

décisions examinées :

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350; 2007 CSC 9; Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519; 2002 CSC 68.

décisions citées :

Charkaoui (Re), [2005] 2 R.C.F. 299; 2004 CAF 421; Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 1 R.C.S. 44; 2000 CSC 2; R. c. Spence, [2005] 3 R.C.S. 458; 2005 CSC 71; R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668; R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445; 2001 CSC 14; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.C.S. 574; 2008 CSC 44; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, [2002] 3 R.C.S. 209; 2002 CSC 61; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), [2004] 2 R.C.S. 248; 2004 CSC 42.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l’antiterrorisme (fascicule n7, 2 juin 2008).

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham : LexisNexis Canada, 2008.

REQUÊTE contestant la règle, énoncée au paragraphe 85.4(2) et à l’alinéa 85.5b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, selon laquelle les communications entre les avocats spéciaux et d’autres personnes doivent être autorisées par un juge au motif que cette contrainte empiète sur l’alinéa 2b) et l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Requête rejetée.

ONT COMPARU :

Marianne Zoric et Alexis Singer pour le demandeur.

Lorne Waldman pour le défendeur.

Barbara L. Jackman, Marlys A. Edwardh, Adriel Weaver, Matthew C. Webber et Norman D. Boxall pour les intervenants.

John R. Norris et Anil K. S. Kapoor à titre d’avocats spéciaux.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Waldman & Associates, Toronto, pour le défendeur.

Jackman & Associates, Toronto, Marlys Edwardh, Barristers Professional Corporation, Toronto, Anil K. S. Kapoor, Toronto, Webber Schroeder, Ottawa, et Bayne, Sellar, Boxall, Ottawa, pour les intervenants.

John R. Norris et Anil K. S. Kapoor, Toronto, à titre d’avocats spéciaux.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1] Le juge en chef Lutfy : C’est uniquement avec l’autorisation d’un juge que les avocats spéciaux peuvent communiquer avec une autre personne sur une instance relative à un certificat ministériel. J’expose ci-après les motifs qui m’amènent à conclure que la contestation constitutionnelle de cette exigence, sans un contexte factuel adéquat, est prématurée. Cependant, il sera répondu selon les principes de l’interprétation des lois à certaines des questions soulevées dans la présente requête.

L’historique de la procédure

[2] La partie requérante, Hassan Almrei, et trois intervenants, Mohamed Zaki Majoub, Mahamoud Jaballah et Mohamed Harkat, contestent la règle selon laquelle les communications entre les avocats spéciaux et d’autres personnes, et en particulier eux-mêmes et leurs avocats, doivent être autorisées par le juge. D’après eux, cette contrainte empiète d’une manière injustifiable sur leur liberté d’expression et sur les principes de justice fondamentale dont parlent l’alinéa 2b) et l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte).

[3] Le 22 février 2008, entrait en vigueur une loi qui officialisait la participation d’avocats spéciaux dans les instances relatives aux certificats ministériels. Ces instances sont régies par la section 9 [de la partie 1] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[4] Un an auparavant, dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350 (l’arrêt Charkaoui), la Cour suprême du Canada jugeait que les procédures antérieures exposées dans la section 9 n’étaient pas conformes aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte et qu’elles ne pouvaient non plus être légitimées par l’article premier de la Charte parce qu’elles ne portaient pas le moins possible atteinte aux droits des non-citoyens (aux paragraphes 65, 69 et 139).

[5] En outre, le 22 février 2008, le ministre de la Sécurité publique et le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (les ministres) signaient, puis déposaient devant la Cour fédérale, de nouveaux certificats précisant que MM. Almrei, Mahjoub, Jaballah et Harkat étaient interdits de territoire pour raisons de sécurité. Un cinquième certificat ministériel fut délivré à l’encontre d’Adil Charkaoui, qui a décidé de ne pas intervenir dans la présente contestation constitutionnelle.

[6] De la fin de février jusqu’en juin 2008, il y a eu, en marge des cinq certificats délivrés, quelque six conférences communes de gestion de l’instance. Au début d’avril, de possibles conflits d’intérêts portant sur la nomination d’avocats spéciaux ont été résolus par le juge Edmond Blanchard. Le 6 mai 2008, un juge fut désigné pour présider chacune des instances. Au début de juillet, le juge James K. Hugessen a présidé une médiation fructueuse portant sur une demande de fonds additionnels pour les avocats.

[7] À la mi-juin 2008, deux avocats spéciaux avaient été nommés dans chacune des instances concernées. Simultanément, des ordonnances de planification furent rendues, qui de façon générale autorisaient les avocats spéciaux à examiner les renseignements confidentiels au cours des mois d’été. Les audiences à huis clos et audiences publiques ont débuté à diverses dates, en septembre et octobre 2008.

[8] Le 22 juillet 2008, M. Almrei a déposé son dossier de requête au soutien de la présente contestation constitutionnelle (la requête constitutionnelle). Les ministres et MM. Jaballah et Majoub (auxquels s’en remet également M. Harkat) ont déposé rapidement leurs dossiers de réponse à la requête. Les avocats spéciaux ont été autorisés à présenter des conclusions écrites et orales uniquement aux fins de la requête constitutionnelle, sans que soit déterminé leur rôle dans de futures audiences publiques. Les conclusions orales ont été reçues le 26 septembre et le 1er octobre 2008.

[9] Aucune des parties n’a mis en doute le pouvoir d’un juge désigné de statuer sur la présente requête constitutionnelle : Charkaoui (Re), [2005] 2 R.C.F. 299 (C.A.F.), aux paragraphes 21 à 62. Il était en outre opportun et juste de traiter la présente requête comme partie de l’instance désignée de M. Almrei, sans que soit ouvert un nouveau dossier d’instruction : Charkaoui (Re), au paragraphe 58. Les trois intervenants ont accepté d’être liés par cette décision, sous réserve des examens en appel dont ils pourraient se prévaloir. En tant que l’un des deux juges responsables de la gestion de l’instance, j’ai entrepris d’instruire la requête constitutionnelle aussi diligemment que possible pour l’avantage de toutes les parties.

Les dispositions constitutionnelles

[10] La présente requête constitutionnelle fait intervenir deux articles de la Charte :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[…]

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

[…]

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[11] Les deux dispositions contestées, selon lesquelles certaines communications des avocats spéciaux doivent être autorisées par un juge, sont le paragraphe 85.4(2) [édicté par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] et l’alinéa 85.5b) [édicté, idem] de la section 9 de la LIPR.

[12] Selon le paragraphe 85.4(1) [édicté, idem], l’avocat spécial reçoit tous les renseignements et autres éléments de preuve qui ne sont pas communiqués (les renseignements confidentiels) au résident permanent ou à l’étranger (la personne désignée). Dans les présents motifs, la partie requérante, M. Almrei, et les trois intervenants, seront appelés collectivement les « personnes désignées ».

[13] Selon le paragraphe 85.4(2), après avoir reçu les renseignements confidentiels, l’avocat spécial ne peut communiquer i) avec qui que ce soit, ii) au sujet de l’instance, iii) si ce n’est avec l’autorisation d’un juge. C’est la portée de ces trois éléments de la disposition qui préoccupe les personnes désignées, leurs avocats et les avocats spéciaux.

[14] L’interdiction de communiquer sans autorisation du juge est réaffirmée dans l’article 85.5 [art. 85.5a) (édicté, idem)] pour toute personne, pas seulement pour l’avocat spécial, et cela, en apparence durant une période qui va au-delà de la « fin de l’instance, » la durée indiquée au paragraphe 85.4(2).

[15] Il y a entre les dispositions contestées deux différences évidentes. D’abord, l’interdiction de communiquer qui est énoncée au paragraphe 85.4(2) s’adresse uniquement à l’avocat spécial. En revanche, l’interdiction énoncée à l’article 85.5 s’étend à quiconque détient des renseignements confidentiels. Deuxièmement, l’interdiction énoncée à l’article 85.5 est applicable en permanence ou, selon les mots employés dans les notes article par article, [traduction] « durant l’instance ou à tout moment par la suite ». En accord avec la permanence apparente de l’interdiction, « tout juge » (a judge), et pas seulement le juge qui préside l’instance, a le pouvoir d’autoriser la communication des renseignements confidentiels.

[16] Le paragraphe 85.4(2) interdit à l’avocat spécial de communiquer « au sujet de l’instance ». Accessoirement, cette interdiction englobe tous les renseignements relatifs à l’instance qui sont issus des audiences publiques ou à huis clos, notamment tout témoignage produit en l’absence du public, de la personne désignée et de son avocat. Ce point de vue ne me cause pas de difficultés, mais la question n’a pas été explicitement soulevée, ni entièrement plaidée.

[17] Les articles 85.4 et 85.5 sont ainsi formulés :

85.4 (1) Il incombe au ministre de fournir à l’avocat spécial, dans le délai fixé par le juge, copie de tous les renseignements et autres éléments de preuve qui ont été fournis au juge, mais qui n’ont été communiqués ni à l’intéressé ni à son conseil.

(2) Entre le moment où il reçoit les renseignements et autres éléments de preuve et la fin de l’instance, l’avocat spécial ne peut communiquer avec qui que ce soit au sujet de l’instance si ce n’est avec l’autorisation du juge et aux conditions que celui-ci estime indiquées.

[…]

85.5 Sauf à l’égard des communications autorisées par tout juge, il est interdit à quiconque :

a) de divulguer des renseignements et autres éléments de preuve qui lui sont communiqués au titre de l’article 85.4 et dont la confidentialité est garantie par le juge présidant l’instance;

b) de communiquer avec toute personne relativement au contenu de tout ou partie d’une audience tenue à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil dans le cadre d’une instance visée à l’un des articles 78 et 82 à 82.2. [Non souligné dans l’original.]

Les questions constitutionnelles

[18] La requête constitutionnelle soulève des questions qui ont été présentées en tant que questions de droit et de fait.

[19] La principale réparation sollicitée est simple. M. Almrei affirme que les dispositions contestées nient aux personnes désignées une audience équitable, portent atteinte à la liberté d’expression des avocats spéciaux et contreviennent au principe des audiences publiques. Ces empiétements, de dire M. Almrei, ne sont pas des atteintes minimales, et les dispositions contestées doivent donc recevoir une interprétation atténuée. Les intervenants affirment que les dispositions contestées doivent être invalidées ou, subsidiairement, recevoir une interprétation atténuée.

[20] Pour M. Almrei, l’obligation énoncée au paragraphe 85.4(2), selon laquelle une autorisation du juge doit être obtenue par l’avocat spécial avant qu’il puisse communiquer « au sujet de l’instance », devrait se limiter aux communications [traduction] « portant sur les renseignements ou éléments de preuve confidentiels ». M. Almrei affirme aussi que l’alinéa 85.5b) devrait être interprété de manière à englober les mots qui apparaissent à la fin de l’alinéa 85.5a) : « et dont la confidentialité est garantie par le juge présidant l’instance ».

[21] Les intervenants donneraient aux dispositions contestées une interprétation atténuée différente. Ils limiteraient la nécessité d’obtenir l’autorisation du juge, tant pour le paragraphe 85.4(2) que pour l’alinéa 85.5b), aux communications pour lesquelles un avocat spécial croit qu’il y a risque de divulgation de renseignements confidentiels. Les intervenants font aussi valoir que l’avocat spécial qui souhaite communiquer et être autorisé à cette fin doit présenter sa demande a) ex parte, autrement dit en l’absence de l’avocat des ministres; b) à un juge autre que le juge présidant l’instance.

Les faits en litige et les faits législatifs intéressant les allégations fondées sur la Charte

[22] Les juridictions de première instance doivent se montrer prudentes avant de déclarer inconstitutionnelle une nouvelle disposition légale.

[23] Il faut en général disposer d’un fondement factuel avant de statuer sur la validité constitutionnelle d’une disposition : Canada (Procureur général) c. Khawaja, [2008] 1 R.C.F. 621 (C.F.) (décision Khawaja), aux paragraphes 26 et 27 :

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues de manière abstraite (MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, à la page 361; Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698).

On a quelque peu réduit la portée de ce principe dans R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668 (aux paragraphes 36 et 37) :

Le simple fait qu’il ne soit pas clair que l’intimé se verra effectivement refuser l’accès à des dossiers susceptibles d’être nécessaires pour pouvoir présenter une défense pleine et entière ne rend pas la demande prématurée. L’intimé n’a pas à prouver que la mesure législative contestée porterait vraisemblablement atteinte à son droit à une défense pleine et entière […]

La question à laquelle il faut répondre est de savoir si le dossier d’appel contient suffisamment de faits pour permettre à la Cour de bien trancher les questions soulevées.

[24] La distinction entre faits en litige et faits législatifs a été exposée par le juge Sopinka dans l’arrêt Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la page 1099 :

Les faits en litige sont ceux qui concernent les parties au litige : […] [traduction] « qui a fait quoi, où, quand, comment et dans quelle intention … » Ces faits sont précis et doivent être établis par des éléments de preuve recevables. Les faits législatifs sont ceux qui établissent l’objet et l’historique de la loi, y compris son contexte social, économique et culturel. Ces faits sont de nature plus générale et les conditions de leur recevabilité sont moins sévères. [Renvois omis.]

(Voir aussi l’arrêt Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 1 R.C.S. 44, au paragraphe 4 et l’arrêt R. c. Spence, [2005] 3 R.C.S. 458, aux paragraphes 56 à 60.)

[25] L’unique preuve produite dans la présente requête l’a été par affidavit.

[26] La consternation et l’inquiétude exprimées dans leurs affidavits par les personnes désignées sont sans doute compréhensibles, mais, par ailleurs, les preuves qu’elles ont produites sont au mieux des conjectures.

[27] Des affidavits ont également été produits par deux avocats d’expérience connaissant bien la manière dont sont traités dans d’autres tribunes les renseignements portant sur la sécurité nationale. Tous deux admettent ne pas avoir pris part à des procédures relevant de la section 9 jusqu’à ce qu’ils exercent leur rôle actuel en tant qu’avocats spéciaux. Certains des doutes exprimés dans leurs affidavits de juillet 2008 seront examinés dans les présents motifs. Aspect plus important, d’autres doutes ont été dissipés dans des ordonnances rendues par les juges ayant présidé les instances depuis le dépôt des affidavits. Cela conforte mon idée selon laquelle les affirmations contenues dans les affidavits des avocats spéciaux, tout comme les affirmations des personnes désignées, sont elles aussi fondées sur des conjectures.

[28] Un troisième avocat, qui a souvent agi comme avocat de la défense dans des procès criminels, a produit une preuve par affidavit. Il a souligné l’importance d’une communication franche avec ses clients tout au long de l’instance les concernant. Cependant, son témoignage ne prend pas en compte le contexte d’une instance dont parle la section 9, un contexte marqué par l’impératif de sécurité nationale. Il fait abstraction également de la souplesse qui est offerte aux juges désignés, d’après les règles régissant actuellement les instances relevant de la section 9.

[29] Un professeur de droit qui enseigne à l’université, spécialisé dans les questions de sécurité nationale et de gouvernance démocratique, a produit un affidavit résumant son entretien avec un fonctionnaire s’occupant de l’administration du système des avocats spéciaux appliqué au Royaume-Uni. Le témoignage original du fonctionnaire en question, si tant est qu’il fût pertinent, eût été préférable. Les déclarations du professeur concernant le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, dans la mesure où elles portaient sur le droit interne, ressortissent parfaitement à la Cour fédérale.

[30] Finalement, la présente requête constitutionnelle s’appuie sur un nombre restreint de faits en litige ou d’éléments de preuve, voire aucun. Comme l’ont reconnu les avocats, la requête est pour l’essentiel fondée sur des faits législatifs ou, pour reprendre les mots qu’ils ont employés, elle constitue une [traduction] « contestation constitutionnelle apparente » des dispositions contestées du nouveau texte.

[31] Les avocats n’ont signalé aucune jurisprudence postérieure à l’arrêt Mills [R c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668] où une loi avait été radiée uniquement sur le fondement de faits législatifs.

[32] Dans l’arrêt Charkaoui, les certificats concernant M. Almrei et M. Harkat avaient été jugés raisonnables lorsque l’affaire avait été portée devant la Cour suprême du Canada. Aucune décision du genre n’avait été rendue à l’égard de M. Charkaoui, en raison d’un sursis prononcé en vertu du régime antérieur. Qui plus est, d’importantes portions du dossier des audiences à huis clos issu de la procédure concernant M. Almrei avaient été déposées devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême évoquait le rôle « actif » du juge désigné, un rôle « qui ne l’oblige pas à faire preuve de retenue », son travail acharné, ainsi que les « efforts déployés par les juges de la Cour fédérale pour insuffler un caractère judiciaire » aux procédures relevant de la section 9 : arrêt Charkaoui, aux paragraphes 38, 39, 42, 51 et 65.

[33] Dans l’arrêt Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519 (l’arrêt Sauvé), une loi qui limitait le droit de vote d’un détenu, un droit garanti par l’article 3 de la Charte, fut jugée inconstitutionnelle après une audience de dix jours, qui avait consisté principalement dans les dépositions de plusieurs témoins experts. Deux des demandeurs avaient aussi témoigné. La Cour suprême a jugé que le dossier factuel suffisait, dans cette affaire-là, à décider les points relevant de l’article premier.

[34] Le niveau des faits en litige qui est nécessaire pour l’évaluation de prétentions constitutionnelles variera. J’imagine que l’appréciation de prétentions intéressant l’article 7 de la Charte nécessitera un niveau plus élevé de faits en litige, surtout si la présumée atteinte concerne les effets sur des droits procéduraux protégés par les principes de justice fondamentale. Ici, la preuve par affidavit est d’une aide restreinte.

[35] Il peut fort bien y avoir des cas où l’atteinte à un droit garanti par la Charte est évidente à la seule lecture de la disposition légale contestée. Par exemple, dans l’arrêt Sauvé, il n’y avait guère de doute que le fait de nier à des détenus qui sont citoyens canadiens le droit de vote empiétait sur leurs droits garantis par l’article 3 de la Charte. Dans de tels cas, la nécessité de faits en litige est sans doute minime.

[36] En revanche, dans l’arrêt Charkaoui, il s’agissait d’évaluer les effets de la section 9 de la LIPR sur les droits procéduraux de personnes visées par des certificats. Comme je l’écrivais plus haut, pour arriver à sa décision, la Cour suprême avait l’avantage de disposer de faits en litige issus de la procédure intéressant M. Almrei. Les faits en litige dans l’arrêt Charkaoui, qui m’apparaissent aller au-delà des faits présentés dans la présente requête constitutionnelle, ont permis à la Cour suprême de régler les questions qui lui furent soumises au regard de l’article 7.

[37] La présente requête constitutionnelle, en particulier pour ce qui concerne l’article 7 de la Charte, repose sur l’argument selon lequel les lacunes constitutionnelles alléguées des articles 85.4 et 85.5 apparaissent d’emblée. Cependant, la position des personnes désignées repose sur des conjectures en ce qui concerne des décisions devant encore être prises et les effets de telles décisions sur leurs droits.

Les questions relatives à l’article 7

L’existence d’une autre façon d’informer pour l’essentiel

[38] Invoquant l’arrêt Charkaoui, M. Almrei est d’avis que toute procédure en matière de certificat ministériel qui prévoit des audiences à huis clos, sans que la preuve soit pleinement communiquée à la personne désignée, contrevient nécessairement à l’article 7 et ne peut être validée que par l’article premier. Comme il n’y a, dans la présente instance, à peu près pas de preuves autorisant l’application de l’article premier, d’affirmer M. Almrei, cette requête constitutionnelle doit être accueillie. Selon lui, le régime actuel ne respecte pas le droit des personnes désignées de connaître la preuve produite contre elles.

[39] Le droit d’une personne de connaître la preuve produite contre elle n’est pas absolu. Pour que l’article 7 soit respecté, il faut soit communiquer à la personne désignée les renseignements nécessaires, soit trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel : arrêt Charkaoui, au paragraphe 61; décision Khawaja, au paragraphe 35.

[40] L’avocat des ministres dit que les nouvelles dispositions offrent cette autre façon d’informer pour l’essentiel la personne désignée. Outre les protections offertes par l’ancien régime, les avocats spéciaux nommés pour protéger les intérêts des personnes désignées ont accès aux renseignements confidentiels qui sont à l’origine d’un certificat ministériel. Les avocats spéciaux participent aux audiences à huis clos et, sous surveillance judiciaire, ils peuvent aussi communiquer avec les personnes désignées et leurs avocats. Avec l’autorisation du juge, ils peuvent exercer les autres pouvoirs qui sont nécessaires pour protéger les intérêts des personnes désignées.

[41] La preuve que j’ai devant moi, dans le cadre de la présente requête constitutionnelle, ne suffit pas à dire d’une manière définitive si les nouvelles dispositions offrent, au sens de l’arrêt Charkaoui, « une autre façon d’informer suffisante ». Je suis d’avis qu’il serait prématuré pour moi de dire, sans un contexte factuel suffisant, si les nouvelles dispositions portent ou non atteinte aux droits garantis à M. Almrei par l’article 7.

[42] Il y a un aspect des observations de M. Almrei sur lequel je voudrais m’attarder.

[43] Un aspect notable de l’argument de M. Almrei à l’encontre des dispositions contestées est l’importance qu’il accorde à ce qu’il appelle la libre circulation de l’information entre, d’une part, l’avocat du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le CSARS ou le Comité de surveillance) et, d’autre part, le plaignant. Pour M. Almrei, le « modèle du CSARS » est une réponse aux lacunes constitutionnelles alléguées des dispositions contestées.

[44] L’avocat du CSARS, en tout temps, agit pour le compte du Comité de surveillance : décision Khawaja, au paragraphe 56.

[45] Lors d’un récent témoignage devant le Comité sénatorial spécial sur l’antiterrorisme, le directeur exécutif du Comité de surveillance a corrigé l’idée répandue selon laquelle l’avocat du CSARS est un avocat spécial : Délibérations, 2 juin 2008, fascicule n° 7, aux pages 5, 7 et 8 :

Je voudrais pour commencer tirer au clair certains termes qui ont été employés à propos du modèle du CSARS. Il n’y a pas d’avocat spécial, pas de conseiller spécial, pas de conseiller indépendant qui intervienne dans notre processus.

[…]

[…] l’avocat du [CSARS] doit être indépendant du gouvernement, représenté par le SCRS […] et du plaignant.

Pour plus de clarté, disons que l’avocat du CSARS n’est pas celui de la personne concernée. [Non souligné dans l’original.]

L’avocat du CSARS comprend les représentants juridiques recrutés dans le secteur privé, ainsi que les avocats internes.

[46] L’avocat du CSARS, qui agit pour le compte du Comité de surveillance, aide le président de l’organisme à promouvoir les intérêts d’un plaignant dans les audiences à huis clos, de la même façon qu’un décideur doit montrer de l’équité envers chacune des parties. Ici, mes observations portent sur le rôle de l’avocat du CSARS en général, sans distinction entre les dossiers propres aux certificats ministériels et la charge de travail courante du Comité de surveillance.

[47] Les avocats externes du CSARS reçoivent leurs directives du président du Comité de surveillance et des avocats internes. Les communications entre l’avocat du CSARS et le plaignant relèvent de l’autorité explicite ou implicite du président du Comité de surveillance. La fonction de président, en tant que filtre ou autorité en matière de communications, est analogue, mais pas identique, au rôle de surveillance exercé par le juge qui préside une instance selon la section 9 de la LIPR. La « libre circulation », comme on l’appelle, de l’information entre l’avocat du CSARS et le plaignant est circonscrite comme elle doit l’être.

[48] Dans l’arrêt Charkaoui, la Cour suprême estimait qu’un représentant indépendant devait examiner objectivement les renseignements confidentiels dans le dessein de protéger les intérêts de la personne désignée (aux paragraphes 3 et 86).

[49] L’avocat spécial est indépendant de la Cour, contrairement à l’avocat du CSARS par rapport au Comité de surveillance. Cette indépendance non seulement impose moins de contraintes à l’avocat spécial, mais également fait reposer sur lui une obligation sans doute plus élevée de protection des intérêts de la personne désignée, sans être l’avocat de celle-ci.

[50] Ni la législation qui a établi le Comité de surveillance [Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 34] ni les règles de procédure du Comité de surveillance ne font état du rôle de l’avocat du CSARS. Les fonctions de l’avocat ont évolué au fil du temps. Dans la section 9, le législateur a explicité le rôle, les responsabilités et les pouvoirs des avocats spéciaux.

[51] L’avocat spécial protège, dans les audiences à huis clos, les intérêts de la personne désignée [LIPR, art. 85.1(1) (édicté par L.C. 2008, ch. 3, art. 4)]. Il met en doute la confidentialité revendiquée par le ministre et la véracité des renseignements confidentiels [art. 85.1(2) (édicté, idem)]. Il présente des observations orales et écrites concernant les renseignements confidentiels [art. 85.2a) (édicté, idem)] et peut contre-interroger des témoins durant des audiences à huis clos [art. 85.2b) (édicté, idem)]. Finalement, il peut « exercer, avec l’autorisation du juge, tout autre pouvoir nécessaire à la défense des intérêts [de la personne désignée] » [art. 85.2c) (édicté, idem)].

[52] Le rôle des avocats spéciaux, comme celui de l’avocat du CSARS, évoluera en fonction des décisions des juges présidant les instances.

[53] Il ne m’est pas nécessaire de trancher la question, mais je n’ai pas été persuadé que le « modèle du CSARS » offrirait davantage de protection aux personnes désignées que ne le fait la section 9 de la LIPR.

Le secret professionnel liant l’avocat à son client

[54] Les intervenants abordent avec une égale conviction, mais différemment, la question relative à l’article 7. Pour eux, l’obligation de l’avocat spécial d’obtenir l’autorisation du juge avant de pouvoir communiquer avec la personne désignée ou avec son avocat est nécessairement une intrusion illicite dans les communications entre l’avocat et son client et dans le privilège relatif au litige.

[55] La surveillance ordinaire des communications entre l’avocat et son client impliquera des renseignements privilégiés et, comme le disent les intervenants, introduira le juge [traduction] « dans le dossier ». Pour les intervenants, la sécurité nationale ne saurait en tant que telle constituer une exception au secret professionnel de l’avocat ou au privilège relatif au litige. La rationalisation d’une surveillance judiciaire constante visant à éviter les risques d’une divulgation faite par inadvertance ne présente aucune structure de minimisation.

[56] Entre avocats spéciaux et personnes désignées, la section 9 protège les renseignements et non les relations.

[57] Selon le paragraphe 85.1(3) [édicté, idem], la relation qui existe entre l’avocat spécial et la personne désignée n’est pas celle qui existe entre un avocat et son client. Cependant, selon le paragraphe 85.1(4) [édicté, idem], toute communication entre la personne désignée et l’avocat spécial est « réputée » relever du secret professionnel liant l’avocat et son client. Leurs communications, sans qu’il existe une relation entre avocat et client, sont réputées être protégées.

[58] C’est sur le fondement de la disposition « déterminative » que les personnes désignées voudraient élargir à la relation entre les avocats spéciaux et elles-mêmes la pleine protection conférée par le secret professionnel de l’avocat et par le privilège relatif au litige.

[59] Cette position, me semble-t-il, va sans doute à l’encontre de la volonté du législateur pour qui la relation entre l’avocat spécial et la personne désignée n’est pas celle qui existe entre un avocat et son client. L’avocat spécial n’est pas non plus partie à l’instance.

[60] Malgré son importance, le secret professionnel liant l’avocat et son client n’est pas absolu : R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, aux paragraphes 34 et 35. La jurisprudence invoquée par les personnes désignées pour appuyer l’importance du secret professionnel de l’avocat n’exclut pas sa violation possible pour raisons de nécessité : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.C.S. 574, aux paragraphes 17 et 22; Lavallee,
Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White,
Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink
, [2002] 3 R.C.S. 209, au paragraphe 36; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, au paragraphe 57.

[61] La volonté d’éviter une atteinte à la sécurité nationale, ce qui peut comprendre le risque d’une divulgation faite par inadvertance, constitue sans doute une nécessité qui justifie une entorse au privilège dans la mesure où elle ne dépasse pas ce qu’exigent les circonstances. C’est là une décision qui ne doit pas être prise dans l’abstrait.

[62] Les observations pertinentes présentées au nom des personnes désignées ne m’ont pas persuadé que l’obligation de l’avocat spécial d’obtenir l’autorisation du juge devait par définition être levée sur simple assertion du secret professionnel de l’avocat ou du privilège relatif au litige. L’exception de nécessité m’empêche de le faire.

[63] Il y a aussi d’autres raisons. D’abord, le dossier factuel présenté dans le cadre de la présente requête ne me convainc pas que toute demande d’autorisation de communiquer qui est faite par les avocats spéciaux impliquera nécessairement des renseignements réputés protégés par le paragraphe 85.1(4).

[64] Deuxièmement, il peut y avoir des cas où les avocats spéciaux voudront obtenir l’autorisation de communiquer à nouveau avec la personne désignée. La demande pourrait être fondée sur des faits dont la divulgation porterait atteinte au présumé privilège du secret professionnel de l’avocat. Les circonstances seront telles que la personne désignée, non informée de la requête des avocats spéciaux, ne pourra pas explicitement autoriser la divulgation des renseignements privilégiés.

[65] Ici, il est loisible aux avocats spéciaux d’obtenir du juge présidant l’instance les directives requises pour faire des observations en l’absence de l’avocat des ministres. Les diverses permutations et combinaisons pouvant se présenter dépendront des faits. Les juges désignés auront la possibilité, de par les pouvoirs qui leur sont dévolus par la section 9 et par les Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)], de répondre comme il convient aux avocats spéciaux en fonction des circonstances. Les juges présidant les instances détermineront l’étendue des renseignements, le cas échéant, qui devraient être divulgués aux avocats des ministres. J’imagine que, dans la plupart des cas, sinon la totalité, les ministres seraient informés qu’une demande d’autorisation de communiquer a été faite par les avocats spéciaux. L’expérience acquise en vertu des nouvelles dispositions appuie cette solution.

[66] Finalement, l’idée des intervenants selon laquelle l’obligation d’obtenir une autorisation aura pour effet de [traduction] « pervertir » le juge présidant l’instance, en particulier si l’autorisation est accordée et que la personne désignée adopte par la suite une autre stratégie, est un point qu’il vaut mieux décider sur la base d’un contexte factuel.

[67] En résumé, les personnes désignées n’ont pas présenté un contexte factuel suffisant pour apprécier leurs prétentions fondées sur l’article 7. Il ne peut être statué sur leur contestation fondée sur l’article 7 dans le cadre de la présente requête constitutionnelle.

Les questions relatives à l’alinéa 2b)

[68] Les audiences à huis clos, tenues en l’absence du public et des personnes désignées, ainsi que les limites à l’aptitude des avocats spéciaux de communiquer librement, empiètent sur le principe des audiences publiques et sur la liberté d’expression qui est garantie par l’alinéa 2b) de la Charte.

[69] La règle selon laquelle les renseignements confidentiels intéressant la sécurité nationale doivent être reçus dans des audiences à huis clos a été confirmée par la Cour suprême du Canada : Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3 (l’arrêt Ruby); voir aussi la décision Khawaja.

[70] Dans l’arrêt Ruby et la décision Khawaja, l’atteinte à l’alinéa 2b) fut validée selon l’article premier.

[71] Dans la mesure où les dispositions contestées protègent les renseignements confidentiels, l’analyse faite dans l’arrêt Ruby et la décision Khawaja en application de l’article premier est applicable ici. Si une audience à huis clos concernant des renseignements confidentiels est justifiable en application de l’article premier, alors est justifiable également une interdiction de divulguer le contenu d’une telle audience. Cela coule de source.

[72] Cependant, dans la présente requête constitutionnelle, contrairement aux espèces Ruby et Khawaja, la question des communications entre les avocats spéciaux et d’autres personnes, en particulier les personnes désignées, est une question nouvelle. Ni les personnes désignées, ni les avocats spéciaux ne m’ont persuadé que la possibilité d’obtenir du juge l’autorisation de communiquer ne porte pas le moins possible atteinte à leurs droits garantis par l’alinéa 2b). Pour les motifs indiqués dans mon analyse se rapportant à l’article 7, ce point devrait rester en suspens jusqu’à présentation d’un contexte factuel approprié.

La réparation subsidiaire sollicitée

[73] La requête constitutionnelle décrit en termes factuels la réparation subsidiaire qui est sollicitée. De l’avis de M. Almrei, il est inconstitutionnel de requérir l’autorisation du juge lorsque :

a) les avocats spéciaux communiquent avec leurs collègues et leurs familles concernant les endroits où ils se trouvent;

b) les avocats spéciaux communiquent avec les fonctionnaires chargés d’assurer leur soutien administratif;

c) les avocats spéciaux communiquent entre eux dans la même instance;

d) les avocats spéciaux nommés dans une instance en cours communiquent avec d’autres avocats spéciaux figurant sur la liste établie par le ministre de la Justice, mais ne participant pas à une instance en cours;

e) les avocats spéciaux nommés dans une instance communiquent avec les avocats spéciaux nommés dans une instance distincte;

f) les avocats spéciaux communiquent avec les médias et avec le Parlement concernant le bon déroulement de l’instance;

g) les avocats spéciaux communiquent avec les personnes désignées et leurs avocats à propos de décisions rendues à huis clos et à propos de l’opportunité de faire appel de telles décisions ou de solliciter un contrôle judiciaire à l’encontre de telles décisions;

h) les avocats spéciaux communiquent avec les personnes désignées et leurs avocats concernant des aspects qui n’étaient pas envisagés avant que les avocats spéciaux reçoivent les renseignements confidentiels.

Pour chacun de ces huit cas, M. Almrei affirme que les communications des avocats spéciaux devraient se faire librement et être soustraites au filtre que constitue l’autorisation du juge.

[74] Aspect important à souligner, M. Almrei admet, pour cinq des huit cas, que la liberté de communication qui est demandée pour les avocats spéciaux ne devrait pas directement ou indirectement avoir pour effet d’entraîner la divulgation de renseignements confidentiels. Plus simplement, les communications envisagées n’ont rien à voir avec des renseignements confidentiels. S’agissant des cas c), d) et e), la concession de M. Almrei est formulée différemment et sera traitée ci-après.

[75] Un examen des principes d’interprétation des lois permettra d’apprécier la réparation subsidiaire que sollicite M. Almrei.

[76] Depuis plus de 10 ans maintenant, la Cour suprême du Canada a rappelé le principe moderne d’interprétation des lois, un principe enraciné dans la maxime de Driedger, souvent citée : [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur. » (Voir les arrêts Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, et Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), [2004] 2 R.C.S. 248, au paragraphe 34.)

[77] Le Parlement est présumé légiférer d’une manière qui n’entraîne pas de conséquences absurdes ou injustes (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Markham : LexisNexis Canada, 2008, aux pages 300 à 323). La professeure Sullivan, se fondant sur plusieurs arrêts de la Cour suprême du Canada, met en relief les propositions suivantes (aux pages 300 et 301) :

[traduction]

1)             Il est présumé que le législateur ne souhaite pas que ses lois produisent des conséquences absurdes.

2)             Les conséquences absurdes ne se limitent pas aux contradictions logiques ou aux incohérences internes, mais comprennent la violation de normes juridiques établies, telles le principe de la primauté du droit; elles comprennent aussi la violation des normes largement reconnues que sont la justice et la raison.

3)     Lorsque cela est possible, il faut rejeter toute interprétation qui conduit à des conséquences absurdes et favoriser une interprétation qui en est exempte.

4)     Plus frappante est l’absurdité, plus s’imposera l’idée de s’écarter du sens ordinaire.

[78] Un élément essentiel des instances relevant de la section 9 a trait aux renseignements confidentiels. Le texte de loi nie aux personnes désignées et à leurs avocats l’accès aux renseignements confidentiels, en raison de leur sensibilité. M. Almrei et les intervenants admettent que la protection des renseignements confidentiels est un objectif gouvernemental légitime. Les limites générales énoncées dans les dispositions contestées doivent donc être interprétées par les cours de justice d’une manière qui tienne compte des risques de divulgation des renseignements confidentiels, en particulier la divulgation faite par inadvertance, tout en évitant les conséquences absurdes.

[79] Les trois premières catégories de réparation que demande M. Almrei peuvent être décidées manifestement par les techniques d’interprétation des lois et ne donnent pas lieu à des questions constitutionnelles.

a) les communications des avocats spéciaux avec leurs collègues ou leurs familles concernant les endroits où ils se trouvent

[80] Il est impossible que le législateur ait voulu interdire les communications entre les avocats spéciaux et leurs collègues ou leurs familles concernant les endroits où ils se trouvent durant les instances. Dans chaque instance, des ordonnances de planification ont été rendues publiquement. Elles peuvent être obtenues par l’entremise du greffe. Les données consignées sont accessibles sur l’Internet, même si elles ne font pas état de telle ou telle audience à huis clos.

[81] Il peut y avoir une exception lorsque la divulgation de la date ou de l’endroit d’une audience à huis clos risque de préjudicier à la sécurité nationale. Dans ce cas extrême, le juge présidant l’instance, chargé de garantir la confidentialité des renseignements, aurait l’obligation de rendre une ordonnance protégeant tels renseignements. Autrement, l’endroit où se trouve l’avocat spécial est une question administrative que ne règle pas la législation.

[82] En bref, les dispositions contestées ne sauraient raisonnablement être vues comme des dispositions limitant les communications des avocats spéciaux avec cette catégorie de personnes concernant les endroits où ils se trouvent.

b) les communications des avocats spéciaux concernant le soutien administratif qu’ils reçoivent

[83] Le législateur oblige le ministre de la Justice, au paragraphe 85(3) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4], à fournir un soutien administratif aux avocats spéciaux. On fait valoir que le législateur a simultanément interdit aux avocats spéciaux de communiquer, sans l’autorisation du juge, avec les fonctionnaires chargés de fournir ce soutien administratif. Je suis d’avis que le législateur n’a pu avoir cette intention.

[84] Selon moi, les avocats spéciaux peuvent communiquer librement, concernant le soutien administratif et les ressources qu’ils reçoivent, avec les fonctionnaires chargés en vertu du paragraphe 85(3) de leur apporter ce soutien et ces ressources.

[85] Certes, il est loisible aux avocats spéciaux de solliciter une ordonnance générale qui leur permettrait, sans une nouvelle autorisation du juge, de communiquer avec toute autre personne, sauf les personnes désignées ou leurs avocats, qu’ils doivent consulter à propos de questions administratives non rattachées au fond de l’instance. Une telle ordonnance pourrait refléter les dispositions de l’alinéa 76.25(3)(d) des Civil Procedure (Amendment No. 2) Rules 2005 [S.I. 2005/656] de la Haute Cour de justice de l’Angleterre et du Pays de Galles.

[86] Encore une fois, je ne crois pas qu’une telle ordonnance « de commodité » soit nécessaire en droit. Les communications des avocats spéciaux avec leurs collègues et leurs familles concernant les endroits où ils se trouvent ne sont pas régies par le texte de loi. Ne le sont pas non plus les communications entre les avocats spéciaux et les fonctionnaires chargés de leur fournir soutien administratif et ressources adéquates en application du paragraphe 85(3).

c) les communications entre avocats spéciaux nommés dans la même instance

[87] M. Almrei voit dans les alinéas c), d) et e), contrairement aux autres catégories, la communication possible de renseignements confidentiels. Pour lui, il ne devrait y avoir aucune surveillance judiciaire des communications entre avocats spéciaux, puisque chacun d’eux dispose de l’habilitation de sécurité qui est nécessaire.

[88] Le texte n’interdit pas la nomination de plus d’un avocat spécial dans une instance. Dans chacune des cinq instances en cours, le juge présidant l’instance a nommé deux avocats spéciaux. Ni le législateur ni le juge présidant une instance n’ont pu imaginer que, après que les deux avocats spéciaux ont reçu les renseignements confidentiels, il leur serait impossible de communiquer librement entre eux d’une manière sécuritaire dans leurs efforts concertés visant à protéger les intérêts de la personne désignée.

[89] Affirmer le contraire serait aussi absurde que d’affirmer (ce que nul n’a fait) que les avocats spéciaux doivent obtenir du juge l’autorisation de communiquer avec les avocats des ministres affectés aux audiences à huis clos tenues au cours de la même instance. Un tel résultat ne saurait avoir été l’intention du législateur et doit être écarté.

d) les communications avec des avocats spéciaux qui ne sont pas encore nommés dans une instance

[90] Les communications entre les avocats spéciaux nommés et ceux qui sont énumérés dans la liste des avocats spéciaux par le ministre de la Justice aux termes du paragraphe 85(1) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4], mais qui ne participent pas encore à une instance, peuvent être problématiques. Comme l’ont fait observer les avocats spéciaux eux-mêmes dans leur argumentation orale, de telles communications peuvent [traduction] « présenter des difficultés considérables ».

[91] Aucun des avocats n’a soulevé la question d’un possible conflit d’intérêts pour l’autre avocat spécial partie à la communication. Nul n’a montré non plus en quoi cette limite pourrait, sur le plan pratique, porter atteinte au droit des personnes désignées à la justice fondamentale, ou constituer davantage qu’une atteinte minimale à la liberté d’expression de quiconque. Encore une fois, en l’absence d’un contexte factuel où le juge pourrait refuser son autorisation, je n’en dirai pas davantage, d’autant que des renseignements confidentiels ont été mis en cause.

e) les communications avec d’autres avocats spéciaux nommés dans une autre instance en cours

[92] M. Almrei, auquel se joignent les avocats spéciaux, fait valoir que les avocats spéciaux dans une instance devraient pouvoir communiquer librement avec ceux qui participent à l’une ou plusieurs des quatre autres instances. Il compare, ce faisant, la situation des avocats spéciaux à celle de l’avocat des ministres. Cette comparaison n’est guère utile, surtout en l’absence de preuves portant sur la communication de renseignements confidentiels entre avocats du gouvernement agissant dans diverses instances.

[93] Les avocats spéciaux qui souhaitent communiquer avec leurs homologues nommés dans d’autres instances devraient obtenir une autorisation du juge. Si l’autorisation n’est pas accordée, il y aura alors un contexte factuel permettant de dire si la restriction risque de préjudicier aux droits procéduraux des personnes désignées.

[94] À mon avis, ce point ne peut être décidé sans un contexte factuel, et je m’abstiendrai donc de l’examiner davantage.

f) les communications des avocats spéciaux avec les médias et le Parlement concernant le bon déroulement des instances

[95] Les personnes désignées font valoir que les avocats spéciaux devraient avoir un droit illimité de communiquer avec les médias et le Parlement concernant [traduction] « le bon déroulement des instances ». J’ai cru comprendre qu’elles voulaient parler du déroulement efficace des instances en cours. Je suis conforté dans cette manière de voir par les avocats spéciaux, qui se sont dissociés de cet aspect de la requête constitutionnelle.

[96] Les connaissances des avocats spéciaux qui pourraient intéresser les médias et le Parlement découlent sans doute de leur accès aux renseignements confidentiels et de leur participation aux audiences à huis clos.

[97] Les personnes désignées n’ont pas apporté de preuves ni donné d’exemples montrant en quoi cette limite constituerait une négation de leur droit à la justice fondamentale. Les dispositions contestées n’empêchent pas les personnes désignées ou leurs avocats de communiquer avec les médias et le Parlement. Là encore, il vaut mieux attendre un contexte factuel adéquat pour faire l’examen de cette question.

g) les communications des avocats spéciaux avec les personnes désignées et leurs avocats concernant les décisions rendues à huis clos

[98] Comme l’ont dit les ministres, cet aspect est affaibli par le fait que les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel (voir les articles 79 [mod., idem] et 82.3 [édicté, idem]).

[99] L’inquiétude des personnes désignées est encore réduite par la publicité entourant les décisions rendues jusque-là dans les instances. Alors même que cette requête constitutionnelle était soumise à mon examen, les juges présidant les instances ont, de diverses manières et selon le cas, rendu publiques certaines décisions et autres renseignements concernant des audiences à huis clos.

[100] Les avocats spéciaux peuvent toujours demander au juge l’autorisation de communiquer des décisions rendues à huis clos si le juge ne le fait pas de sa propre initiative. Il m’apparaît que la plupart, sinon la totalité, des décisions qui ne divulguent pas directement ou indirectement des renseignements confidentiels pourraient être rendues publiques.

[101] En l’absence d’une preuve montrant en quoi cet aspect pourrait préjudicier aux droits garantis par la Charte aux personnes désignées, il serait prématuré d’en dire davantage.

h) les communications des avocats spéciaux avec les personnes désignées et leurs avocats après que les avocats spéciaux ont reçu des renseignements confidentiels

[102] Comme l’a dit M. Almrei, les communications comprises dans cette catégorie n’ont rien à voir avec des renseignements confidentiels.

[103] Les personnes désignées font valoir que les avocats spéciaux devraient eux-mêmes déterminer le moment auquel une autorisation du juge est nécessaire pour leurs communications avec d’autres personnes en application du paragraphe 85.4(2). Selon elles, les avocats spéciaux ne devraient pas être entravés dans leurs communications portant sur l’instance dans les cas où des questions confidentielles ne sont pas débattues. Autrement, de l’avis des personnes désignées, les dispositions contestées empiètent sur les droits conférés par la Charte aux personnes désignées et aux avocats spéciaux.

[104] Le Parlement a voulu que les avocats spéciaux obtiennent l’autorisation du juge pour toutes leurs communications une fois qu’ils ont reçu des renseignements confidentiels. L’alinéa 83(1)d) [mod., idem] dispose que le juge doit veiller à la protection des renseignements confidentiels. La législation vise à prévenir, par le mécanisme de la surveillance judiciaire, la divulgation intentionnelle ou involontaire de renseignements confidentiels.

[105] À mon avis, si l’objectif du législateur doit être atteint, alors les avocats spéciaux ne peuvent pas, sans l’autorisation du juge, communiquer avec une autre personne à propos de l’instance, même concernant une ordonnance ou directive rendue publique par le juge présidant l’instance. S’il était permis aux avocats spéciaux de déterminer eux-mêmes le moment où ils peuvent communiquer à propos de l’instance, quand bien même des renseignements confidentiels n’y seraient pas débattus, la volonté du législateur de limiter la divulgation involontaire de renseignements confidentiels serait entravée. Sans un contexte factuel, il est encore une fois prématuré de statuer d’une manière catégorique sur la validité constitutionnelle de ces dispositions contestées.

Dispositif

[106] Dans le sillage de l’arrêt Charkaoui, le Parlement a modifié la procédure des certificats ministériels en faisant entrer dans cette procédure un avocat spécial. Cinq procédures de ce genre sont en cours et le travail assidu de tous les intéressés est en train de donner vie aux modifications apportées à la LIPR. Je suis d’avis qu’il est prématuré de se demander si les dispositions contestées, telles qu’elles ont été appliquées dans les instances en cours, devraient survivre à un examen selon l’alinéa 2b) et l’article 7 de la Charte.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. La requête constitutionnelle est rejetée parce qu’elle est prématurée, sans préjudice du droit de toute partie de contester, sur la base d’une matrice factuelle adéquate, la constitutionnalité du paragraphe 85.4(2) et de l’alinéa 85.5b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et modifications (les dispositions contestées).

2. Trois points de fait soulevés dans la présente requête peuvent être décidés selon les principes de l’interprétation des lois. Le législateur n’aurait pu vouloir que ces points de fait soient englobés dans les dispositions contestées. Ils ne soulèvent pas de questions constitutionnelles. Ces trois points de fait sont les suivants :

a. les avocats spéciaux communiquent avec leurs collègues et leurs familles concernant l’endroit où ils se trouvent;

b. les avocats spéciaux communiquent, à propos du soutien administratif et des ressources dont ils bénéficient, avec les fonctionnaires chargés de les leur procurer en application du paragraphe 85(3) de la LIPR;

c. les avocats spéciaux nommés dans la même instance communiquent entre eux d’une manière sécuritaire, après qu’ils ont tous deux reçu les renseignements confidentiels.

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