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[2012] 2 R.C.F. 594

A-428-10

2011 CAF 199

Procureur général du Canada (appelant)

c.

Abdullah Almalki, Khuzaimah Kalifah, Abdulrahman Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Sajeda Almalki, représentée par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Muaz Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Zakariyy a Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Nadim Almalki, Fatima Almalki, Ahmad Abou-Elmaati, Badr Abou-Elmaati, Samira Al-Shallash, Rasha Abou-Elmaati, Muayyed Nureddin, Abdul Jabbar Nureddin, Fadila Siddiqu, Mofak Nureddin, Aydin Nureddin, Yashar Nureddin, Ahmed Nureddin, Sarab Nureddin, Byda Nureddin (intimés)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Almalki

Cour d’appel fédérale, juge en chef Blais, juges Létourneau et Trudel, J.C.A.—Ottawa, 31 mai et 13 juin 2011.

Preuve — Appel d’une ordonnance de divulgation de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables au sens de l’art. 38 de la Loi sur la preuve au Canada — L’appelant requiert une ordonnance confirmant l’interdiction de divulgation et modifiant l’ordonnance de divulgation pour limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou la sécurité nationales — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en n’appliquant pas aux sources humaines du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le privilège relatif aux indicateurs de police et a‑t‑elle mal appliqué la règle des tiers en ordonnant la divulgation de certains renseignements — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en n’appliquant pas aux sources humaines du SCRS le privilège relatif aux indicateurs de police — Ce privilège est absolu — La confidentialité des renseignements touchant les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales n’est pas absolue sous le régime de l’art. 38 — L’application aux sources humaines du SCRS du privilège relatif aux indicateurs de police irait donc à l’encontre de l’art. 38 et de l’intention expresse du législateur — La procédure à appliquer aux revendications de privilège doit rester souple — La Cour fédérale a mal appliqué la règle des tiers et le troisième volet du critère de l’arrêt Ribic c. Canada (Procureur général), en accordant trop de poids à l’intérêt public afférent à la divulgation — Le préjudice n’a donc pas été limité conformément à la Loi dans certains résumés de renseignements — Appel accueilli.

Renseignement de sécurité — La Cour fédérale a ordonné la divulgation de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables au sens de l’art. 38 de la Loi sur la preuve au Canada — Il s’agissait de savoir si le privilège relatif aux indicateurs de police s’applique aux sources humaines du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) — Le privilège relatif aux indicateurs de police est absolu, tandis que la confidentialité des renseignements touchant les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales n’est pas absolue sous le régime de l’art. 38 — L’art. 18 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, faisant une infraction du fait de divulguer l’identité d’un informateur ou d’un employé occupé à des activités cachées du SCRS, ne crée pas d’interdiction absolue de divulgation et il est compatible avec l’art. 38.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre de la décision de la Cour fédérale d’ordonner la divulgation de documents renfermant des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables » au sens de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada (la Loi).

L’appelant a demandé une ordonnance confirmant l’interdiction de divulgation prévue au paragraphe 38.06(3) de la Loi pour certains documents et, pour d’autres, modifiant l’ordonnance de divulgation afin de limiter le préjudice aux relations internationales ou à la défense ou la sécurité nationales en application du paragraphe 38.06(2) de la Loi. Selon l’appelant, la Cour fédérale aurait dû appliquer aux sources humaines du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le privilège relatif aux indicateurs de police, et elle a erronément appliqué le critère de l’arrêt Ribic c. Canada (Procureur général) et soupesé les raisons d’intérêt public en jeu.

L’appel soulevait la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en n’appliquant pas aux sources humaines du SCRS le privilège relatif aux indicateurs de police et a mal appliqué la règle des tiers en ordonnant la divulgation de certains renseignements émanant de partenaires étrangers.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en n’appliquant pas aux sources humaines du SCRS le privilège relatif aux indicateurs de police. Ce privilège est un privilège générique, par opposition aux privilèges reconnus au cas par cas, et il est absolu, au sens où il ne peut être mis en balance avec d’autres intérêts. Les difficultés posées par l’octroi d’un privilège générique à des journalistes, mentionnées dans l’arrêt R. c. National Post, jouent également à l’égard de l’octroi aux sources humaines du SCRS du privilège relatif aux indicateurs de police. Le législateur a établi à l’article 38 un système qui ne garantit pas la confidentialité absolue des renseignements touchant les relations internationales et la défense ou la sécurité nationales, contrairement au privilège relatif aux indicateurs de police. Il irait donc à l’encontre de l’article 38 et de l’intention expresse du législateur d’appliquer ce privilège aux sources humaines du SCRS. L’article 18 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (LSCRS), faisant une infraction du fait de divulguer l’identité d’un informateur ou d’un employé occupé à des activités cachées du SCRS, ne crée pas d’interdiction absolue de divulgation. En effet, le paragraphe 18(2) de la LSCRS permet la divulgation « si une autre règle de droit l’exige ». Cela est compatible avec l’article 38, qui autorise la divulgation en exécution de l’ordonnance d’un juge désigné rendue dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par cet article. Enfin, la procédure à suivre en cas de revendication de privilège doit rester souple car des facteurs comme la nature des renseignements, l’importance de la source, l’étendue du préjudice pouvant être causé à la source, à la défense ou la sécurité nationales ou aux relations internationales peuvent en dicter le contenu. Le juge désigné en application de l’article 38 est le mieux placé pour décider du processus qui lui permettra d’exercer son pouvoir discrétionnaire avec le plus d’efficacité.

Pour ce qui est de la règle des tiers, la Cour fédérale a commis des erreurs manifestes et dominantes dans l’application du troisième volet du critère de l’arrêt Ribic en ne tenant pas compte de la preuve de préjudice ou en ne lui accordant pas le poids qu’il fallait. Elle a aussi attribué un poids exagéré à l’argument du préjudice avancé par les intimés. À cause de cela, elle a accordé trop de poids à l’intérêt public afférent à la divulgation, ce qui a eu des répercussions dans certains résumés de renseignements, où le préjudice n’est pas limité conformément à la Loi.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38 « instance » (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43), « juge » (édicté, idem, art. 43, 141), « participant » (édicté, idem, art. 43), « poursuivant » (édicté, idem), « renseignements potentiellement préjudiciables » (édicté, idem), « renseignements sensibles » (édicté, idem), 38.01 (édicté, idem), 38.02 (édicté, idem, art. 43, 141), 38.03 (édicté, idem, art. 43), 38.031 (édicté, idem, art. 43, 141), 38.04 (édicté, idem), 38.05 (édicté, idem, art. 43), 38.06 (édicté, idem), 38.07 (édicté, idem), 38.08 (édicté, idem), 38.09 (édicté, idem).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 18, 19 (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25(1)d); 2003, ch. 22, art. 224z.12)(A)).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Canada (Procureur général) c. Ribic, 2003 CAF 246, [2005] 1 R.C.F. 33, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée le 22 octobre 2003; R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477.

décisions examinées :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada c. Furukawa, 2000 CanLII 16502, [2000] A.C.F. no 1830 (QL) (C.A.F.); R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281; Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; Harkat (Re), 2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370, inf. en partie 2012 CAF 122.

appel d’une décision de la Cour fédérale (2010 CF 1106, [2012] 2 R.C.F. 508) ordonnant la divulgation de documents renfermant des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables » au sens de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Linda J. Wall et Catherine A. Lawrence pour l’appelant.

Philip Tunley et Fredrick Schumann pour les intimés.

François Dadour en qualité d’amicus curiae.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le procureur général du Canada pour l’appelant.

Stockwoods LLP Barristers, Toronto, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Létourneau, J.C.A. :

Les questions soulevées en appel

[1]        Le procureur général du Canada (l’appelant) interjette appel de la décision que le juge désigné de la Cour fédérale (le juge) [2010 CF 1106, [2012] 2 R.C.F. 508] a rendue relativement à la divulgation de « renseignements sensibles » [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43] et de « renseignements potentiellement préjudiciables » [édicté, idem] au sens de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5 (la Loi).

[2]        L’appelant conteste certains éléments de la décision du juge concernant la divulgation de documents et il requiert, à l’égard de certains de ces documents, une ordonnance confirmant l’interdiction de les divulguer prévue au paragraphe 38.06(3) [édicté, idem] de la Loi. Pour ce qui est des autres documents, il demande que l’ordonnance de divulgation soit modifiée de façon à limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales en application du paragraphe 38.06(2) [édicté, idem].

[3]        L’appel soulève les questions suivantes :

a) la question de la norme de contrôle applicable;

b) la question de savoir si le juge a commis une erreur en n’appliquant pas aux sources humaines du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le privilège de common law relatif aux indicateurs de police;

c) la question de savoir si le juge a mal appliqué la règle dite « des tiers » lorsqu’il a ordonné la divulgation de certains renseignements émanant de partenaires étrangers.

Les dispositions législatives pertinentes

[4]        Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites ci‑dessous pour permettre une meilleure compréhension du processus en cause [art. 38 « instance » (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43), « juge » (édicté, idem, art. 43, 141), « participant » (édicté, idem, art. 43), « poursuivant » (édicté, idem), 38.01 (édicté, idem), 38.02 (édicté, idem, art. 43, 141), 38.03 (édicté, idem, art. 43), 38.031 (édicté, idem, art. 43, 141), 38.04 (édicté, idem), 38.05 (édicté, idem, art. 43), 38.06 (édicté, idem), 38.07 (édicté, idem), 38.08 (édicté, idem), 38.09 (édicté, idem)] :

38. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 38.01 à 38.15.

Définitions

« instance » Procédure devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre la production de renseignements.

« instance » “proceeding

« juge » Le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de ce tribunal désigné par le juge en chef pour statuer sur les questions dont est saisi le tribunal en application de l'article 38.04.

« juge »
juge

« participant » Personne qui, dans le cadre d’une instance, est tenue de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements.

« participant » “participant

« poursuivant » Représentant du procureur général du Canada ou du procureur général d’une province, particulier qui agit à titre de poursuivant dans le cadre d’une instance ou le directeur des poursuites militaires, au sens de la Loi sur la défense nationale.

« poursuivant » “prosecutor

« renseignements potentiellement préjudiciables » Les renseignements qui, s’ils sont divulgués, sont susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

« renseignements potentiellement préjudiciables » “potentially injurious information

« renseignements sensibles » Les renseignements, en provenance du Canada ou de l’étranger, qui concernent les affaires internationales ou la défense ou la sécurité nationales, qui se trouvent en la possession du gouvernement du Canada et qui sont du type des renseignements à l’égard desquels celui-ci prend des mesures de protection.

« renseignements sensibles » “sensitive information

38.01 (1) Tout participant qui, dans le cadre d’une instance, est tenu de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements dont il croit qu’il s’agit de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables est tenu d’aviser par écrit, dès que possible, le procureur général du Canada de la possibilité de divulgation et de préciser dans l’avis la nature, la date et le lieu de l’instance.

Avis au procureur général du Canada

(2) Tout participant qui croit que des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables sont sur le point d’être divulgués par lui ou par une autre personne au cours d’une instance est tenu de soulever la question devant la personne qui préside l’instance et d’aviser par écrit le procureur général du Canada de la question dès que possible, que ces renseignements aient fait ou non l’objet de l’avis prévu au paragraphe (1). Le cas échéant, la personne qui préside l’instance veille à ce que les renseignements ne soient pas divulgués, sauf en conformité avec la présente loi.

Au cours d’une instance

(3) Le fonctionnaire — à l’exclusion d’un participant — qui croit que peuvent être divulgués dans le cadre d’une instance des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables peut aviser par écrit le procureur général du Canada de la possibilité de divulgation; le cas échéant, l’avis précise la nature, la date et le lieu de l’instance.

Avis par un fonctionnaire

(4) Le fonctionnaire — à l’exclusion d’un participant — qui croit que des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables sont sur le point d’être divulgués au cours d’une instance peut soulever la question devant la personne qui préside l’instance; le cas échéant, il est tenu d’aviser par écrit le procureur général du Canada de la question dès que possible, que ces renseignements aient fait ou non l’objet de l’avis prévu au paragraphe (3) et la personne qui préside l’instance veille à ce que les renseignements ne soient pas divulgués, sauf en conformité avec la présente loi.

Au cours d’une instance

(5) Dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale, les avis prévus à l’un des paragraphes (1) à (4) sont donnés à la fois au procureur général du Canada et au ministre de la Défense nationale.

Instances militaires

(6) Le présent article ne s’applique pas :

a) à la communication de renseignements par une personne à son avocat dans le cadre d’une instance, si ceux-ci concernent l’instance;

b) aux renseignements communiqués dans le cadre de l’exercice des attributions du procureur général du Canada, du ministre de la Défense nationale, du juge ou d’un tribunal d’appel ou d’examen au titre de l’article 38, du présent article, des articles 38.02 à 38.13 ou des articles 38.15 ou 38.16;

c) aux renseignements dont la divulgation est autorisée par l’institution fédérale qui les a produits ou pour laquelle ils ont été produits ou, dans le cas où ils n’ont pas été produits par ou pour une institution fédérale, par la première institution fédérale à les avoir reçus;

d) aux renseignements divulgués auprès de toute entité mentionnée à l’annexe et, le cas échéant, à une application figurant en regard d’une telle entité.

Exception

(7) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent pas au participant si une institution gouvernementale visée à l’alinéa (6)c) l’informe qu’il n’est pas nécessaire, afin d’éviter la divulgation des renseignements visés à cet alinéa, de donner un avis au procureur général du Canada au titre du paragraphe (1) ou de soulever la question devant la personne présidant une instance au titre du paragraphe (2).

Exception

(8) Le gouverneur en conseil peut, par décret, ajouter, modifier ou supprimer la mention, à l’annexe, d’une entité ou d’une application figurant en regard d’une telle entité.

Annexe

38.02 (1) Sous réserve du paragraphe 38.01(6), nul ne peut divulguer, dans le cadre d’une instance :

a) les renseignements qui font l’objet d’un avis donné au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4);

b) le fait qu’un avis est donné au procureur général du Canada au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4), ou à ce dernier et au ministre de la Défense nationale au titre du paragraphe 38.01(5);

c) le fait qu’une demande a été présentée à la Cour fédérale au titre de l’article 38.04, qu’il a été interjeté appel d’une ordonnance rendue au titre de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) relativement à une telle demande ou qu’une telle ordonnance a été renvoyée pour examen;

d) le fait qu’un accord a été conclu au titre de l’article 38.031 ou du paragraphe 38.04(6).

Interdiction de divulgation

(1.1) Dans le cas où une entité mentionnée à l’annexe rend, dans le cadre d’une application qui y est mentionnée en regard de celle-ci, une décision ou une ordonnance qui entraînerait la divulgation de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables, elle ne peut les divulguer ou les faire divulguer avant que le procureur général du Canada ait été avisé de ce fait et qu’il se soit écoulé un délai de dix jours postérieur à l’avis.

Entités

(2) La divulgation des renseignements ou des faits visés au paragraphe (1) n’est pas interdite :

a) si le procureur général du Canada l’autorise par écrit au titre de l’article 38.03 ou par un accord conclu en application de l’article 38.031 ou du paragraphe 38.04(6);

b) si le juge l’autorise au titre de l’un des paragraphes 38.06(1) ou (2) et que le délai prévu ou accordé pour en appeler a expiré ou, en cas d’appel ou de renvoi pour examen, sa décision est confirmée et les recours en appel sont épuisés.

Exceptions

38.03 (1) Le procureur général du Canada peut, à tout moment, autoriser la divulgation de tout ou partie des renseignements ou des faits dont la divulgation est interdite par le paragraphe 38.02(1) et assortir son autorisation des conditions qu’il estime indiquées.

Autorisation de divulgation par le procureur général du Canada

(2) Dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale, le procureur général du Canada ne peut autoriser la divulgation qu’avec l’assentiment du ministre de la Défense nationale.

Instances militaires

(3) Dans les dix jours suivant la réception du premier avis donné au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4) relativement à des renseignements donnés, le procureur général du Canada notifie par écrit sa décision relative à la divulgation de ces renseignements à toutes les personnes qui ont donné un tel avis.

Notification

38.031 (1) Le procureur général du Canada et la personne ayant donné l’avis prévu aux paragraphes 38.01(1) ou (2) qui n’a pas l’obligation de divulguer des renseignements dans le cadre d’une instance, mais veut divulguer ou faire divulguer les renseignements qui ont fait l’objet de l’avis ou les faits visés aux alinéas 38.02(1)b) à d), peuvent, avant que cette personne présente une demande à la Cour fédérale au titre de l’alinéa 38.04(2)c), conclure un accord prévoyant la divulgation d’une partie des renseignements ou des faits ou leur divulgation assortie de conditions.

Accord de divulgation

(2) Si un accord est conclu, la personne ne peut présenter de demande à la Cour fédérale au titre de l’alinéa 38.04(2)c) relativement aux renseignements ayant fait l’objet de l’avis qu’elle a donné au procureur général du Canada au titre des paragraphes 38.01(1) ou (2).

Exclusion de la demande à la Cour fédérale

38.04 (1) Le procureur général du Canada peut, à tout moment et en toutes circonstances, demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance portant sur la divulgation de renseignements à l’égard desquels il a reçu un avis au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4).

Demande à la Cour fédérale : procureur général du Canada

(2) Si, en ce qui concerne des renseignements à l’égard desquels il a reçu un avis au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4), le procureur général du Canada n’a pas notifié sa décision à l’auteur de l’avis en conformité avec le paragraphe 38.03(3) ou, sauf par un accord conclu au titre de l’article 38.031, il a autorisé la divulgation d’une partie des renseignements ou a assorti de conditions son autorisation de divulgation :

a) il est tenu de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements si la personne qui l’a avisé au titre des paragraphes 38.01(1) ou (2) est un témoin;

b) la personne — à l’exclusion d’un témoin — qui a l’obligation de divulguer des renseignements dans le cadre d’une instance est tenue de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements;

c) la personne qui n’a pas l’obligation de divulguer des renseignements dans le cadre d’une instance, mais qui veut en divulguer ou en faire divulguer, peut demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements.

Demande à la Cour fédérale : dispositions générales

(3) La personne qui présente une demande à la Cour fédérale au titre des alinéas (2)b) ou c) en notifie le procureur général du Canada.

Notification du procureur général

(4) Toute demande présentée en application du présent article est confidentielle. Sous réserve de l’article 38.12, l’administrateur en chef du Service administratif des tribunaux peut prendre les mesures qu’il estime indiquées en vue d’assurer la confidentialité de la demande et des renseignements sur lesquels elle porte.

Dossier du tribunal

(5) Dès que la Cour fédérale est saisie d’une demande présentée au titre du présent article, le juge :

a) entend les observations du procureur général du Canada — et du ministre de la Défense nationale dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale — sur l’identité des parties ou des témoins dont les intérêts sont touchés par l’interdiction de divulgation ou les conditions dont l’autorisation de divulgation est assortie et sur les personnes qui devraient être avisées de la tenue d’une audience;

b) décide s’il est nécessaire de tenir une audience;

c) s’il estime qu’une audience est nécessaire :

(i) spécifie les personnes qui devraient en être avisées,

(ii) ordonne au procureur général du Canada de les aviser,

(iii) détermine le contenu et les modalités de l’avis;

d) s’il l’estime indiqué en l’espèce, peut donner à quiconque la possibilité de présenter des observations.

Procédure

(6) Après la saisine de la Cour fédérale d’une demande présentée au titre de l’alinéa (2)c) ou l’institution d’un appel ou le renvoi pour examen d’une ordonnance du juge rendue en vertu de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) relativement à cette demande, et avant qu’il soit disposé de l’appel ou de l’examen :

a) le procureur général du Canada peut conclure avec l’auteur de la demande un accord prévoyant la divulgation d’une partie des renseignements ou des faits visés aux alinéas 38.02(1)b) à d) ou leur divulgation assortie de conditions;

b) si un accord est conclu, le tribunal n’est plus saisi de la demande et il est mis fin à l’audience, à l’appel ou à l’examen.

Accord de divulgation

(7) Sous réserve du paragraphe (6), si le procureur général du Canada autorise la divulgation de tout ou partie des renseignements ou supprime les conditions dont la divulgation est assortie après la saisine de la Cour fédérale aux termes du présent article et, en cas d’appel ou d’examen d’une ordonnance du juge rendue en vertu de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3), avant qu’il en soit disposé, le tribunal n’est plus saisi de la demande et il est mis fin à l’audience, à l’appel ou à l’examen à l’égard de tels des renseignements dont la divulgation est autorisée ou n’est plus assortie de conditions.

Fin de l’examen judiciaire

38.05 Si la personne qui préside ou est désignée pour présider l’instance à laquelle est liée l’affaire ou, à défaut de désignation, la personne qui est habilitée à effectuer la désignation reçoit l’avis visé à l’alinéa 38.04(5)c), elle peut, dans les dix jours, fournir au juge un rapport sur toute question relative à l’instance qu’elle estime utile à celui-ci.

Rapport sur l’instance

38.06 (1) Le juge peut rendre une ordonnance autorisant la divulgation des renseignements, sauf s’il conclut qu’elle porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

Ordonnance de divulgation

(2) Si le juge conclut que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, mais que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation, il peut par ordonnance, compte tenu des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation ainsi que de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, autoriser, sous réserve des conditions qu’il estime indiquées, la divulgation de tout ou partie des renseignements, d’un résumé de ceux-ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés.

Divulgation modifiée

(3) Dans le cas où le juge n’autorise pas la divulgation au titre des paragraphes (1) ou (2), il rend une ordonnance confirmant l’interdiction de divulgation.

Confirmation de l’interdiction

(3.1) Le juge peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu’il estime digne de foi et approprié — même si le droit canadien ne prévoit pas par ailleurs son admissibilité — et peut fonder sa décision sur cet élément.

Preuve

(4) La personne qui veut faire admettre en preuve ce qui a fait l’objet d’une autorisation de divulgation prévue au paragraphe (2), mais qui ne pourra peut-être pas le faire à cause des règles d’admissibilité applicables à l’instance, peut demander à un juge de rendre une ordonnance autorisant la production en preuve des renseignements, du résumé ou de l’aveu dans la forme ou aux conditions que celui-ci détermine, dans la mesure où telle forme ou telles conditions sont conformes à l’ordonnance rendue au titre du paragraphe (2).

Admissibilité en preuve

(5) Pour l’application du paragraphe (4), le juge prend en compte tous les facteurs qui seraient pertinents pour statuer sur l’admissibilité en preuve au cours de l’instance.

Facteurs pertinents

38.07 Le juge peut ordonner au procureur général du Canada d’aviser de l’ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) toute personne qui, de l’avis du juge, devrait être avisée.

Avis de la décision

38.08 Si le juge conclut qu’une partie à l’instance dont les intérêts sont lésés par une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) n’a pas eu la possibilité de présenter ses observations au titre de l’alinéa 38.04(5)d), il renvoie l’ordonnance à la Cour d’appel fédérale pour examen.

Examen automatique

38.09 (1) Il peut être interjeté appel d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) devant la Cour d’appel fédérale.

Appel à la Cour d’appel fédérale

(2) Le délai dans lequel l’appel peut être interjeté est de dix jours suivant la date de l’ordonnance frappée d’appel, mais la Cour d’appel fédérale peut le proroger si elle l’estime indiqué en l’espèce.

Délai

Analyse de la décision du juge et des prétentions des parties

a)         La norme de contrôle

[5]        La question de la norme de contrôle applicable à la décision d’un juge désigné en matière de demande de divulgation fondée sur l’article 38 de la Loi a été examinée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ribic, 2003 CAF 246, [2005] 1 R.C.F. 33, autorisation d’appel à la C.S.C. refusée le 22 octobre 2003.

[6]        Notre Cour a conclu, au paragraphe 36 des motifs de cet arrêt, que les décisions se rapportant à l’étendue du pouvoir de rendre des ordonnances de divulgation s’examinent en fonction de la norme de la décision correcte. De telles décisions faisant intervenir l’interprétation de dispositions législatives octroyant un pouvoir et la définition des conditions d’exercice du pouvoir conféré, les erreurs de compréhension et d’interprétation relèvent de questions de droit qui peuvent normalement être aisément isolées des faits.

[7]        Toutefois, lorsqu’il s’agit d’appliquer aux faits un pouvoir de divulgation correctement interprété, une norme de contrôle différente s’applique puisque la question en cause est une question mixte de fait et de droit. La décision qui en résulte, suivant l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, donne lieu à l’application de la norme plus déférente exigeant une « erreur manifeste et dominante », laquelle préside également à l’examen des questions de fait.

[8]        Il y a erreur palpable et dominante lorsque le juge a « tenu compte de facteurs non pertinents, omis des facteurs qu’il aurait dû considérer ou apprécié les facteurs pertinents de façon déraisonnable » : voir Canada c. Furukawa, 2000 CanLII 16502, [2000] A.C.F. no 1380 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 35.

[9]        C’est en fonction de ces normes que la décision du juge sera examinée en l’espèce.

b)         Le juge a‑t‑il commis une erreur en n’appliquant pas aux sources humaines du SCRS le privilège de common law relatif aux indicateurs de police?

[10]      Selon les avocates de l’appelant, le juge aurait dû donner effet à ce privilège, et il a erré en appliquant le critère formulé dans l’arrêt Ribic et en soupesant les raisons d’intérêt public en jeu. Elles prétendent qu’il faut statuer d’abord sur la question du privilège. Cet argument soulève la question de l’interrelation entre un privilège et le critère de l’arrêt Ribic.

[11]      Le critère formulé dans l’arrêt Ribic, précité, a trois volets. Le juge doit d’abord établir si les renseignements dont la divulgation est demandée sont pertinents pour l’instance dans laquelle on veut les utiliser. Il incombe à celui qui demande la divulgation de démontrer que, selon toute probabilité, ces éléments de preuve sont pertinents.

[12]      S’il est satisfait au volet de la pertinence, le juge évalue ensuite si la divulgation pourrait porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou la sécurité nationales. C’est la Couronne qui doit prouver le préjudice qui pourrait découler d’une ordonnance de divulgation.

[13]      Enfin, si le juge estime que la divulgation de renseignements sensibles serait préjudiciable, il doit passer au dernier volet du critère et déterminer si l’intérêt public afférent à la divulgation l’emporte sur l’intérêt public qu’il y a à ne pas divulguer. C’est à la partie qui demande la divulgation qu’il incombe de prouver que la balance de l’intérêt public penche du côté de la divulgation.

[14]      J’aborderai d’abord la question de l’application aux sources humaines du SCRS du privilège relatif aux indicateurs de police, puis j’examinerai l’interrelation entre un privilège et le critère de l’arrêt Ribic.

[15]      Il est juste de dire que le privilège relatif aux indicateurs de police revêt des caractéristiques qui lui sont propres à plusieurs égards. Contrairement au privilège de la Couronne, c’est un privilège absolu, au sens où il ne saurait être mis en balance avec d’autres intérêts : voir l’arrêt R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281, aux paragraphes 12 à 14. Son application « “ne relève en rien de la discrétion du juge car c’est une règle juridique d’ordre public qui s’impose au juge” » : Leipert, ci-dessus [au paragraphe 13], citant Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, à la page 93. Seule l’exception relative à la démonstration de l’innocence lui est opposable, laquelle intervient lorsque la divulgation de l’identité de l’indicateur est nécessaire pour établir l’innocence de l’accusé : Leipert, ci-dessus, aux paragraphes 20 et 21.

[16]      Le privilège relatif aux indicateurs de police appartient à la catégorie des privilèges génériques (p. ex. le secret professionnel de l’avocat) par opposition aux privilèges reconnus au cas par cas. Il existe très peu de privilèges génériques en droit : R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, au paragraphe 42.

[17]      Dans l’arrêt National Post, le juge Binnie s’est exprimé ainsi, au paragraphe 42, au sujet de la nature et de l’importance du privilège générique et des conséquences découlant du caractère générique :

Dans le cas d’un privilège générique, l’important n’est pas tant le contenu de la communication que la protection du genre de relation. En principe, une fois que la relation nécessaire est établie entre la partie qui se confie et celle à qui elle se confie, les renseignements ainsi confiés sont présumés confidentiels par application du privilège, sans égard aux circonstances. Le privilège générique déroge nécessairement à la recherche judiciaire de la vérité et ne dépend pas des faits de l’espèce. Suivant la jurisprudence, sans cette confidentialité générale, il serait impossible de donner au client de l’avocat ou à l’indicateur de police la garantie nécessaire pour qu’il puisse faire ce que l’administration de la justice exige de lui. [Je souligne.]

[18]      En tant que privilège générique, le privilège relatif aux indicateurs de police protège la relation existant entre l’indicateur et l’agent de la paix; il fait partie des outils de la police que les tribunaux ont jugé nécessaires à l’application du droit criminel. Dans l’arrêt Bisaillon, précité, le juge Beetz a écrit, aux pages 105 et 106 :

Le principe confère en effet à l’agent de la paix le pouvoir de promettre explicitement ou implicitement le secret à ses indicateurs, avec la garantie sanctionnée par la loi que cette promesse sera tenue même en cour, et de recueillir en contrepartie de cette promesse, des renseignements sans lesquels il lui serait extrêmement difficile d’exercer ses fonctions et de faire respecter le droit criminel.

La common law n’a pas conféré cette faculté à l’agent de la paix parce qu’elle pouvait lui être simplement utile, mais parce qu’elle a jugé, dans son empirisme, que la faculté lui est nécessaire […]

Ce pouvoir de donner l’assurance du secret fait partie de l’ensemble des moyens que le droit criminel met à la disposition de l’agent de la paix, tels le pouvoir d’arrestation sans mandat et le pouvoir de perquisition et de saisie prévus aux art. 450 et 443 et suiv. du Code criminel; il participe à la nature de ces moyens et, comme eux, il est intimement relié au statut de l’agent de la paix. [Je souligne.]

[19]      Dans l’arrêt National Post, le juge Binnie a passé en revue certaines des difficultés que poserait l’octroi d’un privilège générique aux sources journalistiques : l’immense diversité et le niveau variable de professionnalisme (ou de non‑professionnalisme) des personnes qui recueillent et publient de l’information censément obtenue de sources secrètes, l’étendue des droits et immunités respectifs dont jouissent les journalistes et les sources à qui la confidentialité est promise, l’absence de critère pratique permettant de définir les circonstances entraînant la création ou la perte de l’immunité revendiquée : National Post, ci-dessus, aux paragraphes 43 à 45.

[20]      Tous ces facteurs énumérés par le juge Binnie entrent ici en ligne de compte pour juger de l’application aux sources humaines du SCRS du privilège relatif aux indicateurs de police. Les employés du SCRS ne sont pas des agents de la paix et ils appartiennent à diverses catégories d’employés au sein du service. Qui est ou, plus précisément, qui devrait être habilité à accorder une immunité? À qui l’immunité devrait‑elle être accordée? À quiconque la demande? Autrement dit, qui devrait être couvert par le privilège générique?

[21]      La question des conditions devant présider à l’octroi de l’immunité est elle aussi problématique. Quelles sont‑elles? Qui devrait les établir? Et, comme le juge Binnie se l’est demandé dans l’arrêt National Post, quels sont les droits et immunités respectifs dont jouissent les employés du SCRS et les sources auxquelles la confidentialité a été promise?

[22]      Quand y a‑t‑il lieu d’accorder l’immunité? Pour tout renseignement, du moment que la source demande l’immunité? En l’espèce, le juge a tiré la conclusion de fait selon laquelle la méthode suivie par le SCRS est trop large, car celui‑ci a tendance « à considérer comme une source confidentielle pratiquement chaque personne qui lui fournit des renseignements, que la source s’attende ou non réellement à ce qu’on respecte la confidentialité de ces renseignements, que la source soit exposée ou non à un risque de subir un préjudice, ou qu’il soit probable ou non que ces renseignements soient communiqués sans ces assurances » : voir les motifs du jugement, au paragraphe 169.

[23]      Comment faudrait‑il que la protection soit octroyée? Expressément, implicitement, verbalement, par écrit? La forme retenue peut avoir son importance lorsqu’il faut déterminer la portée des droits et obligations des parties ainsi que l’étendue de l’immunité. On sait qu’en droit criminel l’octroi sans formalisme d’une immunité à des indicateurs a donné lieu à des débats acrimonieux en cour. Aux États‑Unis et dans la province de Québec, par exemple, l’octroi d’une immunité obéit souvent à des règles de forme; les parties concluent un contrat écrit exécutoire décrivant leurs droits et obligations respectifs.

[24]      Enfin, le passage suivant des motifs du juge Binnie est pertinent en l’espèce, en particulier dans le contexte de l’article 38 de la Loi :

Quatrièmement, bien qu’un privilège, quel qu’il soit, ait pour effet de nuire à la recherche de la vérité, et de créer de ce fait un risque d’injustice pour les personnes dont l’intérêt est opposé à l’intérêt de celui qui l’invoque, un privilège générique est plus rigide qu’un privilège reconnu au cas par cas. Il n’est pas possible de le redéfinir aussi librement pour l’adapter aux circonstances. [Je souligne.]

[25]      En fait, l’article 38 met en place un système de mise en balance en application duquel un tribunal peut, comme nous l’avons vu, ordonner la divulgation de renseignements potentiellement préjudiciables s’il estime que l’intérêt public qu’il y a à divulguer l’emporte sur l’intérêt public militant contre la divulgation. Autrement dit, le système élaboré par le législateur, relativement aux renseignements touchant les relations internationales et la sécurité ou la défense nationales, ne garantit pas une confidentialité absolue, contrairement au privilège relatif aux indicateurs de police qui, lui, produit ce résultat du fait qu’il s’agit d’un privilège générique.

[26]      Je suis respectueusement d’avis qu’il irait à l’encontre de l’article 38 de la Loi et de l’intention expressément exprimée par le législateur d’accéder à la demande de la Couronne d’appliquer aux sources humaines du SCRS le privilège relatif aux indicateurs de police. On a fait valoir que l’article 18 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C‑23, démontrait l’intention du législateur de protéger l’identité des sources humaines. Au paragraphe 30 des motifs qu’il a formulés dans la décision Harkat (Re), 2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370 (actuellement en appel devant notre Cour [les motifs de la décision ont depuis été rendus : 2012 CAF 122]), le juge Noël, de la Cour fédérale, a déclaré en se reportant à l’article 18 que « [l]e législateur s’est lui-même exprimé sur l’importance de protéger les sources humaines et les agents secrets ».

[27]      Voici le texte des articles 18 et 19 [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25(1)d); 2003, ch. 22, art. 224z.12)(A)] :

18. (1) Sous réserve du paragraphe (2), nul ne peut communiquer des informations qu’il a acquises ou auxquelles il avait accès dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou lors de sa participation à l’exécution ou au contrôle d’application de cette loi et qui permettraient de découvrir l’identité :

a) d’une autre personne qui fournit ou a fourni au Service des informations ou une aide à titre confidentiel;

b) d’une personne qui est ou était un employé occupé à des activités opérationnelles cachées du Service.

Infraction

(2) La communication visée au paragraphe (1) peut se faire dans l’exercice de fonctions conférées en vertu de la présente loi ou de toute autre loi fédérale ou pour l’exécution ou le contrôle d’application de la présente loi, si une autre règle de droit l’exige ou dans les circonstances visées aux alinéas 19(2)a) à d).

Exceptions

(3) Quiconque contrevient au paragraphe (1) est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d’une infraction punissable par procédure sommaire.

Infraction

19. (1) Les informations qu’acquiert le Service dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ne peuvent être communiquées qu’en conformité avec le présent article.

Autorisation de communication

(2) Le Service peut, en vue de l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou pour l’exécution ou le contrôle d’application de celle-ci, ou en conformité avec les exigences d’une autre règle de droit, communiquer les informations visées au paragraphe (1). Il peut aussi les communiquer aux autorités ou personnes suivantes :

a) lorsqu’elles peuvent servir dans le cadre d’une enquête ou de poursuites relatives à une infraction présumée à une loi fédérale ou provinciale, aux agents de la paix compétents pour mener l’enquête, au procureur général du Canada et au procureur général de la province où des poursuites peuvent être intentées à l’égard de cette infraction;

b) lorsqu’elles concernent la conduite des affaires internationales du Canada, au ministre des Affaires étrangères ou à la personne qu’il désigne à cette fin;

c) lorsqu’elles concernent la défense du Canada, au ministre de la Défense nationale ou à la personne qu’il désigne à cette fin;

d) lorsque, selon le ministre, leur communication à un ministre ou à une personne appartenant à l’administration publique fédérale est essentielle pour des raisons d’intérêt public et que celles-ci justifient nettement une éventuelle violation de la vie privée, à ce ministre ou à cette personne.

Idem

(3) Dans les plus brefs délais possible après la communication visée à l’alinéa (2)d), le directeur en fait rapport au comité de surveillance.

Rapport au comité de surveillance

[28]      Suivant l’article 18, la divulgation des renseignements visés par cette disposition constitue une infraction à moins qu’elle ne soit autorisée conformément au paragraphe 18(2) et à l’article 19. Cette disposition n’institue pas une interdiction absolue de divulguer comme le fait le privilège relatif aux indicateurs de police. En effet, le paragraphe 18(2) permet la divulgation des renseignements « si une autre règle de droit l’exige ». Cela est compatible avec l’article 38 de la Loi, qui autorise la divulgation en exécution de l’ordonnance d’un juge désigné rendue dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par cet article.

[29]      Dans l’arrêt National Post, le juge Binnie a écrit, au sujet du caractère absolu du privilège relatif aux indicateurs de police (au paragraphe 42) :

Il est probable qu’à l’avenir, tout nouveau privilège « générique » sera créé, le cas échéant, par une intervention législative.

[30]      La sagesse de cette prédiction se comprend aisément. La création d’un nouveau privilège entraîne un lot de répercussions juridiques, politiques, sociales et économiques. J’ai pris part à suffisamment de réformes juridiques pour savoir que des mesures de ce genre, à cause justement de la diversité et de la gravité de leurs incidences, exigent des consultations et un débat publics approfondis. Elles doivent être édictées par des gens qui sont tenus de rendre compte à ceux qui auront à vivre avec de telles mesures. Non seulement notre Cour est‑elle mal placée pour évaluer s’il convient d’appliquer aux sources humaines du SCRS le privilège relatif aux indicateurs de police mais, si elle le faisait, elle usurperait, à mon avis, le rôle du législateur et contrecarrerait l’intention qu’il a exprimée à l’article 38 de la Loi qu’il y ait pondération des intérêts en jeu à l’égard des renseignements, y inclus ceux qui se rapportent à l’identité des sources.

[31]      Cela nous amène à l’interrelation entre un privilège relatif aux sources et le critère de l’arrêt Ribic, et à la procédure à suivre lorsqu’il y a revendication de privilège.

[32]      Il s’impose, à la réflexion, que la procédure doit rester souple parce que la nature des renseignements, l’importance de la source, l’étendue du préjudice causé à la source, à la défense ou la sécurité nationales ou aux relations internationales — pour ne nommer que quelques‑uns des facteurs susceptibles d’influer sur la démarche que le juge devrait suivre — pourraient en dicter le contenu.

[33]      Il se peut, compte tenu des circonstances, qu’il soit préférable d’examiner d’abord la question de la protection de l’identité de la source. Par exemple, il peut arriver que la divulgation des renseignements ne soit pas préjudiciable, mais que celle du nom de la source le soit. Dans le même ordre d’idée, l’intérêt public dans la divulgation des renseignements eux‑mêmes peut l’emporter sur l’intérêt public militant contre la divulgation, exception faite de l’identité de la source. D’un autre côté, il ne sert à rien de s’engager dans un long débat concernant la nécessité de protéger la source si les renseignements eux‑mêmes ne sont pas pertinents et ne seront pas communiqués. Le juge désigné qui procède à la mise en balance exigée par l’article 38 est le mieux placé pour décider du processus qui lui permettra le mieux d’exercer son pouvoir discrétionnaire avec le plus d’efficacité.

[34]      En conclusion, j’estime, pour ces raisons, que le juge n’a pas commis d’erreur en n’appliquant pas aux sources humaines du SCRS les règles régissant le privilège relatif aux indicateurs de police.

c)         Le juge a‑t‑il mal appliqué la règle des tiers lorsqu’il a ordonné la divulgation de certains renseignements émanant de partenaires étrangers?

[35]      Cette question se pose à l’égard d’un petit nombre de documents. La Cour a siégé à huis clos pour l’examen des renseignements confidentiels et a entendu les arguments des avocates de l’appelant ainsi que de l’amicus curiae désigné pour aider la Cour. Elle a aussi examiné les documents ainsi que les propositions de l’appelant visant à prévenir ou limiter le préjudice.

[36]      Le juge n’ayant pas motivé toutes ses décisions relativement aux éléments à divulguer, on ne sait pas toujours pourquoi il a ordonné la divulgation. Il faut dire, en toute justice, qu’il était confronté à une tâche herculéenne et qu’il a incontestablement accompli un travail admirable. Nous passons donc à l’application du troisième volet du critère de l’arrêt Ribic aux documents en cause.

[37]      Nous sommes d’avis qu’en appliquant le critère de l’arrêt Ribic le juge n’a pas tenu compte de la preuve de préjudice ou qu’il ne lui a pas accordé le poids qu’il fallait. Il se peut aussi qu’il ait en même temps attribué un poids exagéré à l’argument du préjudice avancé par les intimés. Il a en conséquence accordé trop de poids à l’intérêt public afférent à la divulgation des renseignements, ce qui a eu des répercussions dans certains résumés des renseignements, où le préjudice n’est pas limité conformément à la Loi. Il a en cela commis des erreurs manifestes et dominantes.

Conclusion

[38]      Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance de divulgation et l’annexe « A » relative aux documents en cause et je rendrais une ordonnance confidentielle mettant en œuvre les changements nécessaires à ces documents pour prévenir et limiter les préjudices aux relations internationales et à la sécurité ou la défense nationales.

Le juge en chef Blais : Je suis d’accord.

La juge Trudel, J.C.A. : Je suis d’accord.

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